Nos deux reporters ont sillonné les rues de la capitale à l’occasion de la fête de la musique. Ils ont croisé l’Orchestre de Paris, le rappeur Zoxea, un indien, et sa flûte de pan.
C’est un défi pervers que d’aborder une série d’articles sur la thématique des manifestations culturelles et, on l’espère, mondaines, par un compte-rendu de la fête de la musique, périlleux marronnier et terrain de jeu de toutes les ironies. Difficile d’éviter le double écueil du journalisme condescendant et décalé et du collage purement descriptif et objectif agrémenté de micros-trottoirs de saxophonistes amateurs. Du coup on s’est d’abord forcé à trouver plein d’angles présentant une dimension théorique et beaucoup de mauvaise foi potentielle du type: « Que fait la droite le soir d’une fête de gauche? », « 50 ans de chanson française (thématique officielle cette année pour les cinquante ans du Ministère de la Culture) valaient-il mieux que deux heures de musique du monde? », ou encore « la carte des CSP recoupe -t-elle la carte des goûts musicaux? ». Finalement on a sobrement opté pour l’analyse de cette édition à l’aune du projet initial que l’on peut résumer au « langisme » ou à la fête comme nouveau paradigme de la politique et d’une harmonie sociale reposant sur la culture. En même temps en parcourant le programme officiel on a vite réalisé que cette question nous servirait surtout à rédiger un premier paragraphe bien imbuvable et que de toutes façons c’est pas ça qui nous ferait passer une meilleure fête de la musique que d’habitude.
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On décide d’abord de se rendre au centre hospitalier Sainte Anne où des concerts sont prévus. On espérait qu’ils relèveraient d’une initiative associant les patients (spectateurs ou participants) et le corps médical ou la population extérieure au centre. En réalité une simple scène a été dressée à l’angle des allées Paul Verlaine et Antonin Artaud, sur laquelle une chorale gospel selon nos estimations majoritairement issue du baby-boom, des professions libérales et des meilleures écoles de kiné, enchaînent des hymnes de type « Everything is gonna be ok » optimistes pour l’essentiel d’un public composé de quelques infirmiers, d’habitants du quartier et d’amis des choristes (possiblement kinésithérapeutes eux-mêmes), mais moyennement performatifs pour les très rares patients présents. Déçu, notre ami Maciek, qui souhaitait faire un reportage photo de l’évènement, s’offre un Cornetto Vanille et concentre son attention sur d’éventuelles infirmières susceptibles, une fois séduites, de lui ouvrir les portes de la pharmacie centrale. De notre côté, constatant l’absence de « h » aux divers panneaux indiquant la bibliothèque du centre hospitalier, nous décidons de ne pas nous attarder dans un établissement si peu respectueux des lois d’airain de l’orthographe.
L’atelier du rappeur Zoxea est un prétexte pour mettre enfin les pieds au 104 (ça fait des mois qu’il est ouvert et les gens commencent à se rendre compte qu’on en parle sans jamais y être allé), présenté comme un espace culturel dédié à toutes les créations et qui s’avère surtout un lieu terriblement vide et silencieux où l’art hertzien de demain se construit au rythme pas tellement soutenu d’un coup de marteau toutes les cinq minutes (selon nos estimations). Ledit atelier est en réalité un grand box dont la sobriété et l’harmonie des lignes n’est troublée que par une table, une sono et une fresque géante mettant en scène les Sages poètes de la rue. Intrigués par cette iconographie et peu rassurés sur la pertinence de la démarche au regard de sa description officielle, qui prouve qu’un diplôme Bac +5 et de multiples stages au sein d’institutions culturelles ne permettent pas forcément d’acquérir le socle de connaissances fondamentales du backpacker disposant d’un compte rapidshare, on est rassurés de constater que l’open mic permet à de jeunes rappeurs de rencontrer un artiste confirmé, quoiqu’ils concluent leur freestyle par cette inquiétante prophétie: « c’est le retour du boom bap ».
Pressentant une déferlante d’esprit positif typiquement hip-hop, et relativement déçus par nos sorties institutionnelles, on décide d’abandonner notre angle de départ et de tout miser sur la déconne. Après quelques coups de fils et une déroutante proposition d’un ami farceur qui veut nous piéger en nous proposant une chorale d’orphelins reprenant les greatest hits des Naive New Beaters à Convention, on décide finalement de se rendre rue Saint Sabin à la block party organisée par le mec le plus sympa de l’industrie musicale, notre seul ami cadre. Après trois bières tièdes et dans ce genre de situation, on bascule vite de Bastille à Bastoche en écoutant du rap qu’on connaît tous à proximité de jolies filles qu’on voudrait tous connaître. De manière inattendue, on se rend compte qu’en se restreignant au vieux débat entre « gauche qui lit » et « gauche qui chante », on n’a pas vu venir le troisième terme qui résout cette dialectique, « la gauche en New Era » autrement appelée « la gauche qui bosse dans l’image » autrement appelée « la droite ». Un peu stupéfaits et vite gagnés par le fun, on prend quelques minutes pour observer une population composée d’activistes de la basket customisée et autres skate dads et pour trouver un moyen d’attirer l’attention de filles dont la capacité à exprimer successivement toutes les nuances de la moue boudeuse suggère une maitrise sans pareille des codes esthétiques du cinéma français.
Il faut la présence d’esprit d’un ami séminariste pour nous rappeler qu’on est là pour le boulot et qu’on a un compte-rendu à écrire, qu’il serait d’ailleurs judicieux de conclure par le concert de l’Orchestre de Paris dirigé par Pierre Boulez à la pyramide du Louvre. On fait de notre mieux pour arriver à l’heure mais c’est vite oublier que le triangle de l’enfer Bastille-Châtelet-St Michel se transforme les soirs de fête en triangle du sol qui colle, d’autant qu’on a déjà perdu dix minutes à expliquer à l’indien qui joue de la flûte de pan dans Aguirre qu’il commençait à nous taper sur le système. Une fois sur place, un usager râle: il n’a en effet pas pu accéder au concert pour des raisons obscures (selon nos estimations), alors que le Pouvoir lui avait pourtant promis une fête.
Privés nous aussi de cette précieuse opportunité d’augmenter à peu de frais notre capital légitimité, nous nous ménageons une porte de sortie héroïque avec la traversée nocturne du pont des arts. Il suffit de quelques mètres pour nous aviser de ce qu’en 2009, et malgré l’ouragan French Touch 2.0, se couvrir d’un camaïeu de marron et jouer du djembé demeure un moyen tout à fait honnête d’impressionner provisoirement des filles des beaux quartiers. C’est au moment précis où l’on pensait avoir tiré tous les enseignements de cette soirée qu’un orchestre posté devant l’Institut de France nous confronte à une évidence qui nous avait jusqu’à lors échappée, à savoir que la fête de la musique c’est surtout et avant tout le retour des cuivres. C’est n’est donc qu’en se demandant naïvement, sur le chemin du retour, ce que deviennent les trombones le reste de l’année, qu’on trouve enfin l’angle nous permettant de poser la première pierre de cet inventaire de la culture par ceux qui le font en écoutant Pavement avec un bon café.
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