En pleine tornade avec son nouvel album et une vaste tournée, La Femme revenait samedi à la maison, à Biarritz, pour un concert à la cool dans un festival de musique, de surf et de skate. Une pause parfaite.
Quelques mois après le Big Festival et sa vaste voilure, l’événement qui a secoué Biarritz le week-end dernier pourrait s’appeler Le Small Festival. Ambitions modestes en termes économiques et médiatiques, mais jolie affiche néanmoins, prise en main cette année par les régionaux de La Femme. L’occasion de mesurer le chemin parcouru par le groupe des Biarrots Marlon et Sasha. Il y quelques années à peine, avant les couvertures des magazines et l’honneur de programmer ce festival, le groupe offrait à quelques dizaines de mètres de la scène posée sur la Côte des Basques un de ses premiers concerts, en squattant une des nombreuses coursives de la falaise aux marches interminables et en tendant un long prolongateur entre l’appartement de la grand-mère de Marlon et la scène improvisée. Un vrai concert pirate, en mode guérilla : finalement, l’esprit a perduré jusqu’à ce week-end, tant ce raout bordélique sent l’urgence, l’improvisation, la joie d’être ensemble et de jouer. Ce festival ne s’appelle pas The Small, bien sûr, mais la Rat’s Cup, et il s’offre sa quatorzième édition, sous la houlette des militants de la glisse de l’association ALC Elkartea.
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L’esprit originel du surf
Les touristes partis, ces activistes bénévoles fêtent en toute décontraction, sans sponsors, trois des grandes spécialités locales : la musique, le skate et le surf. Et c’est l’esprit originel du surf, ce mélange de solidarité, d’amitiés emmagasinées au rythme des vagues du monde entier, de coolitude et de grande nonchalance qui domine ici : on est plus proche des raviolis mangés froids à même la boîte, du jambon de Bayonne dégusté en cornet de papier que des stands gourmets de street-food interchangeables que s’arrachent les festivaliers de 2016.
Sur scène, on croise donc des Basques de souche ou d’adoption, des deux côtés de la frontière. Même si ici, la notion de frontière entre les âges, les gens et les styles est largement bannie. Se superposent donc pendant trois jours hip-hop de Floride, musiques du Mali, électro (avec notamment DJ Falcon), bass music ou des sous-genres mystérieux : horror yéyé, Hawaï trap clinique, tek surf ou bzzzz rock ! C’est dire le sérieux et le pompeux de ces musiciens sans doutes payés en chambre sur le front de mer et en bières locales.
La bonne chanson au bon endroit au bon moment
C’est là, à quelques dizaines de mètres de cette scène et de ce légendaire spot de surf, qu’ont grandi Marlon et Sasha, voisins avant de partager des groupes. C’est sans doute sur cet imposant escalier qui dégringole de la falaise qu’ils ont fantasmé leur psychédélisme-surf-électro-weirdo qui fait aujourd’hui le bonheur et la fierté du rock d’ici. Peut-être même que c’est ici qu’ils ont envisagé Sur La Planche, leur chanson fétiche en train de virer au tube au fil des ans.
Inutile de préciser que cette merveille sonne comme un orgasme violent sur cette Côte des Basques en ce samedi soir. La bonne chanson au bon endroit au bon moment, avant que l’automne vienne une fois encore maltraiter les fantasmes surf de l’été sans fin. Mais la grande nouveauté, c’est qu’à un concert de La Femme, on n’attend plus nécessairement Sur La Planche. D’autres merveilles surexcitées épaulent plus qu’avantageusement ce tube, dont des versions déjà amochées, détournées, trafiquées comme des mobylettes de villages, des chansons à tiroirs du pourtant récent Mystère.
Où va le monde devient ici une surf-song d’une mer de mercure étincelante, jouée à la B-52’s. Mycose contrebalance sa rigidité inquiétante par le burlesque d’une danse de mariée épileptique, qui finit par un slam carabiné. Le set est nerveux, dense, il y a urgence à faire la fête après des mois un peu sérieux d’enregistrement et d’affaires courantes. Et à ce jeu de la fiesta électrique, La Femme excelle, les souvenirs de concerts à l’arrache sont encore proches, vivaces, chevillés à ces corps agités.
Comme un concours de force basque
Le public suit, danse le twist du futur, s’abandonne à ces basses et séquences tyranniques en cognant dans ses mains comme s’il s’agissait d’un concours de force basque. Nous étions deux est également devenu un hymne, hurlé par des centaines de poitrines face à une lune presque penaude de ne pas être pleine elle aussi pour fêter ça. Même le magnifiquement sinistre 2023 devient un prétexte à une orgie de poings levés et de chants hurlés, une fiesta que l’original n’avait jamais suggéré.
https://www.youtube.com/watch?v=n6vFYyik5yk
« On dédicace la prochaine à tous les fêtards » ricane Marlon, parlant effectivement à 99,7% de leur public ce soir – qui pour le prouver improvise une gigantesque chenille. Ambiance Fêtes de Bayonne un jour de distribution gratuite de cubitainers de rouge viril, mais c’est aussi le but de cette kermesse : que public et musiciens ne fassent qu’un, que le spectacle soit autant dans la fosse que sur la scène. Sur la même planche, dans la même liesse.
Nous écrivions quelques jours avant que La Femme était l’avenir du rock. Ce soir, La Femme est le présent du souk. Et c’est déjà énorme.
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