Héritier naturel de l’afro-beat, Femi Kuti fait fructifier le bien précieux au rythme de dialogues d’outre-tombe avec son père, le grand Fela. Et incite à passer à l’action. Critique et écoute.
Femi Kuti enrage. Au bout du fil, une voix tente de lui décrire une situation à laquelle il ne peut remédier, vu qu’il est à Paris et que l’action se déroule à Lagos, à 4 700 kilomètres d’ici. Une de ses ex vient de débarquer au club dont il est propriétaire, le Shrine, et vandalise une boutique attenante dont elle avait la gérance. Avec le concours d’une poignée de soldats de l’armée de l’air qu’un gradé, ami de la furie, a aimablement mise à sa disposition. Inimaginable ici, la mésaventure n’a rien d’exceptionnel pour le Nigeria, où le moindre différend, amoureux ou non, peut dégénérer en péripétie ubuesque. Femi, qui se croyait enfin à l’abri du chaos, après dix ans de calamités en tout genre, s’y voit soudain replongé. Le feu de la colère passé, il ne peut que méditer sur les aléas d’une existence voulue différente de celle de son père Fela, et qui tend pourtant à s’en approcher de plus en plus, frasques domestiques comprises.
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La communication entre lui et Fela n’a jamais été aussi féconde qu’aujourd’hui. Il y a trois ans, le père s’est mis à visiter le fils dans ses rêves. “Nous avons des discussions sur certains points, sur la politique et la vie en général. Quelque chose que je n’ai jamais pu faire de son vivant. Ça a commencé à l’époque où je subissais cette campagne de presse instrumentalisée par le gouvernement nigérian et où j’ai été en mesure de mieux comprendre par quoi il était passé.”
Pour son nouvel album, Femi a enregistré une chanson, One Man Show, écrite il y a vingt ans, qui s’inspire de l’expérience singulière de ce héros du peuple disparu en 1997, à l’âge de 59 ans, des suites du sida, après une carrière de musicien combattant au service de la justice et de la liberté. “Je me souviens combien tout le monde sympathisait avec la cause qu’il défendait. Mais quand il s’agissait de passer à l’action, il n’y avait plus personne. Je vis exactement la même solitude. Chaque soir, je me dis que si quelque chose de grave devait arriver, je serais seul à faire face. Je suis engagé dans le même sport que mon père. Je ne peux esquiver, ni à gauche, ni à droite. Et je ne peux pas revenir en arrière. Je dois aller de l’avant.”
Voilà qui donne le ton de No Place for My Dream, cavalcade haletante, effrénée, jamais désordonnée, où Femi attaque avec une hargne digne d’un saint Georges africain, ou d’un Mélenchon des grands jours, le dragon de la corruption, du népotisme, de la prédation capitaliste à l’échelle planétaire. Car si différence il y a entre No Place for My Dream et ses précédents albums, elle se situe sur le plan rhétorique. Le thème du combat panafricain, qui est en effet éperonné sans relâche par le chanteur jusqu’à présent, se trouve désormais solidaire de celui des autres peuples. “La difficulté à laquelle je me suis longtemps confronté était d’intéresser le public occidental aux problèmes que rencontrent les Africains. Et inversement. Je crois que la crise actuelle m’a aidé à réussir ce cross-over.”
C’est donc à la fois de l’inventaire (The World Is Changing), du réquisitoire (Politics Na Big Business) et de l’incitation à passer à l’action (Action Time) que relève ce huitième album produit par le fidèle Sodi Marciszewer. Car musicalement, la donne reste inchangée. Accompagné par un Positive Force rajeuni, Femi chevauche l’afro-beat comme un cheval de guerre. Comme Fela le lui a appris.
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