A l’écoute des services d’intelligence du monde entier, David Byrne sort son meilleur album solo, inspiré et radieux. Un bilan rapide de bientôt dix années d’activités post-Talking Heads amène forcément cette conclusion : durant cette période, David Byrne s’est mieux illustré comme passeur qu’en tant qu’artiste solo. On retiendra avec plus d’enthousiasme ses compilations de […]
A l’écoute des services d’intelligence du monde entier, David Byrne sort son meilleur album solo, inspiré et radieux.
Un bilan rapide de bientôt dix années d’activités post-Talking Heads amène forcément cette conclusion : durant cette période, David Byrne s’est mieux illustré comme passeur qu’en tant qu’artiste solo. On retiendra avec plus d’enthousiasme ses compilations de musiques brésiliennes ou cubaines que les lectures cérébrales et cul-serré qu’il en fit sur Rei momo et Uh-oh. On le remerciera plus chaleureusement d’avoir tiré Tom Zé de la mouise que de nous avoir infligé ses propres cartes postales de Rio ou Caracas (Byrne). On l’aura préféré en découvreur des géniaux Geggy Tah qu’en touriste à gros sabots dans les carnavals planétaires. En 94, enfin, Byrne retrouvait ses esprits avec un album éponyme auquel il manquait cependant tout ce dont peut s’enorgueillir ce nouveau Feelings, qui rompt clairement avec les recettes de ratatouille mondiale des précédents albums. Ces trois dernières années, Byrne a tapé l’incruste partout où son flair-radar légendaire lui indiquait qu’il se passait des choses : à New York avec l’ex-Hugo Largo Hanh Rowe ou dans le home-studio de la paire Andras et Camus, à Seattle avec le Black Cat Orchestra, à Londres dans la cellule des frères Godfrey (Morcheeba) ou chez les frappés d’Akron, les ex-Devo Mark Mothersbaugh et Jerry Casale.
Curieusement, Feelings n’affiche pas les stigmates habituels de ces albums conçus en pièces détachées, trimballés d’un studio à l’autre, combinés façon puzzle et prêts à s’éparpiller au moindre courant d’air. En prenant pour exemple les récents chefs-d’œuvre de Beck ou de Björk, Byrne ne s’est pas prêté sans condition au jeu dangereux du caméléonisme : il savait cette fois que, malgré les torsions et contorsions que d’autres leur feraient subir, ses chansons conserveraient leur grâce initiale. Dès lors, l’apport extérieur n’est qu’affaire de tartines de cosmétiques un peu chargées parfois, mais jamais vulgaires , sur un album qui n’aurait sans doute rien perdu sans fard. Pour preuve, les meilleurs titres sont également les plus effilés, tel ce pur joyau qu’est A Soft seduction, où David se grime en Roy Or-byrne-son et parvient à défier ce Goliath des sentiments dans l’écrin d’étoiles où il repose. En Morcheeba, qui dispersent à travers quatre titres les boucles inventives et le folk amniotique de Who can you trust , Byrne a peut-être trouvé les équivalents contemporains aux Talking Heads du début des années 80 : on devine d’ici les discussions passionnées sur l’opportunité d’adjoindre un sitar au déjà très enfumé Daddy go-down ou une trompette mariachi sur Dance on vaseline sans déraper dans la farce. Grâce à des astuces horlogères, Finite=alright ou Burnt by the sun montrent aussi Byrne sous un jour poppy assez nouveau. Ailleurs, la country et la jungle mêlent leurs végétations contraires sur You don’t know me, Miss America survole Trinidad en planeur, tandis que They are in love ferme l’album sur un air de fanfare désolée à la manière de Randy Newman. Avec son meilleur album solo, Byrne goûte aussi le plaisir revanchard d’étrangler définitivement ses malheureux anciens collègues de The Heads, pour lesquels nous n’aurons même pas une pensée émue.
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