Une comédie musicale grandiloquente et mal fréquentée, sauvée par un Randy Newman sarcastique et tendre. Il faudra procéder par ordre. Commencer par oublier. Oublier les riches heures du bonhomme, depuis le délicat Randy Newman (create something new under the sun) jusqu’au magistral Little criminals, inventaire décalé, sarcastique et tendre des travers d’une Amérique malade de […]
Une comédie musicale grandiloquente et mal fréquentée, sauvée par un Randy Newman sarcastique et tendre.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Il faudra procéder par ordre. Commencer par oublier. Oublier les riches heures du bonhomme, depuis le délicat Randy Newman (create something new under the sun) jusqu’au magistral Little criminals, inventaire décalé, sarcastique et tendre des travers d’une Amérique malade de sa trop bonne santé. Occulter la suite, ce salmigondis d’albums boiteux, maculés d’exactions de squales patibulaires et d’absences délictueuses. Feindre une indifférence polie à la lecture du générique hollywoodien – Don Henley, Elton John, Bonnie Raitt, Linda Ronstadt, James Taylor, raout mondain et rance dont on ne retiendra que la brillance de voix souvent exceptionnelles.
Oublier encore Goethe, Mann, Berlioz, Liszt, Gounod ou René Clément, oublier aussi Tommy, Broadway, Fame et Chorus line.
Oublier même jusqu’au rock, jusqu’à la pop, se débarrasser de tout préjugé. Puis entrer franchement dans ce Faust foisonnant, ballotté entre gospels monumentaux et comédies musicales surannées, glisser sur quelques arrangements volontairement pompiers, s’accrocher aux murs le temps que brame l’irrécupérable Don Henley (à moins qu’il ne se parodie lui-même, mais là, ce serait particulièrement vicieux), et reconnaître enfin que Randy Newman, par-delà cet amoncellement de conditions pléthoriques, a réussi un coup dont on ne le croyait plus guère capable. L’exercice était pourtant singulièrement casse-gueule : s’approprier un mythe plusieurs fois centenaire, disséqué jusqu’à satiété par une myriade de penseurs et d’artistes, pour le resservir sous forme de ce qu’on appellera, faute de mieux, opéra-rock. Le mot sonne comme une injure.
Mais Randy Newman a bien retenu les leçons de ses oncles, compositeurs de comédies musicales et de bandes originales à Hollywood. Ici, la trame ne perd jamais de vue des chansons retrouvées pas de digressions instrumentales assommantes, aucun délire baroque qui n’ait son utilité. Les requins sont cette fois pour l’essentiel domptés et le fâcheux conviés au festin oublient un temps leur fatuité. Ce qui dédouane surtout l’entreprise de toute critique, c’est le grand humour dans lequel elle baigne. Pas question de prendre un seul instant au sérieux cette histoire d’adolescent débile, objet d’un pari entre Dieu et démon. A ce titre, la simple lecture des notes de pochette reste un grand moment. Mais, paradoxalement, c’est quand Newman oublie de badiner, quand il s’abandonne, ainsi que ses interprètes, à la caresse d’un orchestre généreux ou de son piano désenchanté, qu’il convainc le mieux. Chez le clown sardonique, ce sont d’abord les failles et les accès de tendresse qu’on guette avec le plus d’ardeur. Ce sont là les vrais échardes d’un disque déraisonnable qu’il conviendra d’avoir le courage d’écouter.
{"type":"Banniere-Basse"}