Toujours plus fascinants, les Anglais de Wild Beasts
étirent la pop-music vers le silence. Critique et écoute.
Histoire de yin et de yang, de pile et de face, d’hiver et d’été. De même que la terre enfante chaque semaine un nouveau représentant de sunshine pop, élevé au son des Beach Boys et des Byrds sous un palmier californien, la planète bleue accouche tout aussi régulièrement de formations élevées au rock lunaire de Talk Talk, préférant l’ombre à la lumière.
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Beaux représentants de cette catégorie, les Anglais de Wild Beasts jouissent depuis quelques années d’un vrai succès critique – leur second album, Two Dancers, eut le privilège de concourir pour le Mercury Prize britannique. Porté par la voix haut perchée de son leader Hayden Thorpe, le groupe est passé maître dans l’art de manier les guitares verglacées.
Troisième volet d’une discographie sans faute, Smother confirme cette inclination. Wild Beasts joue de la musique de fonds marins, de nuit polaire, de refroidissement de la planète. “Smother a été enregistré dans un studio isolé du pays de Galles, en plein hiver. Il neigeait tout le temps. Ça a forcément eu un impact sur le son du disque. Nous avions besoin de rester isolés, pour nous concentrer sur la musique, redevenir cette personne à plusieurs têtes qu’est le groupe.”
Les atmosphères feutrées, les ambiances glaciales conjuguées à la voix de fausset de Thorpe ont rapidement valu à Wild Beasts de drôles de casquettes. “On a écrit que nous composions une musique sexuelle, ou à fort caractère érotique. C’est assez surprenant. Ce n’est pas comme si on s’amusait à imiter Lady Gaga en jouant une musique qui parle ouvertement de sexe. On a simplement cherché à jouer une musique humble, humaine, sensible. C’est peut-être en ce sens qu’elle a été rattachée à la sexualité.”
Soyez prévenus, Wild Beasts ne supporte d’ailleurs aucune étiquette : si celle d’indie-band est vécue comme une insulte, celle de band tout court sera aussi mal accueillie. “Les rôles ne sont pas fixes au sein de Wild Beasts. On fonctionne moins comme un groupe que comme un collectif. Ça peut être compliqué parfois, car personne ne se souvient de la partie qu’il est censé jouer ou chanter. Beaucoup de choses sont interchangeables.”
Conséquence de cette géométrie variable, Smother est un objet éclectique : quelques écoutes s’imposent pour qu’il dévoile sa cohérence. Il trouve alors sa place, pile poil entre les derniers albums de Beach House et Caribou (Albatross). Les échos du romantisme de Mark Hollis continuent d’illuminer l’ensemble, de Burning à Bed of Nails. Mêmes grimpettes lyriques, même pop givrée, mêmes mélodies-culbuto. Le tout servi par une production froide et distante.
“Nous avons appris à composer de la musique calme. Il nous a fallu du temps et de l’expérience. C’est tellement plus simple de faire du bruit. Il faut du cran, un vrai courage, pour préférer la nuance au vacarme. En ce sens, c’est notre oeuvre la plus humaine et personnelle à ce jour. Les musiciens ont tendance à être des individus fragiles. Smother est le petit monde rassurant dans lequel on peut se réfugier dès que le besoin s’en fait ressentir.” Sa porte est ouverte à tous.
Johanna Seban
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