Ces faux frères anglais s’étaient juré de forcer la pop-song à retourner fissa au laboratoire. C’est donc avec la pop expérimentale, ludique, dansante et résolument postmoderne de Family is for sharing que les Brothers In Sound émergent aujourd’hui à l’air libre. Un air très libre et aux senteurs suspectes. Comme les Ramones et les Sœurs […]
Ces faux frères anglais s’étaient juré de forcer la pop-song à retourner fissa au laboratoire. C’est donc avec la pop expérimentale, ludique, dansante et résolument postmoderne de Family is for sharing que les Brothers In Sound émergent aujourd’hui à l’air libre. Un air très libre et aux senteurs suspectes.
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Comme les Ramones et les Sœurs Sourire, les Brothers In Sound ont pour unique lien de parenté le hasard des circonstances et doivent leur coalition en fraternité de fortune à un seul géniteur : l’ennui.
Fin des années 90 sur les bancs du collège de Bournemouth, balnéaire refuge du Sud de l’Angleterre : Paul, Andy et Ed comptabilisent les heures dépensées séparément dans quelques médiocres formations de rock ferrugineux à brûler des calories pour des prunes. Ils appartiennent à la génération qui n’avait pas encore le droit de sortir en club quand Screamadelica de Primal Scream tournoyait comme un soleil artificiel sur les parois des usines à danser. Pire, ils n’étaient pas nés quand Joy Division vibrait tel un feu follet sur les ondes de Radio One et, du temps des Stone Roses, ils n’avaient pas encore perdu ce premier pucelage que sont les petites roulettes des bicyclettes. Le nom de John Peel les fait autant fantasmer que celui du duc d’Edimbourg : une idole des vieux.
Bref, Paul, Andy et Ed, les Castors Juniors de Bournemouth, n’ont à l’époque que les moisissures de la brit-pop à se mettre sous la dent et qu’un seul dieu électrique vivant à vénérer, Kurt Cobain. « Nirvana nous a lavé les oreilles de tous les déchets musicaux accumulés à la fin des années 80. Leur son est le seul qui nous ait à l’époque fait dresser les cheveux sur la tête, son arrivée fut salutaire mais trop tardive tout de même pour nous convertir aux seules joies du rock’n’roll. »
Car notre trio a aussi laissé traîner ses tympans en direction des radars de la musique électronique et, au moment d’investir quelques livres sterling dans le magasin de musique, leurs regards se portent plutôt en direction des rangées de samplers que du mur de guitares. « Depuis le punk, la dance était la seule musique qui remettait le do it yourself au goût du jour, on avait trop perdu de temps à faire du rock de façon classique, l’opportunité d’aborder la création sous un angle totalement nouveau était trop belle : on a foncé. »
Et quand ils cherchent un nom générique à leurs balbutiements electro-pop, ils mettent dans un shaker quelques noms de bâtisseurs de sons confraternels, Brothers In Rhythm, Masters At Work et dégoupillent le leur : ils seront frères de son, à la vie à la mort, et se mélangeront les décibels et les fréquences comme d’autres les globules. Family is for sharing, titre de leur premier album en fait une collection des trois maxis parus ces dernières saisons , en rajoute une louchée quant à leur désir de s’inventer un code génétique commun. Et lorsqu’on leur demande quel serait le père idéal pour ces faux frères, ils prétendent hésiter parmi une cinquantaine de noms. « Ce serait forcément une expérience scientifique bizarre de faire une recherche en paternité. » Sur leur site Internet, ils livrent pourtant quelques noms possibles (Alain Delon peut se rassurer, il n’est pas cité) parmi lesquels ceux de Stevie Wonder, Julian Cope, The Meters, George Clinton, Doctor John, Herbie Hancock, Orbital, Devo, Lambchop, De La Soul et Nick Drake.
Un sacré mélange interracial et transgénérationnel d’influences que l’on retrouve assurément éparpillé dans les replis et les tissus poreux de leur musique, laquelle est la plus vivante et insaisissable entendue cette année. Mais au lieu d’un inventaire de madeleines étouffe-crétins à la Daft Punk, les Brothers In Sound ont su distiller élégamment ces sources vives en un canal fluide et éblouissant, préférant l’intuitif au récitatif, la mise en abyme psychédélique aux collages pop-art.
De la même manière que leurs collègues de label Beta Band, King Biscuit Time ou Orange Can, ils utilisent leur discothèque comme un carburant et non comme un pilote automatique. Capables comme Syd Barrett ou New Order de faire tenir des mélodies bouleversantes sur un fil de funambule (Breathing, Scene from the boozer, un Mannequin déshabillé et acoustique), ils savent également opérer des greffes totalement improbables et néanmoins subtiles, tel ce Hey you où l’on croit entendre Grandmaster Flash produit par Brian Eno. Gourmands, ils se verraient bien pris en charge par quelques vieux sorciers des studios tel David Axlerod, l’homme qui transforma les Electric Prunes garage en chorale psyché-liturgique, Lee Perry ou sa sainteté Phil Spector.
Et comme leurs rêves sont décidément trop grands, ils ont décidé de les réaliser seuls. « Nous avons fait une tentative d’expatriation à Londres pour fréquenter d’autres groupes, mélanger nos expériences, nous avions la trouille de nous retrouver livrés à nous-mêmes. Et puis nous sommes finalement revenus au bercail, dégoûtés par l’atmosphère qui régnait là-bas. Nous nous sommes enfermés dans un studio en pleine campagne, dans un cottage avec une vue magnifique sur le néant. Le premier magasin était situé à dix kilomètres, nous n’avions ni voisin ni téléphone. Pour le premier enregistrement en 98, nous pouvons nous souvenir avec précision du temps qu’il faisait et de la couleur de nos vêtements mais pas de ce qui s’est passé en studio. Tout s’est déroulé comme dans un tourbillon, un peu comme un dépucelage, nous avons mis nos machines en route, palpé les instruments, enregistré des bribes de sons, assemblé des parties entre elles et tout ça a donné des morceaux. Nous nous sommes sentis comme avalés, absorbés par nos propres sons. On comprenait qu’il y avait une vraie fluidité entre nous, on parvenait à se comprendre sans même se parler, c’était assez déroutant. »
Et s’ils fanfaronnent un peu à propos de leur surproductivité (« Nous avons au moins l’équivalent de huit albums avec ce que nous avons accumulé en trois ans »), ils ne sentent pas encore l’heure venue de bâtir leur grande œuvre, préférant rassembler les morceaux déjà parus et capitaliser un culte embryonnaire plutôt que de griller prématurément leur plus fumeuse cartouche. « Nous n’avons qu’une seule ambition : parvenir à faire un album classique, un disque que les gens puissent encore écouter dans vingt ans. » Et quand on leur demande de citer des albums à leurs yeux « classiques », Innervisions de Stevie Wonder, le White album des Beatles et le premier Velvet se partagent le podium et ils avouent se sentir effrayés par le challenge.
Leurs pieds tendres à peine posés sur le premier barreau de l’échelle faramineuse de leur ambition, ils pensent déjà aux sommets mais personne ne songerait à leur couper les ailes. Car il y a dans Family is for sharing suffisamment de signes annonciateurs qui donnent envie d’y croire malgré tout. Il y a des instrumentaux au groove infectieux Leave (glide out) et son étrange relecture en biais de My Bloody Valentine , des refrains fumigènes entortillés dans des canevas floydiens, une drôle de déclaration adressée à Lauryn Hill, une séance troublante de Levitation et des facéties de musique concrète, deux versions d’un Journey song qui feraient un carton dans le catalogue Nouvelles Frontières à la rubrique « Aventures spatiales et naturisme ».
Tout cela est bien sûr encore un peu frêle, mal assuré et naïf et il a fallu le concours d’un vétéran electro, Kirk Degiorgio (fondateur de Applied Rhythmic Technologies, producteur de Black Dog, As One et 4 Hero), pour mettre un peu de kérosène dans leur réservoir à idées. « C’était essentiel à un moment de s’en remettre à quelqu’un d’expérience pour décanter tout le bordel accumulé dans nos têtes, mais désormais nous nous sentons mûrs pour envisager les choses selon notre propre regard. Comme Lee Perry et Phil Spector ne sont pas libres et qu’aucun producteur ne leur arrive à la chaussette, nous ferons selon nos moyens. »
La fraternité inventée entre Ed, le petit blond que l’on croirait échappé de Hanson et d’un accident nucléaire, Paul le beau brun et Andy, l’autre blond à chevelure Led Zep, a de beaux jours et des beaux jeux devant elle. A propos d’Innervisions sur leur site, ils disent « La chose amusante, c’est qu’il s’agit d’une musique multidimensionnelle dans le sens où elle marche aussi bien pour ressentir des frissons tout seul que pour écouter entre potes avant de sortir boire un verre. » On espère encore longtemps leur retourner le compliment.
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