Vraie famille, le collectif londonien Family Atlantica décline son funk tropico-psychédélique au son des tambours du Venezuela. Critique et écoute.
« Elle nous crie à pleine voix, avec un formidable sens du rythme, des chansons des faubourgs au goût tour à tour de cour d’immeuble, de raffinerie de sucre, d’échoppe de Chinois ou de fête abakua.” Ces lignes de l’écrivain cubain Alejo Carpentier à propos de sa compatriote Rita Montaner datent de la fin des années 1920. Mais elles pourraient aussi bien s’appliquer au style de la chanteuse Luzmira Zerpa, qui reprend aujourd’hui El Manisero, popularisé à New York et Paris dès 1928 par cette Rita de Cuba, qui en fit le premier tube de l’histoire de la musique tropicale (The Peanut Vendor, en anglais, sera par la suite interprété par Louis Armstrong, Mistinguett et même les Beatles).
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Si Luzmira Zerpa a les qualités d’une grande chanteuse latine, sa version d’El Manisero avec le groupe Family Atlantica relève la chanson de breaks funk et de cocottes de guitare africaine. Une mise à jour légitime quand on sait que le morceau est aussi depuis belle lurette un standard en Afrique de l’Ouest. Luzmira, quant à elle, vient du Venezuela, via l’Angleterre, où elle a rencontré il y a dix ans son compagnon Jack Yglesias, producteur de Family Atlantica.
Alors qu’elle finance ses études outre-Manche en chantant dans des bars de Londres accompagnée de son cuatro vénézuélien (une petite guitare à quatre cordes), lui est déjà à l’époque un percussionniste chevronné, membre des groupes Quantic et The Heliocentrics. Ensemble, ils conçoivent une aventure dont l’idée est d’intégrer le Venezuela sur la carte des musiques actuelles. “Ici, on ignore tout de la richesse du folklore vénézuélien, souligne Jack. D’un autre côté, les gens, là-bas, jouent ces musiques afin de les préserver mais sans les mélanger. On a cherché à ouvrir un dialogue entre ces tambours qui n’étaient jamais sortis du Venezuela et d’autres traditions qui sont aussi le fruit d’échanges transatlantiques.”
Pour mener à bien son ambition, le couple a l’avantage d’évoluer à Hackney, dans l’un des quartiers les plus cosmopolites de l’Est londonien. “On a vécu toutes ces années dans un squat d’artistes baptisé The Manor, explique Luzmira. On habitait avec des musiciens de tous les horizons, et notamment africains. Notre ‘famille atlantique’ s’est forgée autour de cette expérience communautaire.”
Au duo originel s’est greffé le percussionniste d’origine nigériane et ghanéenne Kwame Crentsil, constituant un noyau dur à l’image des trois continents qui bordent l’Atlantique. Outre ses invités de marque (le prince de l’éthio-jazz Mulatu Astatke, le groupe de rumba cubaine Yoruba Andabo), les sessions de l’album ont vu passer un collectif de musiciens aussi bigarré que son instrumentation, avec kora, guembri, guitare électrique, violon, violoncelle et percussions en tout genre.
Sa réalisation a aussi poussé Luzmira et Jack à voyager avec leurs micros, pour capter in situ les tambours et chants traditionnels du tamunangue dans le village de Sanare où Luzmira a grandi, sur les contreforts des Andes vénézuéliennes. On entend la voix du père de la chanteuse sur Tamunangue Blues, tandis que le fils de son union avec Jack, né au cours de l’enregistrement, fait une apparition furtive sur Gaíta psychedelica. Pas peu fiers, les parents affirment qu’il parle déjà non seulement espagnol et anglais, mais aussi quelques mots de wolof.
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