L’un des grands albums calmes du début de l’année est l’œuvre de l’ex-guitariste des furieux Test Icicles. Lightspeed Champion, véritable machine à styles variables et mélodies sucrées, touché par la grâce.
Du sang et des bleus, des fumées électriques et des substances dures, des sauts périlleux et des oreilles cassées, des angles aigus et des courses sur les braises : quiconque a écouté l’album des Test Icicles, quiconque se souvient – les jambons enflammés et la tête chamboulée – d’un concert des gredins peut louer le Seigneur d’avoir survécu. Les Test Icicles : quelque temps avant les Klaxons mais avec bien moins de compromis encore, une novation rude et frappadingue, une carrière en fusée et une musique de bombe atomique. Une folie, cramée en quelques mois. “C’était cool, dit leur ex-guitariste Devonte Hynes alias Lightspeed Champion. On s’est bien amusés, on a passé du bon temps. »
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Ce passé en tête, on ne s’étonnera pas en s’enfonçant dans l’album postapocalyptique de Hynes. On tombera carrément des nues. Délicat et mousseux, pop et lumineux, caressant et Technicolor, grandiose par moments et grand le reste du temps, il est l’antithèse parfaite des batailles sanglantes des Test Icicles : Devonte Hynes semble avoir beaucoup changé. Apparence trompeuse. Il n’a pas changé, n’a pas mué, ne s’est pas renié. Falling off the Lavender Bridge n’est qu’une étape, parmi d’autres, au milieu d’innombrables projets, dont l’un avec l’excellent Tom Vek. Dans cinq ans, peut-être, un deuxième album de doom-metal joué à l’ocarina, un disque de transe-goa sifflé – mais ce sera sans doute, quoi qu’il arrive, superbe.
Il est comme ça, Dev : un garçon à cervelle trop pleine d’où airs collants et chansons brillantes sortent comme des éternuements, comme une obligation. Et comme un puzzle, dans le désordre des styles, dans le chaos des genres. “J’ai des choses qui passent dans ma tête, et il faut que je les sorte au plus vite, que je les couche sur bandes. Et ce ne sont pas des bouts de trucs : ce sont souvent des albums entiers, le format m’obsède. Je passe du temps à les enregistrer, souvent pour moi-même, c’est un besoin, intime. »
Devonte fait donc ses albums comme on colorie une BD, selon l’humeur, en tout rouge ou tout pastel. ça tombe bien : le brillant garçon dessine aussi, à ses heures perdues. Pendant musical d’un volume dessiné, Falling off the Lavender Bridge est à l’image de son auteur. Entre deux mondes : Hynes est né à Houston, Texas, puis a traversé l’Atlantique, avec famille et idées. Il a écrit ses maquettes en Angleterre, elles se sont retrouvées aux Etats-Unis entre les mains de Mike Mogis, tête du label Saddle Creek et producteur de The Faint, Jenny Lewis ou Bright Eyes. Enregistré avec Mogis à Ohama au Nebraska, Falling off the Lavender Bridge est une œuvre binationale, de la pop moelleuse ou un folk des grands espaces, de l’ameripop ou de la briticana.
Au-dessus de ce petit Atlantique que les Britanniques appellent la mare, c’est un pont entre deux univers, qui relie les brillances britanniques et la sincérité américaine. Et seul le sucre formidablement collant de mélodies increvables peut offrir des haubans suffisamment solides à cette œuvre périlleuse. “Je suis totalement fan des refrains, mélodies et harmonies, reconnaît Devonte Hynes. Aussi jeune que je puisse me souvenir, je les ai toujours vus comme des choses extraordinaires. J’ai regardé en famille beaucoup de comédies musicales : une comédie musicale, tu mets tout ce que tu as, si la chanson est mauvaise tout se casse la gueule. Quelque chose de puissant, d’immédiat, doit capturer ton attention et ne jamais plus la lâcher.”
Et comme une comédie musicale, comme le déroulé des cases d’une BD, Falling off the Lavender Bridge est une longue, passionnante, haletante narration. Ses morceaux, arrangés et enregistrés avec un joli sens du détail (Tell Me What It’s Worth, tube en devenir, les très belles Devil Tricks for a Bitch ou Salty Water), s’articulent comme une grammaire colorée, comme les plats et les collines d’une histoire romantique, les rebondissements et les creux d’un scénario hollywoodien. Une chanson, plus que toutes les autres, découvre la sensationnelle capacité d’Hynes pour la beauté à tiroirs. Le morceau de bravoure s’intitule Midnight Surprise : avec un tel personnage la surprise ne fait que débuter.
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