Hannah Marcus nous fait croire aux sorcières : elles seules pouvaient rendre le folk aussi érotique et troublant. En 1993, une modeste compilation régionaliste, Hit me with a flower (the new sounds of San Francisco), apportait la bonne nouvelle : à l’Ouest, il y avait du nouveau. Aiguillon, puis précieux viatique, ce bouquet de chansons […]
Hannah Marcus nous fait croire aux sorcières : elles seules pouvaient rendre le folk aussi érotique et troublant.
En 1993, une modeste compilation régionaliste, Hit me with a flower (the new sounds of San Francisco), apportait la bonne nouvelle : à l’Ouest, il y avait du nouveau. Aiguillon, puis précieux viatique, ce bouquet de chansons fleuries aiguisait diablement l’appétit. On y dévorait Penelope Houston ou Swell et, surtout, le Demerol d’Hannah Marcus, mélopée épanouie à l’entêtant parfum de pharmacopée. Pour enluminer cette chute, une voix d’une envergure impressionnante prenait son essor loin au-dessus de la guitare de Mark Kozelek. Initiée au violon dès le berceau par un père musicien classique, Hannah avait quitté New York (et jeté son dévolu sur le piano et la guitare) au sortir de l’adolescence, fait un passage éclair dans Viva Saturn, (le groupe de Steve Roback, frère du patron tête de mule de Mazzy Star), puis hanté tous les bars et clubs où le folk hume les derniers effluves du psychédélisme. Aujourd’hui, c’est de la fournaise de Los Angeles qu’arrive Faith burns. Sur la pochette, une boussole entrée en matière provocatrice pour un album au contact duquel il n’est aucunement exclu de perdre successivement le nord, son latin puis la boule (de cristal, seul ustensile apte à sonder les intentions insensées d’Hannah Marcus). Plutôt que de continent inconnu, on parlera d’archipel merveilleux, aux îles baignées par des courants contraires, à l’harmonie paradoxale : Faith burns chamboule insolemment nos petites certitudes climatiques. Ici, une torch song (variante enflammée de la chanson d’amour) moulée dans un fourreau de satin carmin (Pardon me Mr Sunrise, déraisonnablement voluptueux) voisine avec une complainte country neigeuse (Never too late to cry). Ailleurs, la reprise du First time ever I saw your face autrefois chuchoté par Roberta Flack dodeline au rythme d’un funk lilliputien, tandis que le sublime Ariel, accompagné d’une guitare sèche solitaire, musarde au long de sentes secrètes délaissées depuis le Pink moon de Nick Drake. Toujours, le son intimide un son savant, d’une sidérante souplesse, qui ignore la lésine et le jeûne autant que la flatulence pansue. L’espace s’y dilate à l’infini, la voix schizophrène (méconnaissable d’un couplet à l’autre) ondoie dans un labyrinthe de miroirs où divaguent les choeurs, les percussions tintinnabulent au gré de brises tournantes. Ombrée par des traînées d’accordéon, scandée par un saxophone contorsionniste venu de chez Tom Waits, la saga de Los Angeles fournit la trame de chansons cruelles. Un bel acteur blond crève la bouche ouverte sur le trottoir de Sunset Boulevard (River Phoenix), les émeutes et le désir allument des brasiers aux quatre coins de la cité et au creux des reins d’Hannah. Sensuelles ou incandescentes, les images volages, aux inconstances enthousiasmantes, rendent dérisoire toute velléité de fournir la clé (entourée d’herbes folles au verso de la pochette) d’un disque Houdini, que l’on n’est pas près de garrotter dans les rets rapiécés du rationalisme.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}