Touchés de plein fouet par la crise entraînée par le Covid-19, les attachés de presse indépendants du secteur de la musique, rassemblés en syndicat, demandent une reconnaissance du métier et les aides qui vont avec. Rencontre avec Cécile Legros, présidente de cette nouvelle structure nommée APRES, et Thibault Guilhem, co-initiateur.
“On est là pour promouvoir toute la musique. Et avec l’arrêt du spectacle vivant, c’est toute la musique qui est à l’arrêt”, lâche Thibault Guilhem. Attaché de presse indépendant spécialisé dans le secteur de la musique, il est l’un des co-initiateurs du syndicat APRES – pour Attaché·e·s de Presse, Réseau d’Entraide et Syndicat -, qui s’est monté le 7 octobre dernier.
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Dans une tribune publiée le mardi 3 novembre, les co-signataires, près de 150, réclamaient “une vraie prise en compte des spécificités” d’un métier particulièrement exposé à la crise entraînée par le Covid-19, mais que ni les ministères de la Culture et de l’Economie et des Finances, ni le Centre National de la Musique (CNM), ne reconnaissent comme faisant totalement partie du secteur de la culture : “Le CNM nous dit, pour l’instant, que nous ne sommes pas directement des créateurs de valeur artistique”, confie Cécile Legros, présidente du syndicat.
Une demande urgente
S’ils ont bénéficié jusqu’au mois de juin du Fonds de solidarité, les attachés de presse indépendants du secteur de la musique ne peuvent désormais plus prétendre aux aides attribuées à une partie du secteur culturel aujourd’hui : distribution de films, spectacle vivant, artistes auteurs, photos, enregistrements sonores et éditions musicales, regroupés dans les secteurs dits S1 et S1 bis des activités soumises à des restrictions d’activités.
En d’autres termes, tandis que le secteur de la musique live est à l’arrêt et que le disque fonctionne au ralenti, les RP, dont les revenus dépendent directement de ces activités, ne sont pas considérés comme faisant partie des entreprises du secteur culturel et ne peuvent pas compter sur l’aide forfaitaire de maximum 1500 euros prévue par le ministère de la Culture.
D’où, parmi les quatre revendications principales du syndicat, la demande expresse d’élargir le “Fonds de Solidarité à notre activité spécifique en liste S1, avec rétroactivité sur les mois de juillet, août, septembre et octobre 2020, et sa prolongation jusqu’à la fin de la crise sanitaire” et l’exigence d’une “reconnaissance effective de notre profession génératrice de création artistique par le Centre National de la Musique (CNM)”.
Alors que les attachés de presse du cinéma, regroupés au sein de l’association CLAP (Cercle libre des attaché(e)s de presse de cinéma), qu’ils ont montée au lendemain des premières annonces de fermeture des lieux culturels en mars dernier, ont obtenu, par l’entremise du CNC (Centre National du Cinéma et de l’Image Animée), cette nouvelle qualification, leurs homologues de la musique tirent la langue. Rencontre avec Cécile Legros, présidente de cette nouvelle structure et Thibault Guilhem, co-initiateur.
A partir de quand est-il devenu urgent pour vous, les attachés de presse indépendants dont le cœur d’activité est la musique, de vous réunir en syndicat ?
Cécile Legros – C’était dans les tuyaux depuis longtemps. Nous étions nombreux, de manière disparate, à se dire qu’il serait pas mal de se fédérer et de mutualiser nos forces pour se faire entendre quand il y a des besoins, et de faire connaître ce que l’on vivait au quotidien dans notre métier d’attaché de presse. On se le disait autour d’un verre ou d’un café, mais finalement on ne l’avait jamais fait.
Puis est arrivé le Covid, une crise sanitaire assez dingue, qui voit tous nos événements annulés, les sorties d’albums repoussées. Tout est d’un coup devenu compliqué. On se rend compte, en discutant les uns avec les autres, qu’il n’y aura probablement plus beaucoup de rentrées d’argent avant longtemps. Même si on a pu bénéficier du Fonds de solidarité au début, on ne fait finalement partie d’aucune institution au sein de l’écosystème de la musique. Quand le CNM s’est créé et a monté des groupes de réflexion autour de la crise en cours, nous n’avons jamais fait partie de l’équation. On a beaucoup parlé d’aides, mais les attachés de presse n’en ont aucune.
Pour faire simple, toutes les aides qui sont aujourd’hui accordées au secteur de la culture et plus spécifiquement à ceux de la musique et du spectacle vivant, on n’en fait pas partie. Ce qui fait notre spécificité, c’est-à-dire le travail de l’ombre, en pleine crise, nous a pété à la gueule. Soudainement, on est passé en dehors des radars.
“Nous faisons tous partie de cet écosystème et nous défendons tous cette richesse et cette diversité musicale”
D’où votre souhait d’élargir le Fonds de solidarité à votre activité et votre demande de reconnaissance de spécificité ?
Thibault Guilhem – On veut être considéré comme faisant partie de la culture. Actuellement, d’un point administratif, nous faisons partie de la communication, nous n’avons donc plus droit au Fonds de solidarité. Or, les attachés de presse de la musique, pour la plupart, ne font que de la musique. A titre personnel, je ne serai pas capable de faire la promo d’un restaurant ou de quoique ce soit d’autre. S’il m’arrive de travailler sur un livre, il concernera la musique. On ne fait que de la culture et par conséquent, nous sommes tout autant impactés qu’un label, un distributeur ou un tourneur. On est tous dans le même bateau.
C.L. – On demande que l’on considère les dommages que la crise sanitaire a sur nos activités. Quand tu peux avoir le Fonds de solidarité jusqu’à juin et qu’en juillet, quand tu fais tes demandes, tu ne fais plus partie des gens qui peuvent prétendre à une aide, ce n’est pas possible. Certes, on ne fait “que” de la communication, mais uniquement dans la culture et la musique. Certaines personnes n’ont plus rien depuis juillet. Et personne ne nous aide.
“On sait tous que la crise telle qu’on la connaît aujourd’hui va durer deux, voire trois ans”
T.G. – Au moment où le premier Fonds de solidarité a été mis en place, certains étaient engagés dans des missions, les gens étaient payés. Ils se sont retrouvés dans la situation où, quand il était possible d’y avoir accès, ils ne l’ont pas sollicité. En revanche, quand il n’était plus possible d’y prétendre, c’est là que les contrats ont commencé à s’affaiblir, voire à carrément disparaître. L’année prochaine, j’ai sept albums dont je sais que je dois faire la promo, mais je n’ai aucune date de sortie. Ils peuvent même être décalés à 2022, au train où ça va. On sait tous que la crise telle qu’on la connaît aujourd’hui va durer deux, voire trois ans. C’est pour cela que nous avons besoin du Fonds de solidarité jusqu’à la fin de cette crise. Et de façon rétroactive.
Au-delà des situations précaires que cette crise peut engendrer, c’est aussi toute une génération de jeunes artistes qui risquent de ne plus être représentés.
C.L. – Si on n’aide pas notre petite corporation à survivre pendant cette crise, une bonne moitié des attachés de presse que nous sommes pourrait jeter l’éponge. Et parmi elle, les plus jeunes, la relève. Et c’est effectivement une partie du travail de promo sur l’émergence et la diversité qui va en être impactée. Qui, dès lors, pour aller chercher les niches ? Et que faire des projets les plus modestes ? Qui pour aller défendre un seul titre, un seul clip ? Ce n’est pas parce que ton cœur d’activité ne concerne pas les réseaux FM que tu n’as pas voix au chapitre. Nous faisons tous partie de cet écosystème et nous défendons tous cette richesse et cette diversité musicale.
Votre tribune a-t-elle, jusqu’ici, été entendue par une quelconque autorité, qu’il s’agisse du ministère de la Culture, du ministère de l’Economie ou du CNM ?
C.L. – Mi-octobre, nous avons envoyé un courrier aux députés, sénateurs et membres de la commission des affaires culturelles, qui font les rapporteurs sur les lois de finance auprès du ministère. Sur la centaine de personne contactées, une seule a pris la peine de prendre un rendez-vous avec nous, pour chercher à mieux comprendre la situation. En sachant que le courrier est parti auprès de tout le monde : chefs de cabinet et autres, au ministère de la Culture, à l’Elysée, chez le Premier ministre et au CNM. On a conscience que la situation nous dépasse totalement, que notre petite corporation, c’est une goutte d’eau. Sauf que là, on s’adresse à des gens qui sont censés comprendre ce qu’il se passe dans notre métier. Alors, qu’est-ce qu’on fait ?
En mars dernier, les attachés de presse du cinéma se sont constitués en association : l’association CLAP. Même si toutes leurs revendications n’ont pas encore été entendues, ils ont pu, à la fin de l’été, bénéficier des aides du Fonds de solidarité, au même titre que les créateurs.
C.L. – Quand ils se sont constitués, ils espéraient pouvoir engager un dialogue avec le CNC. Il n’y avait plus de film, plus de budget, plus rien. Il faut croire qu’ils ont été reçus, que les démarches nécessaires ont été enclenchées et que les choses ont été actées. Je nous souhaite à nous aussi que la conversation que nous avons aujourd’hui ne soit plus d’actualité la semaine prochaine, que l’on soit écouté, que le Fonds de solidarité pourra être maintenu pour la suite et que l’on aura la rétroactivité que l’on demande. Mais pour cela, il faut arriver à atteindre les bonnes cibles politiques.
T.G. – On a parfois l’impression que dans la culture, la musique est invisible et qu’au sein de la musique, les attachés de presse le sont encore plus. Cette sensation de ne pas exister.
Dans le cas des attachés de presse du cinéma, le CNC a joué un rôle prépondérant. Qu’en est-il du CNM ?
T.G. – Le truc avec le CNM, c’est que c’est encore très jeune. Le CNC est une institution établie depuis des années, qui a eu le temps d’avoir beaucoup d’appuis politiques et de soutiens.
C.L. – Si on est déçu que le CNM n’ait pas encore pris notre situation plus en considération on sait aussi que, pour eux, la situation est délicate et que leur début d’activité a été largement perturbé et impacté par cette crise. On peut comprendre que l’on n’ait pas été la priorité. Mais avec la constitution effective du syndicat et cette tribune, nous voulons maintenant qu’ils nous prennent enfin en compte, notamment dans le cadre de la répartition des aides du gouvernement. On ne peut plus attendre que les aides ruissellent. Ce n’est pas acceptable au vu de la situation.
A combien estimez-vous les pertes du secteur aujourd’hui ?
C.L. – La moyenne de la baisse du chiffre d’affaires sur la première phase de confinement et ses lendemains, donc de mars à juillet, tourne autour de 70%.
Propos recueillis par François Moreau
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