Riche de ses expériences de DJ et de ses multiples collaborations, le jeune Anglais Kieran Hebden offre un nouveau chapitre, dansant et capiteux, à son projet electro Four Tet.
[attachment id=298]Le plus souvent, ce sont des disques que l’on évoque lorsqu’on parle de trésors cachés : album déniché en vide-grenier, vinyle trouvé dans un vieux carton de papa. Pourtant, les trésors cachés sont aussi parfois des hommes : dans l’ombre et loin des foules, ils sont les idoles discrètes des grands de ce monde. Ainsi le Londonien Kieran Hebden, via son projet solo Four Tet, est le héros caché de Radiohead : il a partagé une tournée avec Thom Yorke et sa petite bande en 2003, a remixé le morceau Scatterbrain et est régulièrement remercié par le groupe dans ses entretiens ou livrets d’albums. Un soutien à la fois étonnant et révélateur.
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Car même si depuis 1999 et le premier album, Dialogue, Four Tet opère dans la confidentialité, sa réputation lui a permis une impressionnante brochette de collaborations : des remixes pour The Notwist, Aphex Twin ou Bloc Party, des DJsets aux côtés de James Holden ou Timo Maas ou encore deux albums enregistrés après une série de concerts de musique improvisée avec le percussionniste Steve Reid, collaborateur de Sun Ra, Miles Davis, James Brown, Archie Shepp ou Fela Kuti.
Le jeune homme, qui a commencé dès 16 ans (il en a le double aujourd’hui) au sein du fondateur trio post-rock Fridge, affiche ainsi un CV à faire passer Jean-Louis Murat pour un mou du genou. “J’ai toujours eu l’habitude d’avancer vite, d’enchaîner les projets. J’ai commencé Fridge alors que j’étais encore au lycée : très tôt, j’ai appris à décider qu’une oeuvre était terminée, qu’il fallait passer à autre chose. J’ai la chance d’avoir des occupations très variées : un soir je suis DJ, le lendemain je travaille sur un remix, le jour suivant je suis en tournée et la semaine d’après je collabore avec quelqu’un. Je pense que je deviendrais complètement fou si je devais travailler comme les groupes de rock. Quand je vois un groupe comme les Killers : le bassiste joue les trois mêmes notes du même morceau du même set chaque soir pendant un an. On a beau partager la même profession, j’ai l’impression qu’on vit dans deux mondes différents.”
Lorsque Kieran Hebden n’officie pas comme DJ dans un club, c’est dans sa chambre qu’il passe la plupart de son temps : c’est là, seul derrière son ordinateur, qu’il a composé la discographie de Four Tet, dont There Is Love in You constitue aujourd’hui le cinquième volet. Cinq disques comme autant de chapitres qui relateraient la même histoire, celle d’un compositeur à l’éclectisme sidérant, désireux d’explorer les genres. Free-jazz, hip-hop, electronica ou folk hantaient ses albums précédents : le single Love Cry dévoile aujourd’hui une facette plus house. “J’ai eu l’occasion de jouer lors de soirées techno pendant sept ou huit heures. Ça a eu un impact important sur mon disque : les morceaux sont plus dansants, plus influencés par la house. J’ai eu la chance de pouvoir les tester au fur et à mesure que je les écrivais, dans le club Plastic People de Londres où je me produis régulièrement (lire encadré). Au final, je m’aperçois que c’est un disque écrit en fonction des réactions des gens.”
Car si Kieran Hebden travaille derrière son écran, des premiers instants de composition jusqu’à la phase de mastering, sa musique n’en reste pas moins organique et humaine : passionné par des artistes comme Sun Ra, qui voyait dans la musique un moyen de communiquer avec Dieu, ébloui par l’effet des chants gospel lors des cérémonies religieuses, Hebden explique n’avoir gardé en tête que la recherche de l’émotion. Evitant les écueils de l’exercice de style, il n’envisage ainsi la méthode et la technique que comme des moyens de mettre en forme les concepts et rendre les idées tangibles. Une attention portée à l’émotion qu’il a héritée d’une double passion pour le grunge et la drum & bass, où l’émoi l’emporte toujours sur la virtuosité.
“J’avais 14 ans quand le grunge est arrivé : c’était la chose la plus excitante au monde. J’ai découvert Mudhoney. Et donc Sonic Youth. Et donc Tortoise. Et donc Neu! Et donc Can. Ensuite il y a eu la drum & bass à Londres : c’était le signe que vous pouviez écrire une chanson, l’enregistrer sur un dictaphone pourri, la jouer sur une radio pirate, et malgré tout faire danser 10000 personnes pendant deux jours dans un hangar. Au final, je m’aperçois que c’est comme si l’alliance de la scène indé américaine et de la drum & bass m’avait hurlé un message : peu importe la technique ou l’absence de bagage classique, je devais m’y mettre moi aussi.”
Conséquence de ce double héritage, There Is Love in You est un disque étourdissant, communicatif et capiteux. Proche en ce sens du dernier album de Burial (avec qui Hebden a d’ailleurs collaboré sur un mystérieux ep sans nom l’an passé), il ressemble à un hypothétique Rubik’s Cube impossible à résoudre, dont les facettes conserveraient fatalement des briques différentes. “J’aime l’idée que mes disques ne sont pas classables. Et qu’ils ne peuvent être envisagés que comme des sections de l’histoire que je suis en train d’écrire. Cette idée d’oeuvre est très présente chez les jazzmen que j’admire. Prenez Coltrane : chaque disque documente son idée principale, c’est comme un développement, une avancée, presque une démonstration. Si je parviens à réaliser cela avec Four Tet, je serai un homme heureux.”
Album : There Is Love in You (Domino/Pias)
Concert : Le 24 mars à Paris (Social Club)
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