Toujours hantée par le doute et les peines sentimentales, la Suédoise exploite au mieux ses capactités vocales.
Il y a deux façons de voir Lykke Li, selon que l’on se place au sommet du Billboard ou depuis un point de vue de mélomane en quête de jolies trouvailles sonores. Vue des charts, la Suédoise incarne une sorte de one-hit wonder, mise en lumière sur la foi d’un single imparable (I Follow Rivers, 2011).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ailleurs, elle est avant tout cette artiste attirée par les rêves, ouverte aux collaborations prestigieuses (David Lynch, Mark Ronson, Kanye West et Santigold) et animée par l’envie d’insuffler une forme de quiétude à notre vie pleine d’agitation. Ses disques aident ainsi à garder l’équilibre dans un monde en perpétuel mouvement, apportent une sorte de sérénité avec ces chansons qui ralentissent le cours du temps, lequel étant ici moins mouvementé qu’ailleurs, pris dans des mélodies qui préfèrent la retenue à l’effervescence, la soustraction à l’addition.
Une quête d’épure qui n’empêche pas l’immersion
Au fond, il ne fait nul doute que Lykke Li se sente naturellement plus proche de cette seconde vision. On perçoit chez elle une forme de pureté, une exigence artistique, un rapport presque spirituel à la musique. Après quelques minutes d’échange, on comprend toutefois que la Scandinave nourrit un étrange sentiment d’inachevé, né d’un rapport conflictuel avec sa voix : “J’ai toujours eu un problème avec elle, quand bien même la voix est la première chose qui m’interpelle dans une chanson : je suis obsédée par l’intimité qu’elle peut créer avec celui ou celle qui écoute.”
Pour vaincre ce complexe – et oublier l’aventure So Sad So Sexy (2018), un disque qu’elle apprécie peu –, Lykke Li a donc convié son fidèle complice Björn Yttling chez elle, à Los Angeles. Loin des studios, en isolement total, les deux comparses ont pris le temps de façonner ce que la Suédoise aime à nommer son “album vocal”.
No Hotel et You Don’t Go Away en attestent : placées en ouverture, ces deux chansons sont presque des a capella, dépourvues d’effets numériques, dans une quête d’épure qui n’empêche pas l’immersion. C’est même avec envie que l’on se plonge dans de telles émotions, enveloppé·e par la voix puissante et tendre de Lykke Li. “No Hotel a déclenché le processus, affirme-t-elle. Je savais que je tenais là l’ouverture du disque et qu’il ne me restait plus qu’à raconter une histoire sur les titres suivants.”
Pendant le mixage, Lykke Li dit avoir regardé toutes sortes de films (Roméo + Juliette, Breaking the Waves, Eyes Wide Shut). Elle dit aussi avoir beaucoup écouté les disques de Brian Eno ou de Max Richter, et cela se ressent : Eyeye est un disque visuel, presque cinématographique, qui fantasme autant l’industrie hollywoodienne que la torpeur de Los Angeles, où ces huit chansons ont été pensées.
Il est question de dépression sans que cela ne soit larmoyant
Par instants, on retrouve même sur ce cinquième album ce qui fait la beauté des disques de Lana Del Rey : ce chant spectral, ce sens de la romance, ce goût pour les mélodies qui prennent leur temps, où on sent monter les grands sentiments que procurent les chansons d’amour.
“Quand on y réfléchit, toutes les plus belles chansons du monde sont dédiées à l’être aimé, renchérit Lykke Li, bottant en touche la comparaison avec l’autrice de Born to Die. Hey, That’s No Way to Say Goodbye de Leonard Cohen, I Will Always Love You de Whitney Houston ou Nothing Compares 2 U de Sinéad O’Connor : toutes ont suffisamment de subtilité pour être écoutées en toutes circonstances, que l’on soit amoureux ou en pleine déprime.”
“Qu’importe l’état traversé, nos comportements deviennent incontrôlables : on doute, on s’extasie, on ne parvient pas à se contenir”
De dépression, il est évidemment question sur Eyeye, sans que cela ne soit larmoyant, forcé ou calculé afin de coller à l’image fragile de Lykke Li. On dirait même qu’il faut une sacrée audace pour oser un tel disque, où chaque mélodie, aussi arrangée soit-elle, n’a d’autre fonction que de mettre en vedette le chant de la Scandinave.
Celui à travers lequel elle aborde les relations toxiques, les préceptes new age (5D) et tous ces sentiments (le rejet, le désir, la dépendance, la passion) qui nous traversent quand le cœur est épris de quelqu’un d’autre. “Qu’importe l’état traversé, nos comportements deviennent incontrôlables : on doute, on s’extasie, on ne parvient pas à se contenir… À croire que l’amour est une drogue aux effets contradictoires.”
Seule certitude : Eyeye est un condensé de pensées et de sensations tellement éparses que l’on n’est pas toujours sûr·e de savoir ce que l’on est censé·e ressentir à l’écoute de Happy Hurts, Over ou ü&i. Du réconfort ? Peut-être. Une profonde mélancolie ? Sans doute. Un écho à nos propres fêlures ? Probablement. Reste que ce mystère se révèle particulièrement jouissif.
Eyeye (Crush Music/PIAS). Sorti en digital depuis le 20 mai. Sortie physique le 17 juin.
{"type":"Banniere-Basse"}