Il y a cinquante ans, John Cale et Lou Reed fondaient le Velvet Underground, et sortaient un an après un album fondamental. John Cale vient le rejouer, particulièrement bien entouré, à la Philharmonie de Paris dans le cadre d’une vaste rétrospective. Entretien
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Quel était votre but en commençant le Velvet ?
John Cale – Le but était de combiner le rock’n’roll et la musique d’avant-garde, d’où je venais. Pour créer un nouveau genre. Notre force, c’était l’improvisation : moi avec les musiques, Lou avec les paroles, sur n’importe quel sujet, avec une maîtrise absolue des mots… Ça avait été fait dans le blues et le folk, surtout à cette époque-là, mais pas encore vraiment dans le rock.
Il pouvait raconter son petit déjeuner ou une virée en taxi et en faire de la poésie. Nous nous posions beaucoup de questions, on cherchait à élargir l’horizon de la musique, on cherchait une raison éthique pour justifier nos chansons. Pourquoi jouer du rock ? Il nous fallait vraiment une raison morale et politique pour le faire, pas forcément la nôtre mais au moins celle des personnages mis en scène par Lou.
Vous vous condamniez l’un l’autre au surpassement ?
Constamment. Nous avions deux visions radicalement différentes pour affronter le même problème. Nous avons vite décidé de ce qui serait interdit dans nos chansons, de ce qui était par contre nécessaire. Nous parlions beaucoup de l’importance de certains auteurs, de certains livres, nous nous sommes construits là-dessus. Nous partagions un goût du risque – que je n’associe pas forcément à la violence. Il ne fallait, à aucun prix, compromettre nos personnalités.
Ça ne voulait pas dire rejeter toutes les règles mais au moins les tordre, les détourner. S’il fallait une jolie mélodie pour embarquer les gens, alors nous n’hésitions pas. Ce qui comptait, c’était les mots. Mais secrètement, nous étions fans et un peu jaloux des Beatles. Comme de Bob Dylan. On ne voulait pas ressembler à des artistes déjà en place, nous cherchions à contribuer à la musique de manière plus profonde.
Votre premier album a largement contribué à faire entrer le rock dans l’âge adulte…
(Il coupe)… Mais nous n’en avions pas la moindre idée, nous étions encore en pleines recherches, en pleins doutes. Mais j’étais sûr que certains éléments que nous mettions en place résisteraient au temps. Dès que nous avons écrit Heroin et Venus in Furs, je savais que nous tenions un truc important. Nous cherchions à repousser les limites, à clarifier un peu notre vision. On ne pouvait pas penser au futur, à notre impact.
https://youtu.be/iLQzaLr1enE
Comment un violoniste classique comme vous devient-il alors musicien de rock ?
Ce qui comptait, c’était la motivation des quatre personnes impliquées, pas leur compétence. On s’en fichait de la virtuosité, on avait ce qu’il nous fallait. Moi, je n’en pouvais plus de jouer de la musique savante, ça m’excitait vraiment d’improviser sur le trottoir de la 125e Rue, au violon, avec Lou à la guitare. Là, les kids venaient nous parler, nous poursuivaient dans la rue parce qu’on portait les cheveux longs, ce n’était pas un récital classique ou une performance avec La Monte Young.
“Je serai le seul membre original sur scène. Ça me laisse très… songeur. Mais je savais qu’un jour ou l’autre, il me faudrait affronter ces fantômes, alors autant le faire avec élégance”
Le premier album du Velvet, que vous venez jouer le 3 avril, est désormais un classique du rock. En combien de temps l’avez-vous enregistré ?
Nous avons posé toutes les bases en une nuit de studio, peut-être deux. Puis nous avons retravaillé un peu les bandes en Californie, où nous étions en tournée. Mais avant ça, nous avions réfléchi à ces morceaux pendant un an. Lou venait chaque week-end depuis Long Island pour qu’on triture ces morceaux ensemble. On passait des journées et des nuits entières à jouer, une bouteille de bière à portée de main. C’était un peu le bordel, mais c’était nécessaire pour déterminer le style du premier album.
Cinquante ans plus tard, vous êtes accueilli en grande pompe à la Philharmonie de Paris…
C’est à peine croyable, j’ai vu des images du bâtiment, je le vis dans un mélange de fierté et d’incrédulité. Ce que je ressens surtout, c’est du regret : nous aurions pu faire beaucoup plus ensemble. Mais c’était impossible, Lou ne voulait plus continuer.
Quand je vois l’honneur qui nous attend à Paris, je suis un peu paumé, confus. Lou, Nico et Sterling sont morts et Moe ne prend pas l’avion : je serai le seul membre original sur scène. Ça me laisse très… songeur. Mais je savais qu’un jour ou l’autre, il me faudrait affronter ces fantômes, alors autant le faire avec élégance.
Avec qui serez-vous sur scène ?
Ça me fera plaisir de retrouver Carl et Pete des Libertines… (il rigole) On verra aussi des membres d’Animal Collective, de Lemon Jelly, Sky Ferreira, Lou Doillon, Mark Lanegan, Etienne Daho. On se relaiera sur les seize chansons, je me suis attribué Venus in Furs. Tous auront pas mal de latitude pour se les approprier.
Ça sera différent, chacun apportera sa vision. Je vais réarranger les chansons pour l’événement. Même si certaines sont intouchables et seront intouchées. Mais on peut rendre encore plus grotesque un titre comme The Black Angel’s Death Song.
Du coup, j’ai dû réécouter le premier album pour m’en souvenir techniquement, je ne l’avais pas fait depuis des années, ça m’a fait rire. Je me suis souvenu à quel point nous étions alors sérieux, obsédés par la justesse. Alors que c’est juste un vaste chaos. On aurait dû répéter mille heures de plus !
“Ce qui intéressait Andy, c’était l’atmosphère qu’on dégageait. Pour moi, il était un… fantôme à la Factory, il apparaissait et disparaissait constamment.”
As-tu contribué au fonds d’objets présentés au public de la Philharmonie ?
Je n’ai rien gardé. La nostalgie m’a toujours inquiété, je la vois comme une ennemie de mon songwriting. Cela dit, je serai partagé entre nostalgie et envie de rire quand je verrai les objets collectés pour cette exposition. Ça me fait plaisir d’être à nouveau associé à Andy Warhol.
Nous avons eu tellement de chance de le rencontrer, de traîner à la Factory. Son équipe faisait tout pour nous débarrasser des problèmes, pour qu’on se concentre uniquement sur notre musique. Dont Andy se fichait totalement. Ce qui l’intéressait, c’était l’atmosphère qu’on dégageait. Pour moi, il était un… fantôme à la Factory, il apparaissait et disparaissait constamment.
La dernière grosse exposition rock montrée à la Philharmonie était consacrée à David Bowie. Vous êtes-vous souvent croisés ?
Nous avons plusieurs fois envisagé de travailler ensemble, sans le faire vraiment. Je lui ai appris une fois, pour un concert, un riff de violon. On se croisait dans les clubs, les studios, mais tout est resté vague, toujours. Sa mort a été un vrai effroi, la façon dont il l’a mise en scène… C’était au-delà de la froideur. Ça relevait de la dureté.
Velvet on the ground à la Philharmonie
“Il y a treize heures de documents visuels et sonores” dans The Velvet Underground – New York Extravaganza, explique le cocommissaire de l’exposition Christian Fevret. Exposition en effet très audiovisuelle, elle comporte de nombreuses images d’archives, en partie inédites, sur le Velvet, des diaporamas (avec les photos de Billy Name par exemple), les screen tests d’Andy Warhol de chacun des membres du groupe…
https://www.youtube.com/watch?v=Avme-hIBncI
Six documentaires ont été réalisés pour l’occasion et y sont projetés, dont un sur la jeunesse de John Cale et Lou Reed, un sur Nico, et un mash-up du réalisateur Jonathan Caouette autour du poème d’Allen Ginsberg America.
https://www.youtube.com/watch?v=TD9dZJFcrMI
L’exposition va au-delà du Velvet Underground, puisque toute une partie est consacrée au New York du début des années 1960, entre consumérisme à tout-va et avant-garde, et au foisonnement d’artistes (cinéastes, peintres, poètes…) qui s’y épanouissent alors. L’importante descendance du groupe – dans la musique, les arts plastiques, le cinéma, la mode… – est également abordée. Le tout est mis en scène par Matali Crasset qui, par son inventivité, donne une interprétation contemporaine de l’univers du Velvet Underground.
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