PARCOURS SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS, 30 ARTISTES INVESTISSENT LE QUARTIER Exposition, Paris
Disséminée dans Saint-Germain-des-Prés, une exposition de trente artistes fait craindre le désagréable retour de l’art mondain des années 80, juste pour faire joli.
« Nous feriez-vous l’amabilité de signer le livre d’or ? » L’homme, élégant, appuie sa proposition d’un sourire trop aimable, le torse légèrement incliné, en signe d’une déférence inutile et compassée. Un jeudi soir, place Saint-Germain-des-Prés. On se croyait invités à un vernissage d’exposition et on se retrouve pris en pleines mondanités, entourés de gens chic en tenue de grands couturiers, un peu trop rouges pour avoir l’air sobre. Il faut dire que, comme dans le pire des téléfilms ou dans la publicité la plus caricaturale, le champagne coule à flots, accessoire dépassé des franges huppées du milieu de l’art. Passons. En ce soir du 22 mars, le tout-vie arrondissement est en ébullition à l’occasion du lancement de l’opération Parcours Saint-Germain-des-Prés, 30 artistes investissent le quartier. Initiative qui présente le principal mérite de réunir quelques-uns des bons (et quelques importants) artistes actuels, d’Alain Bublex à Claude Closky, d’Annette Messager à Raymond Hains, en passant par le rare Claude Rutault. Une programmation de choix, donc, autour d’une idée simple : faire intervenir des figures de renom dans un quartier de plus en plus délaissé par les cercles intellectuels au profit de consommateurs friqués venus visiter les enseignes de luxe qui occupent désormais la rive gauche : Armani, Dior, Louis Vuitton… Ajoutons que parmi les initiateurs de ce projet, on trouve Alfred Pacquement, futur directeur du musée national d’Art moderne, et la Caisse des dépôts et consignations, organisme qui se distingue régulièrement par son mécénat, organise des expos (certes inégales) dans son passage du 13, quai Voltaire, et possède une collection d’art contemporain tout à fait riche. Bref, l’affaire semblait prometteuse car placée entre de bonnes mains. Plus dure fut donc la chute. A vrai dire, dès le soir du vernissage, c’était foutu. Pas tant à cause de l’atmosphère qui régnait alors dans le quartier que pour l’absence cruelle d’ uvres exposées. Sur les deux étages du magasin Louis Vuitton par exemple, entre les malles et les chaussures à damier, entre les sacs à main et les mules estivales, pas de trace d’exposition. A peine aperçoit-on dans la vitrine une uvre habituellement spectaculaire du pauvre Hans Emmert, perdue ici entre deux présentations de la dernière collection de la prestigieuse maison. Repousser l’intervention des artistes en vitrine, c’est-à-dire l’enfermer, la cadenasser, la rabaisser au simple rang de gadget animant un présentoir, voilà au final ce que propose ce Parcours Saint-Germain. Catalogue en main, il fallut dix minutes pour retrouver l’ uvre de Claude Closky, accueillie par le Monoprix de la rue de Rennes (une animation de logos déjà connue, diffusée sur de minuscules moniteurs au-dessus des caisses et des rayons, au sous-sol du magasin). Idem chez Armani à la recherche de l’intervention d’Ange Leccia. Sans même parler de celle de Philippe Durand au café Les Deux Magots, pratiquement invisible. Que faire donc de ce projet artistique devenu opération de communication destinée à redorer l’image du quartier ? On aurait pu tout simplement l’ignorer, partant du principe que montrer Stéphane Magnin chez Lanvin, ou des toiles chez Sonia Rykiel et Lancel, ne pouvait de toute façon que créer un contresens. Mais l’enjeu est finalement bien plus important. Car plus qu’un micro-accident, cette exposition est en réalité tout à fait symptomatique des dérives d’un certain milieu de l’art, reléguant les uvres à leur simple fonction décorative. Un art aseptisé, réduit à sa dimension esthétique. Phénomène notable à Paris depuis plusieurs mois, tant se multiplient les expositions prétextes à faire plus ou moins joli. Même le chantier d’Alain Bublex, l’une des seules propositions véritablement artistiques, s’est retrouvé occupé le soir du vernissage par les attachées de presse de l’agence Claudine Colin Communication, avant de faire office de centre d’information. C’est la confusion la plus totale des genres, sans jamais un soupçon de réflexion sur le statut des images ainsi décontextualisées. Inutile de préciser que cette tendance ne fait que se renforcer au fur et à mesure que se confirme le retour de l’argent sur le marché de l’art, et de la geste mondaine qui l’accompagne, véritable revival de ce que les années 80 avaient sécrété de pire. Une trilogie « luxe, calme et inanité », qui ne laisse au final de l’exposition d’art que sa caricature, sous la forme d’une socialité aussi bourdonnante que factice.