Au Mans, deuxième étape d’une exposition tête chercheuse, « Grand atelier », autour de quelques artistes du cru épris d’ambiances et de fictions intimes. Un joyeux foutoir.
Une odeur de friperie, de vêtements sales, usés, déjà portés. Une odeur de marché aux puces dans l’entrée du musée des Beaux-Arts de Nantes, bâtiment habituellement brillant de propreté. Et pour cause : pour s’approprier le lieu, Lilian Ménard et Abraham Poincheval ont recouvert les dalles de l’entrée d’un immense tapis de vêtements Emmaüs, cousus les uns aux autres. Un peu plus loin, un vélum de tricot pend entre les colonnes néoclassiques. L’expo « Grand atelier » a depuis fermé ses portes à Nantes, direction Le Mans, avant Angers, Rennes et Brest. Mais l’esprit demeure.
Sous la protection bienveillante de Jérôme Sans, commissaire de cet Atelier itinérant, neuf artistes du cru proposent un parcours d’oeuvres, renouvelées à chaque ville. A chaque étape, une nouvelle exposition. Une sorte de workshop géant, conçu comme une vitrine de leur processus de création. Malgré le prétexte géographique (lié à la commande de l’expo, par un réseau de grandes villes de l’Ouest, une première, tant est d’ordinaire restreinte la place de l’art contemporain dans les projets municipaux), aucune vision régionaliste dans ce melting-pot, où il est beaucoup question d’atmosphères.
Ambiance feutrée dans la cabane de Laurent Moriceau, atelier de couture clandestin, nimbé de lumière rouge pour protéger ses vêtements photosensibles.
Quelques modèles dessinés par un styliste sont en exposition. Mystère de ces vêtements, enrobés de couches protectrices pour ne pas être noircis par la lumière du jour. Si bien que la véritable création reste toujours invisible. Un faux effeuillage, une sensualité modeste : profil bas pour cet artiste minutieux et discret, quand d’autres participants de l’Atelier jouent au contraire de leur personnalité excentrique.
A l’image de Bruno Soubrane, arpentant à quelques heures de son vernissage les rues de Nantes dans un fauteuil roulant, les membres plâtrés par un accident hypothétique. Le jeune homme (né à Angers en 1972) est un affabulateur professionnel. Un grand échalas qui a le culot de se filmer travesti en Violetta de la Dame aux camélias, les lèvres sanguinolentes sur son faux lit d’hôpital, victime d’une tuberculose surjouée à en mourir. « C’est une véritable star, explique Jérôme Sans, tout le monde le connaît à Angers. » Une célébrité locale donc, synthèse maligne de la grandiloquence de Matthew Barney et de l’esprit peste de Matthieu Laurette. Lorsque Jérôme Sans l’a rencontré pour la première fois, il avait pris l’apparence d’un M. Loyal de cabaret.
Même amour du travestissement dans les vidéos de Pascal Rivet, jeune homme polymorphe repéré l’année dernière pour ses autoportraits en Eric Cantona. Dans une nouvelle vidéo, il présente une imitation machiavélique de Riis, le coureur cycliste, reproduisant une scène filmée pendant le Tour de France 97. Commentaire de l’auteur : « Un supporter débile déguisé en Indien surgit de la foule et court de longues minutes près de mon coureur préféré, lui sifflant dans les oreilles et risquant de le faire chuter. » Les mimiques, le regard, la bouche, les tics : tout y est. On dirait vraiment le champion cycliste. Si bien que l’on reconnaît à peine l’artiste au naturel.
Petites mythologies des uns et des autres se croisent ainsi sans se recouper. Rien à voir entre les précédents et les ébauches de narration de Guillaume Janot, ou les reportages sociologiques de Jocelyn Cottencin . Parti à la recherche des composantes du corps social de chacune des villes accueillant l’exposition, le Rennais a créé une sorte de journal en images. « Une journée avec » les éboueurs de Nantes, les retraités d’Angers, les ados d’une banlieue du Mans… autant de comptes rendus, mi-poétiques, mi-réalistes, mis à la disposition du public sous forme de magazines à consulter. Support léger qui renvoie au hors-série de la revue 02, exemplaire gratuit faisant office de catalogue d’exposition. Avec en prime, en page 28, une vraie fausse interview de Canto sur les imitations de Rivet, avec une citation, en guise de synthèse de ce joyeux foutoir parfois potache : « Comme je suis acteur et que je fais aussi de la peinture, ça m’intéresse… en tant qu’artiste. »
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