A Dijon, une exposition se consacre au plus inattendu des sujets artistiques : la poussière.
Dans certains musées repus, la poussière s’envole sous les pas des gardiens et se glisse derrière les lunettes des visiteurs, sans qu’ils s’en aperçoivent toujours. Au Frac de Dijon, elle s’étale avec assurance sous les vitrines d’exposition, sur un miroir, voire sur certaines fenêtres délibérément salies par Ignasi Aballi pour obtenir une lumière grise, sale et un peu triste. Dès l’entrée de l’expo, le ton est là : donner à voir l’imperceptible, l’intangible… Pari austère sur la qualité artistique du « rien », avec lequel justement Claudio Parmiggiani réussit à faire l’oeuvre la plus spectaculaire du parcours : dans une pièce habituellement utilisée comme bibliothèque, l’artiste a recouvert les murs de suie en y faisant brûler un feu pendant vingt minutes. Une fois les étagères et les livres retirés, leur empreinte blanche est restée au mur. Terrible image de destruction et de mort qui évoque autant un acte de guerre que le drame intime d’un incendie d’appartement. Traîtresse, la poussière peut séduire comme dans cette belle vidéo d’Hugues Reip d’un faisceau de lumière : mille grains de poussière y dansent dans un moment warholien d’ode à l’insignifiant. Bien malgré elle, la poussière a déjà sa petite histoire de l’art, et c’est l’Elevage de poussière, oeuvre de Duchamp photographiée par Man Ray en 1920, qui a donné le point de départ de cette exposition. Plus de soixante-dix ans plus tard, Michaël Ross en donne une version hilarante avec sa vidéo Dustball romance : sur une musique aigrement sirupeuse tout droit sortie d’un film de John Woo, des ballots de poussière sautent et cabriolent dans un crescendo dramatique. Mais oui, la poussière vit, elle chante aussi, comme dans l’Aéro air de Jean Dupuy, enregistrement de la lecture d’un disque muet tâté en vain par le saphir d’un électrophone. A côté de ces mises en scène animistes, certains travaux apparaissent bien moins inventifs, ne parvenant pas à sortir du vocabulaire classique de la simple trace, recueillie et mise sous verre. Seul Markus Hansen s’en sort avec une version vampire : de la poussière de peau humaine sur papier. Tout l’intérêt de ces Dust memories réside précisément dans ce détournement fétichiste de la poussière, rebut devenu ici centre de toutes les attentions, au point pour Fabrice Gygi d’épousseter le sol d’une salle au cours d’une performance et d’en placer la cueillette dans d’étranges récipients qu’il porte comme des prothèses sur ses bras. Il va jusqu’à demander aux personnes présentes de lui présenter leurs poches, dont il racle le fond avec avidité. Toutes les poussières ne se valent pas. Robert Filliou en fait la démonstration, présentant dans de simples boîtes en carton les résidus époussetés sur des tableaux et sculptures de maîtres : Rembrandt, Malévitch, Poussin, Brancusi, Picabia… Si leurs travaux valent si cher, leur poussière doit bien avoir un peu de valeur, semble-t-il ricaner. Comment utiliser la poussière dans une oeuvre d’art ? La question, posée par le commissaire de l’exposition Emmanuel Latreille, trouve une réponse facile : moins on en fait, plus elle prolifère. Alors Michel Blazy a simplement tendu une toile d’araignée de bandes adhésives dans un coin du plafond. Histoire de s’en garder un peu de côté.
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