Les médias ordonnent notre réalité : l’exposition Bruit de fond montre, de manière pragmatique, toute l’emprise des images sur le réel.
Caméra au poing, un vidéaste s’installe devant un bus et l’empêche de reprendre la route. Le chauffeur plutôt sympathique rigole, mais c’est à l’intérieur du bus que la tension monte, les usagers sont pressés de rejoindre leur destination. Quinze minutes de prise d’otages vidéo du bus 69 de la RATP : François Nouguiès réalise, entre caméra cachée et délinquance urbaine, le pire cauchemar d’une entreprise de service public. Filmé avec trois caméras, celle du preneur d’otages, une autre placée dans le bus et enfin une dernière dans la rue qui livre un plan d’ensemble de l’action, ce quart d’heure est une ouverture idéale pour un journal de 20 h, un reportage clé en main au vif du sujet : du sensationnel garanti. « Ce qui m’intéresse, explique François Piron, le commissaire de l’exposition, ce ne sont pas les artistes qui deviennent journalistes-reporters comme le photographe américain Allan Sekula, mais ceux qui font avec, ceux qui reçoivent de l’information puis qui en créent à leur tour. » Bruit de fond, qui emprunte son titre à un roman de Don DeLillo (roman dans lequel l’écrivain chronique la vie d’une bourgade américaine victime d’une rumeur de contamination toxique), part du constat banal que notre réalité est désormais passée sous l’emprise des images médiatiques : « Comment vit-on avec les images ? Qu’en fait-on ? Comment reconnaît-on ce flux ? Quelle identité construisent-elles ? »
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La liste des artistes retenus aurait pu être gigantesque, et l’exposition elle-même aurait pu faire un coup d’éclat médiatique, avec un sujet aussi en vogue, mais « ce n’est pas une exposition tendance ni à la mode, reconnaît François Piron, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on n’est pas dans l’esthétique du moment. » Sans grande envergure, certes, mais tellement juste, la position du jeune commissaire tire par la même occasion le Centre national de la photographie vers un nouvel horizon plastique. Entre zapping, lecture et relecture, Bruit de fond se parcourt comme une errance médiatique à travers des pièces où l’image omniprésente est le résultat de gestes et de processus de transformation : les sculptures de Wang Du, les collages de Martha Rosler d’abord publiés dans la presse, le chiffonnage et le scotchage de Thomas Hirschhorn, et les interventions de Gianni Motti, terroriste surpuissant qui revendique dans la presse des tremblements de terre. Différentes stratégies d’artistes qui manipulent à leur tour les médias, et qui offrent plusieurs lectures, chaque spectateur peut en prendre pour son compte. Mais cela n’excuse en rien les ratés comme Libération, une nouvelle prise d’otage orchestrée par François Nouguiès, et l’agence de presse tristement minimaliste et prétentieuse de Christophe Boulanger, Olivier Derousseau et Mohamed El baz, hantée et animée par une valse de dépêches. Plus convaincantes, les planches de Vik Muniz qui redessine de mémoire les images inscrites dans l’inconscient collectif comme celle du Chinois qui stoppe une colonne de blindés dans les rues de Pékin et les pas d’Armstrong sur la Lune, des dessins qui ne renvoient pas vers la photo originale, mais vers l’original que chacun a en lui.
Bruit de fond marque le grand retour en France de Jung Yang. L’artiste chinois, remarqué au Printemps de Cahors version 99, présente sa dingue série de photomatons où il se transforme en Superman et From Salariiman to Superman, une vidéo autobiographique construite à partir d’extraits de Retour vers le futur, du Dernier empereur et, bien sûr, de Superman. Preuve, s’il en fallait une, que l’on peut se construire une identité à partir de superproductions hollywoodiennes.
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www.cnp-photographie.com
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