Si le béton est mal vu, c’est qu’il est souvent mal regardé. Symbole de la modernité ou emblème de l’enfer urbain, le béton dans tous ses états s’expose au Pavillon de l’Arsenal.
Comment le béton, porteur des rêves les plus modernes, a-t-il pu devenir l’emblème de l’enfer de l’urbanisme contemporain ? Rarement matériau aura à ce point fait consensus contre lui. Il y a dix ans à peine, le Premier ministre Michel Rocard lui réglait son compte : le béton était « criminogène ». Le mal des banlieues avait trouvé une part d’explication… Maudit par le grand public, il était désormais convenu de le cacher derrière des panneaux de pierre ou de métal. Mais au-delà des apparences, le béton n’a jamais cessé d’être mis en valeur dans les commandes de l’élite sociale ou dans les réalisations prestigieuses de la République. C’est la première révélation de l’exposition « Le Béton à Paris ». Elle jette un coup de projecteur sur ces villas et théâtres, ces écoles et usines construites par Mallet-Stevens, Perret ou Le Corbusier au début du xxème siècle : le béton était alors chargé d’exprimer la fierté et la confiance dans l’époque… Et aujourd’hui encore, c’est souvent en béton que les architectes bâtissent les édifices de la modernité. Réalisés au plus fort du rejet populaire contre le béton, la Bibliothèque nationale comme l’aéroport de Roissy, le grand hall du Louvre comme l’espace de méditation de l’Unesco… sont pourtant en béton apparent.
Un siècle à peine a suffi pour faire du dernier-né des matériaux de construction celui de tous les possibles. Ce mélange d’acier et de ciment, de sable et de caillou est devenu « l’invention la plus révolutionnaire de l’histoire de la construction ». Liquide dans sa jeunesse, le béton épouse toutes les audaces formelles. Plus solide que la pierre, plus résistant que l’acier dans sa maturité, il permet les élancements les plus fous. Deux voiles de 6,5 cm de béton suffisent à enjamber les 208 mètres du Cnit de La Défense. Les pionniers se sont enthousiasmés pour ces espaces extraordinairement ouverts, aux murs courbes, aux multiples déhanchements. Les architectes d’aujourd’hui sont davantage préoccupés de maîtriser son aspect. Commissaire de l’exposition, Bernard Marrey livre les clés de cette évolution. « Le béton a subi un grave discrédit. On a mis du temps pour comprendre qu’il n’est pas un matériau donné. Sa beauté réside entièrement dans le soin apporté à sa réalisation et à sa mise en oeuvre sur le chantier. Il est autant une technique qu’un produit. » L’architecte Paul Chemetov image : « Le béton, c’est comme le curry, un mélange d’éléments simples. Il y en a de bons et il y en a d’infâmes. » Le béton n’est plus toujours gris et lisse : la vingtaine de plaques exposées à l’Arsenal témoignent de ces transformations. Il est parfois bouchardé, poli, verni ; il peut incorporer des éclats de marbre, être teinté dans la masse. Les combinaisons sont infinies, les aspects aussi. Pour le Grand Louvre, Pei voulait un béton proche de la pierre blanche de Paris. Il a tout contrôlé : les sables, les gravillons ont été soigneusement choisis et stockés ; les coffrages en pin d’Oregon, dépourvus de noeuds, ont été préalablement cirés… Un luxe de soin a été apporté pour cette réalisation d’exception. Bien sûr, tout a un coût. « Il est évident que le prix du béton de certains « grands chantiers présidentiels » n’est pas le même que celui d’un lycée, prévient Jean Pierre Aury, « conseiller en béton » sur les chantiers prestigieux de la planète. Quand on construit pour des décennies, sinon des siècles, on n’a pas le droit de chipoter sur l’essentiel. »
Enrôlé par l’économie productiviste pour bâtir les grands ensembles de l’après-guerre, ce matériau industriel et bon marché fut si malmené qu’il a failli, pour l’ordinaire des constructions, devoir définitivement se cacher derrière les briques, le bois, le métal. Il pourrait bien revenir dans la lumière. C’est porteurs de cette bonne nouvelle que les organisateurs ferment l’exposition avec un joli immeuble de logement social en béton apparent rosé. Impensable il y a seulement cinq ans, l’organisme HLM de Vitry a osé passer cette commande à Christian Devillers… Serait-ce la fin d’un tabou ?
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