Mysticisme et prières liturgiques côtoient sans rougir, techno charnelle et pulsatile sur « Rita », le fascinant EP de la productrice et plasticienne. En concert le 7 juillet au festival Fnac Live.
Jouant sur des ambiguïtés et entre-deux parfois intimidants, la productrice Irène Drésel continue d’appliquer la formule qui la suit depuis ses débuts en tant que plasticienne. Contrasté mais jamais indécis, l’univers de la musicienne trouve un équilibre fragile et une cohérence, aussi miraculeuse que le laisse suggérer son penchant spirituel, entre des mondes au premier abord difficiles à réconcilier. Une techno florale, comme l’artiste aime à la nommer, dont les charmes, tantôt innocents tantôt séducteurs, évoquent aussi bien la beauté sacrée d’un jardin d’Eden – celui dont Irène s’entoure sur scène, dissimulée derrière un mur végétal – que la légèreté des plaisirs épicuriens, joliment mis en images par Flokim Lucas pour son premier clip Lutka. Ballottant l’auditeur entre beats caverneux et mélodies cristallines, le déroutant Rita ne déroge pas à la règle.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ecoute de l’Ep en avant-première et rencontre avec sa créatrice :
Bonjour Irène. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton parcours musical?
Irène Drésel : Initialement, j’ai un parcours plutôt orienté image. La musique est venue sur le tard. Un jour j’ai eu besoin d’une bande son pour une expo perso et c’est à ce moment-là que je m’y suis mise. Depuis ça ne m’a plus lâchée et ça a pris doucement le pas sur le reste. Mon premier clip vidéo Lutka, réalisé par Flokim Lucas, a pas mal été diffusé et relayé, ce qui a permis de me construire peu à peu un auditoire. J’ai également eu la chance de faire partie des dix finalistes du prix Ricard et de toucher ainsi un public plus large.
Tu es passée par une formation aux Beaux Arts. Est-ce que ta musique rejoint ton univers plastique?
Mon univers plastique a débuté par un travail de mémoire en 2004. J’ai passé trois mois à réécrire mes rêves chaque matin. De là est né un petit livre écrit à l’envers, déchiffrable à l’aide d’un miroir. Un travail autour du sommeil, de la dichotomie entre le corps et l’esprit, traduit par la pratique du dessin, de la vidéo et des installations. Puis j’ai développé au fil des années un travail photographique sur l’identité et l’émergence du corps dans l’espace. On avait l’impression, sur une même image fixe, de voir le corps apparaître puis disparaître. Je joue depuis toujours sur cette tension entre deux états ou deux extrêmes. Lorsque ma production a pris un tournant musical, cette même démarche a continué de se ressentir. Les mélodies contrastent avec les basses pour emmener l’auditeur dans une sorte de transe « sur le fil ». Les clips réalisés avec Flokim Lucas alimentent également cette tension.
Comment s’est déroulée la collaboration avec Flokim Lucas, pour ton premier clip Lutka ?
J’étais fascinée par son clip d’animation The Face of Another pour Bot’Ox. Je l’ai contactée pour lui proposer de travailler ensemble et elle m’a répondu positivement. Je l’ai guidée un peu sur mes envies, puis j’ai vu que ça fonctionnait parfaitement et j’ai fini par lui laisser carte blanche. Mon nouveau clip Rita, qui va sortir ces jours-ci, est également réalisé par elle. Les quelques artistes desquels je m’entoure ont un univers proche du mien et n’ont pas besoin d’être guidés. Par exemple, pour ma date au festival Fnac Live, c’est la costume designer italienne Vivalentina qui va s’occuper de nos tenues.
Les titres de Rita sont-ils tes plus récents? Quelle direction voulais-tu donner à cet EP?
Lutka n’est pas présent sur la version des plateformes digitales mais sur le vinyle, en bonus sur la face 2 – en version courte et version longue! J’ai fait exprès de choisir pour le vinyle digital, des morceaux cohérents qui avaient la même dynamique. Rita n’est pas un morceau récent. Je l’ai composé bien avant Lutka. Ce dernier est un peu plus introspectif et ne correspondait pas tout à fait avec l’intention de l’EP, qui va droit au but en montant en puissance comme une prière jusqu’à son envolée.
Tu as récemment été approchée par le label InFiné. Qu’est-ce qui t’a finalement poussée à autoproduire ton EP?
Ça n’a pas été un choix facile car on s’entendait bien. On a fait une partie de chemin ensemble mais j’ai décidé de rester autonome et d’avancer au rythme qui me convenait. L’autoproduction n’est pas chose facile, surtout lorsque c’est la première fois. Mais ça permet d’avoir un regard plus avisé, de comprendre beaucoup mieux la chaîne de fabrication d’un disque. J’ai donc mis la main à la patte, aidée de mon manager. Tout est une question d’énergie. J’en ai à revendre alors ça va!
L’EP s’ouvre sur des paroles quasi cryptiques et susurrées, au début du titre Rita. Ont-elles une signification?
C’est une prière en français récitée à l’envers. Une prière à Sainte Rita, qui me soutient au quotidien. Prie-la, tu verras : toutes les prières à Sainte Rita fonctionnent! Cela renvoie directement aux prémices de mon travail plastique, quand je parlais de mon livre écrit à l’envers. L’EP étant gravé sur vinyle, ça permettra de lire le disque en reverse et de déchiffrer ce qui se dit. Je n’avais pas envie que la prière se comprenne à la première écoute.
La mélodie semble centrale dans ton travail, et prend parfois le dessus sur la possible « abstraction » de la techno. Ce sont deux paramètres que tu traites indépendamment?
Le beat techno, abyssal et sensuel est là pour aider mes mélodies à s’envoler vers quelque chose de stellaire et cristallin. C’est très important pour moi que celles-ci soient présentes et dominantes. Lorsque j’écoute One Tree Hill d’Extrawelt ou Bedford de Bodzin, deux de mes références techno dont je ne me lasse pas, c’est la mélodie que mon cerveau retient principalement bien que le rythme soit essentiel à la puissance du track. C’est peut-être dû à un mécanisme purement féminin…
Cette prédominance des mélodies provient-elle d’influences plus vastes?
Je n’ai jamais composé rien d’autre que de la techno ou de l’electronica mais mes autres influences se tourneraient davantage vers le classique comme La Callas ou la musique traditionnelle bangladaise. Dans tous les cas, je ne cherche pas vraiment à rentrer dans une case 100% « techno ».
Ton EP semble approcher de nouvelles sonorités et genres musicaux. Est-ce que tu cherchais à lui donner un côté plus « dansant » ?
Etant donné que je suis amenée à faire beaucoup plus de live qu’avant, j’ai dû revoir la dynamique de mes titres afin d’avoir une base plus dansante car j’ai vite constaté que peu de mes morceaux studio pouvaient se réintégrer dans un live dancefloor. Ces allers-retours entre les compos studio et les compos live alimentent aujourd’hui ma manière de travailler. Pour composer cet EP, j’ai juste tenu à proposer un ensemble cohérent.
Certains de tes concerts paraissent plus proches d’une techno portée sur les boucles et l’état de transe qu’elles peuvent induire. Quels effets cherches-tu à provoquer en live?
Dans le live, tout est remanié, réarrangé. Déjà parce que tous mes morceaux ne sont pas forcément sur la même tonalité, ni sur le même beat. D’autre part, j’estime que le live est un autre mode d’écoute. Le spectateur est là pour vivre une expérience. Beaucoup de mélodies ne sont conçues que pour le live. Elles pourraient être réintégrées à l’album, seulement comme des interludes ou des moments de respiration. Pour les lives de longue durée, j’essaie de faire durer le plaisir en amenant le beat par de grandes montées étirées et hypnotiques, alternées de moments d’accalmie proches du recueillement. Je considère le live comme un voyage, avec une certaine dimension spirituelle. Les deux musiciens qui m’accompagnent, Ola Klebanska à la flûte à bec et Sizo Del Givry aux percussions, ajoutent également une dimension chamanique à l’ensemble.
Ep Rita, disponible en version digitale le 30 juin.
Version vinyle à commander sur le site officiel d’Irène Drésel.
En concert le vendredi 7 juillet au Fnac Live, à Paris.
{"type":"Banniere-Basse"}