Si le propos reste noir d’encre, les chansons de Lisa Germano se découvrent une audace et une élégance spectaculaires. “Tu n’es pas ma Yoko Ono, m’as-tu dit ; de toutes tes méchancetés, aucune ne m’a autant blessée.” (Lovesick) : il faut vraiment être “une jeune fille aisément émue” (“emotional wench music”, plaisante maison de copyright […]
Si le propos reste noir d’encre, les chansons de Lisa Germano se découvrent une audace et une élégance spectaculaires.
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« Tu n’es pas ma Yoko Ono, m’as-tu dit ; de toutes tes méchancetés, aucune ne m’a autant blessée. » (Lovesick) : il faut vraiment être « une jeune fille aisément émue » (« emotional wench music », plaisante maison de copyright des chansons de Lisa Germano) pour prendre ombrage d’une accusation qui, aux oreilles du commun des mortelles, sonnerait comme un réconfort. C’est qu’on ne changera pas la brune violoniste : son (longuement attendu) quatrième album est prétexte à une nouvelle plongée dans les eaux glaçantes d’un journal intime où sont minutieusement consignés gros bleus à l’âme (Bruises) et menues vexations. Des années passées sur un divan d’analyste, conséquence de violences subies par une gamine de 8 ans (traumatisme déterré pour Destroy the flower, sur Happiness) ne s’effacent pas d’un coup d’archet. Le « cirque amoureux » de Lisa tient davantage du Freaks de Tod Browning
que des représentations de Barnum ou de Pinder. Monstrueuse parade donc, peuplée de gargouilles allégoriques promptes à montrer les crocs : l’envie face aux poupées Barbie de la culture américaine (Victoria’s secret), la jalousie sexuelle (Messages from Sophia), la honte de soi (I love a snot), le dédoublement de personnalité (Beautiful schizophrenic). Thèmes éprouvants, propices aux pires psychodrames pachydermiques. Mais Lisa Germano ne sera jamais Jacques Doillon. Ici pas d’interminables gros plans sur des visages rongés d’angoisse, pas d’acharnement policier à cuisiner les névroses en leur braquant des lampes aveuglantes dans les yeux. Les baraques foraines du petit cirque amoureux vont cahin-caha sur des chemins mystérieux, s’égarent dans des forêts de contes de fées, y font d’étranges rencontres. Et l’horizon, sévèrement bouché sur le précédent album, le charbonneux Geek the girl, s’éclaircit enfin. Fugueur, Excerpts from a love circus prend le temps de deviser avec un pipeau d’humeur badine, de batifoler sur les traces d’un crincrin oriental pas complètement remis de ses fumettes à Katmandou. La voix, éplorée mais proche comme jamais, dirige un orchestre vif et furtif. Les images, qui ne s’encombrent guère de chichis poétiques (« Tu es une constipation. Quand je pense à toi, j’ai l’haleine fétide »), sont enrobées d’étoffes exquises, aux froissures gracieuses. L’imagination fantaisiste des arrangements, les glissements imperceptibles du sordide au somptueux, du cri à l’ivresse, de l’affliction à l’euphorie arrachent l’album à la gangue cafardeuse des humiliations ressassées, de la rancune vindicative. Admirable inventivité, qui fait s’envoler un disque pourtant lesté de peines indigestes, fait danser des refrains chagrins sur des mélodies allègres (Small heads, irrésistible single). Ce pouvoir de séduction baroque évoque effectivement bien plus les grandes heures du magicien George Martin que la tambouille toxique de la sorcière Yoko. En dehors de Lisa Germano elle-même, on ne voit pas qui songerait à s’en désoler.
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