Vierge et candide, la pop formidable de jeunes Estoniens émerveillés. Critique et écoute.
La meilleure pop ne se consomme pas d’occasion, mais strictement en première main. On l’adore fraîche, spontanée, innocente, alors qu’elle ressemble à une rombière dès que le train-train de la britpop lui est passé dessus dix fois. Une mélodie doit être vierge, et il n’en reste plus beaucoup dans la nature. Pour les dénicher, fraîches et innocentes donc, il faut souvent fouiller dans des pays épargnés par la routine, le savoir-faire, la surexploitation – la Catalogne de Polock, le Västerbotten des Wannadies ou le comté de Fermanagh de The Divine Comedy par exemple. Etonnante situation : ce sont les pays où elle n’est pas première langue qui la traitent aujourd’hui avec le plus de respect, d’admiration même.
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A quelques rares et formidables exceptions près, l’Angleterre ne regarde même plus sa formidable invention, ne joue ni jouit même plus avec elle : c’est un vieux couple, où l’on reste ensemble par habitude, par confort matériel. Les Anglais naissent avec une cuillère en argent dans la bouche et, avec, ils se contentent le plus souvent de balancer des petits pois contre les murs à la cantine. Quelle dilapidation de l’héritage !
Nés en Estonie, Ewert And The Two Dragons découvrent émerveillés ce jardin d’Eden, sans la moindre lassitude, sans le moindre cynisme. La pop est ici un carillon magique, pas la sinistre sirène des usines à tubes calibrés, émoussés, rouillés. Ewert, Erki, Kristjan et Ivo ont eu la chance de grandir dans un pays sans festivals mastodontes pour déformer à jamais le son de la pop, sans BBC1, sans NME, sans industrie. Ils découvrent la pop-song avec stupeur et la traitent avec ce mélange de candeur, d’enchantement et de gravité de gosses dépensant leur première pièce dans une confiserie.
Et dès (In the End) There’s Only Love, toutes ces chorales en cascade, ces beats rieurs, ces cavalcades de guitares préparent le corps pour le reste de l’album : grande sécheresse des glandes lacrymales, énorme activité des zygomatiques, vaste production de mélatonine, crue massive d’endorphines et spasmes joyeux dans les pieds. Le disque feel good de la semaine.
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