Les Anglais de Foals reviennent au grand galop et sortiront en 2019 deux albums, réunis sous le titre Everything Not Saved Will Be Lost. Un diptyque ambitieux aux résonances politiques dont le premier volet, qui arrive début mars, s’annonce déjà comme l’une des œuvres rock les plus époustouflantes de l’année.
Fin janvier, Foals a dévoilé son nouveau single, le premier en plus de trois ans. Ce n’est pas la première fois que le groupe prend un malin plaisir à frapper fort pour annoncer son retour – on se souvient encore du moment où ils ont publié Spanish Sahara en 2010 ou la chanson What Went Down en 2015, deux singles intenses qui ne reflétaient pas forcément les albums dont ils étaient tirés, mais qui captivaient instantanément et donnaient envie d’en savoir plus sur-le-champ.
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Cette fois, Foals a choisi Exits en guise d’avant-goût, en l’accompagnant d’un clip si élaboré que l’on croirait regarder l’extrait d’un film. Réalisée par Albert Moya, cette vidéo se situe dans un univers dystopique où l’on croise Isaac Hempstead-Wright (échappé de la série Game of Thrones) et l’actrice française Christa Théret. Les Foals y font quelques apparitions, au milieu d’escrimeurs à l’entraînement. La musique et les paroles font mouche. “Le monde est sens dessus dessous”, chante Yannis Philippakis dans le refrain : touché.
On jure solennellement de garder le secret
On rencontre le leader de Foals à deux reprises pour décrypter ce nouveau projet impressionnant. A Londres, mi-décembre, il nous reçoit dans un studio niché dans les locaux de sa maison de disques pour nous faire écouter cinq nouveaux morceaux : quatre du premier album et un single qui figurera sur le deuxième.
On apprend donc sur place que le groupe sortira deux albums en 2019 et on devine que Yannis a dû traverser une période chargée et extrêmement créative ces derniers mois. On jure solennellement de garder le secret sur ce qu’on vient d’entendre jusqu’à fin janvier – une promesse qui met nos nerfs à rude épreuve, tant on aurait envie que le monde entier soit au courant que Foals vient probablement de signer le meilleur album de toute sa carrière. On tient le coup en bombardant Yannis de questions pour comprendre comment il en est arrivé là.
“On a fait une longue pause après la tournée qui a suivi What Went Down, explique-t-il. Pour être tout à fait honnête, je crois que ce break était nécessaire. On était épuisés. Je ne ressentais plus ce désir de jouer de la guitare ou de composer, et ça a duré un certain temps. J’ai même eu peur que ça devienne permanent. Quand je suis enfin rentré chez moi, mon quotidien est soudain devenu plus petit, comme si je rapetissais dans ce rythme de vie domestique. C’était simple, agréable, mais au bout d’un moment j’ai commencé à me poser des questions existentielles à force de n’avoir aucun but. »
« Je n’avais pas l’intention d’écrire un grand album politique, mais il y a des sujets qu’on ne peut pas éviter »
« C’est là que j’ai compris que mon but dans la vie est de faire de la musique. Lancer mes soirées clubbing, et MILK, il y a un an, m’a redonné de l’énergie et ce plaisir innocent de simplement écouter des disques. Comme beaucoup de gens, j’ai été perturbé par nombre d’événements récents dans le monde et naturellement je n’ai pas pu faire autrement que d’en parler dans les paroles des nouvelles chansons. On ne peut pas détourner le regard. Je n’avais pas l’intention d’écrire un grand album politique, mais il y a des sujets qu’on ne peut pas éviter.”
« De manière générale, je ne suis pas un grand optimiste »
On lui demande s’il garde espoir quand il pense au futur et il réplique du tac au tac, sourire en coin : “Ai-je déjà été optimiste ? J’espère quand même qu’on pourra régler quelques problèmes environnementaux. J’espère que la situation globale empirera et que, par conséquent, de plus en plus de gens se réveilleront, s’uniront pour lancer un message qui pourrait changer les choses. Mais, de manière générale, je ne suis pas un grand optimiste. Dans le monde entier, les divisions dans la société sont si profondes que c’est presque comme si on vivait dans des mondes parallèles. Ça rend le dialogue difficile. Ceci dit, je trouve que c’est intéressant d’essayer d’évoquer ces sujets à travers une création artistique. Même si ça ne touche qu’un petit cercle de personnes, ça peut se propager au-delà. Que faire d’autre ? Il faut agir malgré tout.”
A la fois énergique et cérébral, le leader et chanteur du groupe n’a jamais été du genre à se morfondre. Le résultat de ses intenses réflexions n’aurait pas tenu sur un seul album : le groupe en sortira donc deux cette année, les deux parties d’une même entité intitulée Everything Not Saved Will Be Lost, publiées séparément mais reliées dans leurs thèmes et leurs ambiances.
“On a discuté entre nous de l’éventualité de faire plutôt un double album, déclare Yannis, mais ces deux disques sont assez profonds et prenants. On avait peur que ça fasse trop pour les auditeurs de tout écouter d’une traite. Après la sortie de What Went Down, on a fait des concerts pendant plus d’un an et, sur la fin de cette tournée, on avait l’impression de jouer des morceaux très vieux – le monde va si vite de nos jours…”
Guitares atomiques et nouvelles technologies
Le premier volume, prévu pour le 8 mars, prouve que ces jeunes poulains (foals en anglais) sont devenus des étalons indomptables qui n’en finissent pas de galoper toujours plus loin, sans jamais tourner en rond. Cette “Part 1” ravira autant les amateurs de guitares atomiques que les passionnées de nouvelles technologies, en mélangeant riffs surpuissants, délicates boucles mélodiques, sonorités futuristes, douceurs atmosphériques et coups de griffes authentiques.
Mention spéciale à l’abrasif White Onions, à l’anguleux On the Luna et à Sunday, éblouissante chanson-fleuve qui démarre dans la volupté, monte en puissance et débouche sur un passage electro en spoken word qui n’est pas sans rappeler le Born Slippy d’Underworld, avant de finir sur un refrain plus expansif que jamais. On brûle d’impatience de voir la version live.
“Je doute en permanence, avoue Yannis. Quand on a terminé un nouvel album, on sent une forme de réussite, une sorte de fierté. Je suis encore dans cet état d’esprit en ce moment, cette lune de miel pendant laquelle tout va bien. Mais durant toute la préparation de l’album, je suis dans le questionnement : est-ce que ce qu’on est en train de faire vaut le coup ? Est-ce que le cœur de ces nouvelles chansons est suffisamment important pour qu’on continue à travailler dessus ? Et si oui, est-ce qu’on s’y prend de la bonne façon ? C’est un processus d’autoflagellation, de névrose. Quand j’écris les paroles, je ne dors jamais bien. Je deviens insomniaque. Faire un album, ce n’est pas très bon pour la santé ! Là, l’album me plaît, mais peut-être que dans un an, je n’entendrai plus que les erreurs. Je crois qu’on est tous comme ça, dans ce groupe.”
Alors que leur album précédent avait été enregistré en France (au studio La Fabrique de Saint-Rémy-de-Provence) avec un producteur extérieur (James Ford), les Foals ont eu une approche radicalement différente pour Everything Not Saved Will Be Lost. L’ensemble a été réalisé sur une période de dix-huit mois, chez eux, dans le sud de Londres, suivant une idée de leur batteur, Jack Bevan.
« C’est juste nous, dans la version la plus concentrée possible, non diluée dans l’eau ! »
Le groupe, devenu quatuor depuis le départ à l’amiable du bassiste Walter Gervers, a décidé de se charger de la production. “On s’est fait plaisir en prenant notre temps, confie Yannis. C’était notre petit luxe et ça explique pourquoi on a pu composer autant de nouveaux morceaux. Produire nous-mêmes a changé beaucoup de choses, déjà pour notre confiance en nous, mais aussi parce qu’on a déjà eu l’impression, sur d’autres albums, d’avoir donné trop de pouvoir à un producteur et que notre message initial avait été détourné. Dans l’ensemble, ça a été plus dur mais plus gratifiant aussi. Cette fois, on n’a pas fait appel à beaucoup de collaborateurs, à part des choristes et un percussionniste. C’est juste nous, dans la version la plus concentrée possible, non diluée dans l’eau ! Musicalement, en termes de texture et d’espace, on a pu faire des choses qu’on n’avait jamais faites avant. J’admire les gens qui arrivent à se fixer des règles dès le départ – j’en suis incapable. Je suis mon intuition.”
Quelques semaines plus tard, on le recroise, cette fois à Paris, après avoir enfin pu écouter l’album dans son intégralité et voir sa pochette, une façade d’immeuble envahie par une étrange végétation rouge. “Cette image a été prise par un photographe sud-américain que j’ai découvert, Vicente Muñoz, raconte Yannis. J’aime ce conflit entre le naturel et le surnaturel, entre une élégante structure construite par l’homme, civilisée et ces plantes contre nature. C’est comme une métaphore de certains thèmes abordés sur l’album. La deuxième partie aura un visuel plutôt dans les tons orange, réalisé par une autre photographe, Maggie Steber, qui a beaucoup travaillé pour National Geographic. Le concept de synesthésie me laisse assez sceptique, je ne vois pas de notes colorées sortant des enceintes, mais je suis sensible aux palettes de couleurs.”
Ce leader fougueux n’a pas perdu son enthousiasme pour parler du cinquième album de Foals. “C’est en essayant de se surprendre soi-même qu’on parvient à se renouveler. J’ai l’impression de vivre le début d’une nouvelle phase pour le groupe, alors que What Went Down était le point final d’un autre chapitre.” En attendant de voir comment Foals adapte ces nouveaux morceaux sur scène, on ne peut pas s’empêcher de remarquer que Yannis, souvent assailli par le doute et les remises en question intérieures dans le privé, renvoie une image très différente sur scène, celle d’un héros invincible, tout-puissant. Y aurait-il un malentendu à dissiper ?
« La scène permet toutes les métamorphoses »
“Non, s’exclame-t-il en riant. Je crois que c’est le pouvoir de la scène qui permet toutes les métamorphoses. La personne que je suis dans le quotidien n’est pas la même personne pendant un concert – celui-là est intouchable, doté d’une force qui n’existe qu’à cet instant précis. Ça n’arrive pas toutes les semaines, peut-être pas tous les mois non plus, mais de temps en temps on joue un concert mémorable, qui nous transcende et nous procure une telle extase qu’on a envie de la retrouver. Un show pareil dépend de paramètres qu’on ne contrôle pas totalement. Tout ce qu’on peut essayer de faire, c’est jouer avec passion et intensité. Courir après ce genre de show, c’est addictif. Plus généralement, je suis aussi accro au fait de composer et je cherche toujours la prochaine chanson. Celle qui n’a pas encore été écrite me hante et c’est un vrai plaisir d’être dans cette poursuite sans fin. Je suis à la recherche d’une émotion authentique.”
Insatiable et bouillonnant, à l’image de sa musique, Yannis a passé beaucoup de temps en Grèce ces dernières années, pour se ressourcer en famille. Ce n’est pas un hasard si l’un des nouveaux morceaux s’intitule Cafe d’Athens. “Ce pays me nourrit, me reconnecte à mes origines. Sa terre et sa mer sont bienfaisantes pour moi. Je me sens Britannique, mais la moitié de mes racines viennent de Grèce. Je viens d’un village où je peux me balader à pied, passer devant chez mon arrière-grand-père, mon grand-père et mon oncle, tandis que mon père m’attend à l’intérieur du café tenu par mon cousin. J’adore cette sensation. J’ai aussi visité le mont Athos, une communauté de monastères qui m’a beaucoup marqué.”
Entre apaisement et explosion, ce premier segment d’Everything Not Saved Will Be Lost choisit de regarder le monde droit dans les yeux et sa musique s’inscrit dans son époque, sans nostalgie, en faisant appel aux techniques modernes d’enregistrement. Après cette longue pause qui lui a fait un bien fou, Yannis a retrouvé sa fureur de vivre et on est presque aussi soulagés que lui. “Un jour, la musique a commencé à me démanger à nouveau et j’ai su qu’il était temps de faire un nouvel album de Foals, se souvient-il. J’ai du mal à rester sans rien faire pendant trop longtemps. J’ai besoin de mouvement dans ma vie.” Ce premier volet habité et foudroyant permet de patienter avant la suite, prévue pour l’automne.
Album Everything Not Saved Will Be Lost Part 1 (Warner)
Concerts Le 13 mai à Paris (Bataclan), le 22 août à Guéret (festival Check In Party) et le 25 à Saint-Cloud (Rock en Seine)
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