Comment un tunnel sous la manche et train à double sens a changé la musique pour toujours : récit de JD Beauvallet.
Souvent, à Londres, mes collègues de la presse musicale ou amis de l’industrie du disque me demandent ce qui a, à ce point, changé dans ma mère patrie pour que des groupes français réussissent à se faire entendre, sur scène ou sur les ondes, dans une Angleterre réputée nombriliste, autarcique.
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Ils se souviennent alors avec effroi de voyages scolaires en France d’où ils revenaient avec des vinyles inaudibles offerts par leurs familles d’accueil – ou de quelques artistes exotiques qui avaient miraculeusement traversé la Manche en clandestins. De Vanessa Paradis à Gainsbourg, de Plastic Bertrand à Françoise Hardy, les mêmes noms revenaient sempiternellement sur le tapis quand il s’agissait pour les Anglais d’évoquer la scène de ce pays lointain,mystérieux et archaïque. The Great Unwashed (“la populace”), disaient-ils… Certains le pensaient peut-être vraiment : il faut dire que si leurs seuls guides de voyage étaient The Sun ou le Daily Mail, pas étonnant qu’ils ne se risquent pas à aller explorer plus loin que Douvres.
Ma réponse tient généralement en un mot : Eurostar. Il a permis à toute une jeunesse française de considérer Londres comme un quartier de Paris, mais aussi aux Londoniens de se rendre compte de visu que Paris, par poches de résistance, bouillonnait autant que Shoreditch ou Hoxton. Les uns ont comblé leur retard ; les autres leurs lacunes. Les uns et les autres ont revu à la baisse leurs a priori : l’Angleterre n’était pas un pays si hermétique ; la France n’était pas si arriérée.
Jamais la France de la culture n’a été aussi couverte, disséquée par les médias anglais que depuis l’Eurostar : le territoire était vierge de toute exploration. Le journaliste musical ne prenait jamais l’avion pour Paris – pas assez glamour – mais pour New York, Seattle ou San Francisco. Pas un hasard si toute une scène française, de Air à Daft Punk en passant par Phoenix – qui ont d’abord été prophètes en Angleterre – sont tous apparus post-Eurostar.
Un train a démoli des frontières et des préjugés. Eurostar, aujourd’hui, démarre son label, fertile en relations trans-Manche : on y retrouvera normalement les excellents Londoniens de Man Like Me remixés par les cinglés français de Débruit, Velo retravaillé par les Parisiens Data ou Cocosuma, Plugs (rescapé de Does It Offend You,Yeah?) déconstruit par le formidable Toulousain de Mondkopf ou Poni Hoax.
Une ébullition et un dialogue d’égal à égal qui rappellent aux grincheux que le tunnel sous la Manche marche désormais parfaitement en double sens : Paris-Londres et Londres-Paris. Sauf en cas de neige.
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