Chaque année, la bouillonnante cité de Clermont-Ferrand devient la plaque tournante du rock européen avec Europavox : un festival où viennent se produire nouvelles pousses de Lettonie comme valeurs très sûres d’Angleterre. Troisième et dernier épisode de notre reportage.
Dans le train qui mène à Clermont-Ferrand, des langues indéterminées mais excitées fusent de toute part avant de se mêler en un anglais sabir universel : vingt-sept pays de la communauté européenne y sont représentés non seulement par de groupes patiemment sélectionnés, mais aussi par des journalistes et aussi des ambassadeurs, jeunes fans surexcités qui s’improvisent reporters et porte-parole de leur pays. Le festival, organisé autour de la plaque tournante et source de tant de vocations que reste la salle de Coopérative de Mai a, depuis sa création en 2006, frappé par son excitation palpable, la jeunesse et l’absence absolue de cynisme de son public, plus d’habiles montages d’affiches qui font côtoyer valeurs sûres et inconnus absolus. Une sorte de concours de l’Eurovision où le second degré ne serait jamais nécessaire pour vraiment s’amuser.
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Le vendredi soir, on commence par un BOOGERS en pleine forme, qui déambule dans le foyer des “professionnels” en mode commando de terrain : guitare électrique, micro Emmaüs et ampli dans un sac à dos. C’est drôle, absurde – son vrai concert, plus tard dans la soirée, gardera ces qualité, mais lui ajouteront une puissance sonique, une impatience chronique et belle qui le font sauter, à la dynamite, du coq (n’roll) à l’âne. Ses chansons (dont le monumental Nothing To Do), peuvent dévisser sans souci d’une électro sagouinée à un rock archi-tendu. Elles disent très haut que Weezer est un bienfaiteur de l’humanité : on approuve.
[attachment id=298]L’avantage d’Europavox, c’est de voyager parfois très loin sans quitter les volcans d’Auvergne. Ils se réveillent, avec langueur, pour accueillir une jeune chanteuse du Groenland. La belle et émue NIVE NIELSEN est accompagnée par des champions américains : les musiciens d’Howe Gelb, complice de cette folkeuse lunaire et givrée, qui marche sur l’eau et même peut-être les nuages. Ça n’empêche pas ses chansons élastiques, chantées en anglais ou dans de mystérieux dialectes, de s’énerver en quelques bourrasques, de déraper en un psychédélisme élégant d’Arizona, acclamées par un public curieux, fasciné et prêt à suivre. Nive Nielsen n’en revient pas quand ses chansons se terminent par de telles ovations, incapable de gérer cette joie visiblement inédite de jouer face à l’enthousiasme d’une telle foule : elle rigole nerveusement quand sont ainsi saluées ses galipettes vocales, son solo de kazoo et ses excentricités. Elle chante sur le ménage, voire sur une femme de ménage – visiblement, en musique comme dans la vie, la propreté semble une obsession de cette envoyée du grand Nord, premier petit miracle de cette édition.
Surboum d’après lycée pour le prochain invité : le Roumain THE MODEL, jeune électronicien qui doit encore se gargariser de mots anciens, comme “fluokids” ou même “electroclash”. Son set est aussi efficace que cousu de fil blanc, même si sa techno se veut noire.
On file plein sud pour les Espagnols de VIOLADORES DEL VERSO, délégués ibériques d’un hip-hop qui lézarde cool, au fond de la classe, près du radiateur, dans la old school. On n’est pas certain de saisir toute la portée des paroles, mais ça ne sent pas l’urgence, ni le génie. On a du mal à prendre le MC central au sérieux dans son rôle de bateleur : il rappelle trop l’ami Stéphane Saulnier, le Mister Rock de Canal +. Le reste du groupe ressemble un peu à des roadies de Rammstein : ils sont des stars en Espagne, dont on ne comprendra décidément jamais la musique.
[attachment id=298]Mais l’immense choc de la soirée est à venir : INSTRUMENTI. Au pays des “Panda Mountains”, comme Cocoon avait fantasmé, avant de s’envoler ailleurs, cette Auvergne toute en rondeurs, Clermont-Ferrand accueille effectivement deux pandas. Même la batterie du duo est déguisée en panda. Mais très vite, passé le gag, voire le kitsch, les chansons commencent par intriguer, puis enthousiasmer. Car les pandas font subir à la pop quelques tours pendables. Les deux Lituaniens, beaux gosses sous leurs masques et costumes sudatoires, jouent ainsi, dans leurs moments les plus humbles et réservés, un pop d’une extrême extravagance.
Quand ils se lâchent, c’est carrément le grand cirque cosmique/comique : on pense à un Genesis défoncé à l’électro de contrebande ou même à un Mika qui aurait forcé sur le LSD. Le public, nombreux pour de tels inconnus, commence par applaudir, puis par s’exciter, inventant pour ces chansons sans queue ni tête des danses de Saint-Guy aussi frénétiques qu’inédites : très vite, il n’y a pas une fesse immobile, par une main qui ne tape, pas une tête qui ne dodeline. Le groupe annonce, très marrant, que son nouveau single s’appelle Pandémie et que “c’est un instrumental chanté en islandais”. Entre cabaret vraiment barré et Macumba de l’allégresse, le chapiteau devient l’un des lieux les plus joyeux, extatiques que l’on ait visités cette année. Leur tube, le génialissime Life Jacket Under Your Seat le transforme même en soucoupe volante : on visite les étoiles, plein les mirettes. C’est le tube parfait et universel pour un été sans crise, sans Grèce, sans le moindre coup de téléphone de la réalité. Le public est tellement reconnaissant pour ce moment de grâce qu’il ne sait plus comment témoigner son affection : les hurlements et applaudissements ne suffisant plus, les premiers rangs improvisent carrément une ola. Sous leurs masques, les deux Lituaniens en versent une petite larme.
Pendant ce temps-là, on manque Rachid Taha, accompagné de Mick Jones qui percera des cœurs et des âmes en reprenant à l’identique le Should I Stay or Should I Go de Clash : mais pas de temps pour la nostalgie, même la plus glorieuse, quand on a la chance de vivre au futur simple et langue pendante avec deux pandas.
De concert en concert, GAËTAN ROUSSEL est devenu un groupe. Un Rubiks Cube aux angles arrondis, où tout s’imbrique dans un étonnant dégradé de nuances. Le groupe apprivoise désormais parfaitement la redoutable et complexe simplicité de l’album Ginger, maîtrise sa nonchalance anxieuse. Mais la maîtrise autorise aussi, grande salle oblige, quelques micro-dérapages qui en altèrent la fragilité, la tension : quelle est cette sale manie française, peut-être héritée de Taratata, qui ordonne au public de taper dans les mains, à contretemps en plus, dès que le pied de grosse-caisse vire linéaire ? Heureusement, la guitare cisaille de l’ancien Mano Negra Daniel Jamet et la tranquillité radieuse de l’ancien chanteur de Louise Attaque empêchent fermement cette ménagerie hétéroclite de sons et influences de virer au barnum, à la grande revue.
Demain, événement : on offrira les clés de la ville à Peter Hook de New Order et Joy Division, pour services rendus à la nation : on y sera.
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