Y’a pas à dire, ils sont fortiches, ces Américains : à Chicago, au beau milieu d’un rock auquel on a eu la sagesse de couper la langue, le nouveau venu s’appelle, assez brillamment, Euphone barbarisme qu’on rage de ne pas avoir trouvé soi-même, à mi-chemin entre euphonie et aphonie. Aphone, cette musique l’est donc, […]
Y’a pas à dire, ils sont fortiches, ces Américains : à Chicago, au beau milieu d’un rock auquel on a eu la sagesse de couper la langue, le nouveau venu s’appelle, assez brillamment, Euphone barbarisme qu’on rage de ne pas avoir trouvé soi-même, à mi-chemin entre euphonie et aphonie. Aphone, cette musique l’est donc, mais pourtant on comprend clairement ce qu’elle chuchote, ce qu’elle suggère. Euphoniques, ces jolies plages sauvages le premier morceau s’appelle Island I would love to live in, et on est certain qu’elle est déserte le sont également, coulant de source, emportant des sons a priori cagneux, blessants, en un flot paisible, serein. Un peu comme si cette grosse limace de Loire se mettait à charrier des icebergs et des fûts radioactifs et que ce soit très beau à regarder. A l’évidence, Ryan Rapsys, l’homme seul d’Euphone il est quand même rejoint, à deux brillantes reprises, par Casey Rice de Tortoise, histoire de valider le sérieux de l’entreprise , n’aime pas qu’on se dispute dans sa discothèque. En conciliateur à la coule, il rêve de faire signer un traité de paix entre la batterie de Kenny Clarke et les orgues enfumés de Money Mark, entre les tapis de guitares volantes de Phil Manzanera et l’électronique bac à sable de The Sea & The Cake. La voix brisée, il s’invente un autre langage, à partir des couleurs : chatoyantes quand les percussions se perdent au Brésil (From an unpublished letter), gris anthracite et bleu nuit quand des nappes d’orgues noient la campagne désolée (Two basic colours), pimpantes quand Euphone repeint des carcasses métalliques (Red, blue, yellow), rose à pois jaunes quand Rapsys, fumé comme un hareng de Jamaïque, se lance dans un dub à la bouche pâteuse et au geste engourdi (Message from Touhy Bay). Comme Ryan Rapsys est érudit mais humble, comme on sait qu’il a écouté toutes les musiques pour les essorer, il fait fatalement penser à Robert Wyatt, avec qui il partage un penchant naturel pour l’arrangement biscornu, pour le point de croix mélodique, pour ce travail à peine raisonnable sur la matière, la texture toutes ces choses ingrates, invisibles, pas du tout clinquantes, gratifiantes, comme ces couches d’apprêt qu’il faut étaler avant la peinture finale. La toile finale d’Euphone est toute blanche, avec d’étranges zébrures pâles à l’aquarelle.
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