Les Inrockuptibles ont suivi Etienne Daho en studio durant l’enregistrement de son nouvel album Corps et armes (les Inrockuptibles Hebdo n°239 du 18 avril 2000). En complément, lesinrocks.com vous offre l’intégralité de l’interview accordée par le chanteur français à notre journaliste.
Ton album est maintenant achevé, sans possibilité de le retoucher. Est-ce un moment de libération ou d’angoisse ?
La conception de l’album a duré neuf mois et je l’ai vraiment ressentie comme une gestation. Quand l’album a été achevé, j’ai ressenti un vide intégral, d’une violence terrible. Je croyais connaître le fond mais là, je suis descendu encore plus profond. Pendant neuf mois, ça a été un projet de tous les jours, toute ma vie tournait autour, il a occulté tout le reste. Le retour sur Terre a été un crash. Je n’avais jamais ressenti une telle tristesse, à laquelle s’ajoutait de l’angoisse. Le pire, c’est que ce disque était un projet joyeux, qui marquait la fin d’une époque de ma vie.
Dès le début de l’enregistrement, tu paraissais très confiant à l’égard de tes maquettes. Etait-ce un sentiment inédit pour toi ?
C’était un brouillon très précis sur le ton à employer. Il fallait suivre ces chansons jusqu’au bout de leur personnalité : si c’est de la pop, ça doit être ouvertement pop. Si c’est joyeux, autant l’être jusqu’au bout. Ça a toujours été mon système. Même si j’ai parfois refringué mes chansons, notamment sur la tournée plus électronique d’Eden, ce ne sont que des frusques d’emprunt. De toute façon, beaucoup de mes chansons des années 80 – Epaule tattoo, Le Grand sommeil – étaient déjà électro. Pour Corps et armes, je voulais rester simple, je n’avais pas le moindre doute sur ce que j’attendais. Car je ne doute jamais dans le travail, en tout cas jamais sur le fond. Un type comme Arnold Turboust, qui doute de tout, c’est un enfer pour moi en studio. C’est pourquoi je m’entoure de partenaires – Jacno, Darcel, Les Valentins – avec qui je partage une vision. Sur cet album, ma fierté venait du fait que d’entrée, j’adorais les mélodies. Ecrire une chanson, en soi, est déjà pour moi une grande fierté (rires)? C’est vraiment un soulagement d’arriver au bout d’une émotion, de trouver les mots qui soient à la fois musicaux et précis pour y parvenir. Ces mélodies m’ont poussé à chanter différemment, à moins me reposer sur les basses, où je suis à l’aise. C’était à la fois l’atout et le défaut d’Eden : la voix était tellement basse que les mots et intentions étaient masqués. Alors que je suis très fier de certains textes de cet album. Mais là, j’ai varié : sur San Antonio de la luna, je chante plus haut que jamais. C’est un texte apaisé et ouvert, alors que la musique est dramatique. C’est exactement l’inverse sur La Baie : une mélodie estivale, très Bacharach, mais un texte de perdant.
De l’extérieur, tu donnes cette impression de nonchalant, d’indolent presque. En studio, tu sidères par ta volonté et ton pointillisme.
Mon image remonte à mes premières apparitions et pour plein de gens, je serai éternellement le petit jeune homme branchouillé qui arrive de Rennes et adore Françoise Hardy ou le Velvet. Un bout de cet Etienne-là subsiste peut-être, mais je suis plus violent, passionné, dangereux que mon apparence extérieure le suggère. Sur une chanson, tout est détail : c’est important que ce soit tel son, tel instrument et pas un autre. C’est cette méticulosité qui explique pourquoi j’ai besoin d’autant de temps entre chaque album. Je ne veux pas qu’ils soient un prétexte parce que je les dois à ma maison de disques, mais qu’ils reflètent quelque chose qui s’est passé dans ma vie.
L’ambiance est particulièrement feutrée en studio : tu n’as pas parfois des envies d’affrontement ?
Le conflit serait pour moi une catastrophe. J’ai travaillé une seule fois avec un producteur qui n’était pas un ami – Ben Rogan – et je n’arrive pas à réécouter Pour nos vies martiennes, à cause de la réalisation. Le conflit oblige à faire des compromis et sur une chanson, il n’y pas de place pour ça. S’il doit l’être, un disque doit être raté jusqu’au bout. Si j’entends quelque chose dans ma tête que personne d’autre n’entend, je sais que je l’entendrai toute ma vie : à mes débuts, j’ai eu tendance à m’écraser face à des gens plus expérimentés que moi et je le regrette toujours en entendant les chansons. J’étais tellement peu sûr de moi que j’avais jusqu’ici souvent caché ma voix, ce qui m’a valu le sobriquet de chanteur muet (rires)? Mais là, je me suis battu pour elle : j’avais envie qu’on m’entende, qu’on écoute mes textes. C’est une métamorphose qui avait commencé sur la tournée Eden : soudain, je n’avais plus une multitude de musiciens auxquels me raccrocher, des petits pas de danse pour masquer mes lacunes et faiblesse. J’ai préféré tout montrer, avec très peu d’artifices pour détourner l’attention. Je n’ai jamais été un fantôme traversant mes disques mais pour Corps et armes, j’avais envie d’être plus présent. Quand je suis là, c’est moi, au complet, ce n’est pas quelqu’un d’autre. J’ai compris que ça ne servait plus à rien de lutter contre certains traits.
T’es-tu parfois perdu dans les jeux de masques ?
Ça m’a dépassé à une époque. Mais ça tenait plus à la façon dont on parlait de moi qu’à moi-même. J’ai toujours été très mal à l’aise avec les compliments, je préfère être attaqué que flatté. Et à l’époque de Pop satori, les superlatifs sont tombés en masse, j’avais l’angoisse de ne pas être à la hauteur, c’était une terreur. Pour les médias, j’étais devenu le mec à accrocher, qui faisait vendre du papier et monter l’audimat. Et j’ai probablement joué le jeu, probablement par inconscience. Ça a complètement dérapé, j’ai même dû demander à ma maison de disques de ne plus exploiter l’album, de ne plus en extraire de singles. On me forçait à devenir un autre.
Quelques années plus tard, au milieu des années 90, tu as fini par craquer et t’enfuir. La fuite était-elle la seule solution alors ?
Je sortais de Paris ailleurs et Mon manège à moi, c’était la voie royale : les numéro un, les singles qui cartonnent Et pourtant, ça devenait invivable, je devais me sortir de ça, me donner le droit de vieillir, de changer. J’ai alors décidé de partir vivre tout seul, à Londres seul, tout seul, alors qu’à Paris, je suis constamment entouré. Je me suis refait une vie, sans être Etienne Daho, juste un type reconnecté au quotidien. Depuis que j’avais quitté la fac, je n’avais connu que l’existence de chanteur, une vie anormale, à côté de la vie. Alors que mes chansons, elles, ne devraient se nourrir que de la vie, des rencontres fortuites, du danger. A Londres, je me suis mis en danger dans la solitude la plus totale. Face à moi-même, j’ai dû faire un bilan. Plutôt positif : j’étais un petit étudiant autiste et là, je chante depuis treize ans, quelques-unes de me chansons ont accompagné la vie de certaines personnes. Mais ça faisait des années que je n’avais pas eu le temps de prendre ce recul, de ranger ma vie. Une thérapie m’a alors beaucoup aidé. J’étais sur le point de m’envoler pour une tournée internationale et soudain, j’ai commencé par ressentir des phobies, comme l’impossibilité de monter dans un avion. Des phobies dues à mon délabrement physique. Je suis pourtant solide, contrairement à mon air chétif, mais là, je ne pouvais plus.
Qu’est-ce que l’Angleterre t’a alors apporté ?
Depuis l’adolescence, je me sens bien en Angleterre. La musique, le graphisme et même, depuis quelques années, le cinéma me conviennent. J’ai toujours souffert du côté conventionnel de la France, du fait qu’on ne m’autorise pas, en tant que chanteur populaire, à avoir d’autres références. A Londres, j’aime ce mouvement perpétuel, ces nouvelles scènes qui émergent, cet accès très simple à la musique. Quand je suis rentré pour la première fois dans un club qui passait de la drum’n’bass, ça m’a galvanisé. Moi qui ai toujours adoré la musique noire, c’était le mélange parfait que les noirs et les blancs pouvaient amener à Londres. J’étais au fond du trou quand j’y suis arrivé, la prochaine étape, c’était la corde. Et pourtant, j’avais confiance. C’est pour ça que je ne connais pas la nostalgie : il y a toujours une force pour me pousser vers l’avant. Je préfère un avenir incertain à un passé sûr, sur lequel m’asseoir. C’est un truc très personnel, dont je n’ai encore jamais parlé, mais depuis que je suis tout petit, quand je ferme les yeux, je vois une lumière. Et là, ça s’est éteint. Ça a été le gouffre, avec la sensation à ce moment-là que le meilleur était derrière. Il fallait mourir pour renaître. Et curieusement, au même moment, une rumeur a commencé à circuler, annonçant mon décès. Au lieu de m’enfoncer, ça m’a dopé, même si ces bruits ont compliqué ma vie privée, celle de ma famille. J’ai très vite rencontré le groupe St Etienne, avec qui j’ai enregistré un maxi, car j’étais encore alors trop faible pour me lancer dans un album. Il m’a fallu trois années de recherches, de désillusions pour retrouver ma lumière. Je n’avais plus de projet.
Jusqu’à ce que tu finisses par enregistrer, Eden, ton disque controversé de 96. A quel point cet album t’a-t-il servi ?
Eden est un album que je devais faire, pour me remettre debout. A Londres, où je sortais beaucoup, j’étais immergé dans la scène électronique. C’est un disque qui est mal passé auprès d’une partie du public, alors que j’en suis très fier, même s’il est peut-être un peu trop arrangé et épais. Effectivement, c’est un album beaucoup moins émotionnel, alors que je fonctionne surtout à l’émotion. Celle d’Eden est très sombre, elle reflète une période de ma vie où j’étais en plein recentrage. J’avais travaillé comme un fou entre 81 et 94 et là, je devais retrouver l’énergie de base. Du coup, Eden est un témoignage de ma reconstruction, il dégage de l’espoir même si je suis encore dans le tunnel. Les gens n’y ont pas retrouvé l’Etienne qu’ils aimaient bien, ça les a déroutés.
Ton éloignement à Londres t’a-t-il permis de mieux juger la musique française ou, au contraire, de mesurer un fossé ?
Quand je suis arrivé à Londres, il n’y avait quasiment pas de rap alors qu’en France, il avait pris toute la place. Si bien que ça laissait du terrain à plein de musiques différentes, j’aimais la diversité entre la pop, la dance, l’électro – chaque style allant du plus commercial au plus obscur. Du coup, en vieux fan de Kraftwerk, je me sentais mieux dans la musique anglaise que dans ce qui se passait en France – où l’électronique était cataloguée « musique de pédés ». Et moi, je reviens en France avec un album électronique, complètement atypique dans une scène divisée entre la variété très lourde et le hip-hop. Il n’y avait plus d’espace pour moi, pour une pop française. C’est anormal qu’un type comme Pierre Bondu, que j’adore, n’ait pas sa place. Toute une pop française ne pouvait émerger, tout était bouché, verrouillé. J’étais effondré. Ce n’était déjà pas brillant quand j’ai commencé, mais là, il y avait eu une chute impensable de qualité des médias en France. Tous ces gens comme Air, De Crécy, Daft Punk, Elegia – avec qui j’ai envie de bosser -, Gopher, Motorbass, Dimitri, je les connaissais et j’étais scandalisé que leur reconnaissance en France passe d’abord par un succès en Angleterre. A part FG et Radio Nova, personne ne voulait en entendre parler, tout un public a été privé d’une musique qui était pour lui. Ayant accès à des médias populaires, j’en ai profité pour parler d’eux, c’est ma fonction. Comme de dire que toute cette scène n’aurait sans doute jamais existé sans Jacno et son Rectangle, peut-être le premier disque électro français. Depuis deux ou trois ans, je vois bien que je deviens une sorte de parrain, je ressens ce basculement entre le fan qui reçoit de ses aînés à l’aîné qui transmet à son tour. C’est très flatteur.
Le décalage se creuse-t-il entre la musique que tu écoutes et celle que tu joues ?
Oui, mais je peux passer sans sourciller de Prodigy à Jeanne Moreau. Ce n’est pas la même émotion, mais il y a plaisir. Je refuse d’établir des hiérarchies, j’écoute autant Brigitte Fontaine, Gainsbourg que Nico – The Marble index, par exemple, que je trouve très moderne. On la trouve noire, négative alors que moi, ce qu’elle m’a enseigné, c’est d’aller le plus loin possible dans ce dont tu te penses capable. Moi, ça a été la chanson, avec une forme d’extrémisme à moi. Corps et armes, par rapport à ce que j’entends à la radio, c’est de la résistance. Comme si j’essayais de maintenir en vie une forme de tradition.
Tu chantes, sur Ouverture, « tu viens comme moi d’une planète invisible ». Ça résume bien Daho, partout étranger, à Paris comme à Londres, dans le rock comme dans la variété française.
Etrange et étranger, oui, c’est quelque chose que je ressens depuis l’école. A cette époque, alors que commençait le bourrage de crâne sur la normalisation, j’en souffrais déjà. Je voulais qu’on me fiche la paix, ressembler à tout le monde, alors que cette différence est devenu mon atout. Même ma voix, au début, tout le monde la trouvait étrange. Si je dois trouver une raison à mon succès, c’est d’avoir été étrange jusqu’au bout. Et parfois, je rencontre d’autres aliens comme moi et là, c’est la transe (rires)?
Comment cette différence s’est manifestée au départ ?
Je suis né à Oran, en Afrique du Nord et je suis arrivé à Reims à 6 ans. Je venais de la guerre, d’une famille à la situation chaotique, d’une école au bord de la mer, où on avait deux heures de cours par jour. Et là, je débarque en France, dans le froid, dans une école normale Je n’avais pas du tout la même culture, ça m’a donné la rage de réussir. Oran, j’en ai aujourd’hui encore des souvenirs très précis. Je me souviens de la maison de bord de mer où habitaient mes grands-parents. Ils avaient un endroit où ils vendaient des glaces, faisaient épicerie et il y avait un juke-box. Mon envie de faire de la musique a commencé là, c’est d’ailleurs une photo que j’ai utilisée sur mon premier album, sans mesurer à l’époque l’importance de cette image : moi devant le juke-box. Souvent, d’ailleurs, j’ai fait des choix sans en mesurer l’importance. Je ne me doutais pas que la première chanson de mon premier album Tu ne diras pas, allait ainsi servir de philosophie à vingt ans de carrière à venir. Car tout ce que je promets alors de ne jamais dire, je ne l’ai jamais dit. C’est étrange, comme de l’anticipation.
Oran, c’est un souvenir doux ou douloureux ?
A double tranchant. Mon père était militaire en Afrique du Nord, appelé. Et il nous a abandonnés, dans des circonstances bizarres, ma mère, mes s’urs et moi. Mon souvenir, c’est que la mort était extrêmement présente. Il ne fallait pas passer devant les fenêtres à cause des balles, le climat était à l’anxiété. Ma mère, avec ses trois gosses, était complètement paniquée de se retrouver sans argent. Alors que mon père, lui, était assez fortuné. Et on a appris qu’il faisait passer une autre femme pour son épouse, ça paraissait dément. Et pourtant, comme on était au bord de la mer, il y avait une forme d’insouciance. Une partie de moi puise beaucoup dans ces souvenirs là. Quand je suis tombé, je me suis rendu compte que ma petite lumière, elle venait de là. Je me revois passer entre les tables pour récolter quelques petites pièces pour mettre dans le juke-box. Ensuite, on me montait sur le bar et je dansais. Monter sur scène, c’est un peu retrouver ça, danser sur le bar. Je n’y suis jamais revenu, il n’y a plus rien pour moi là-bas. J’avais écrit une chanson sur cette époque, que j’ai bêtement tenue à l’écart d’Eden. C’est De bien jolie flammes, qui s’est retrouvée en face B, elle raconte un épisode assez dur, une nuit où quelqu’un a essayé de nous faire brûler vifs dans notre appartement en provoquant un incendie. Ça, c’est remonté à la surface quand je vivais seul à Londres, je pouvais enfin en parler parce que ça faisait moins mal. Eden m’a permis de sortir tout ça, de montrer des aspects moins lisses. On pouvait voir de manière un peu plus réaliste le gentil jeune homme trop poli trop honnête que je ne suis pas. Enfin, jeune homme : je viens de dépasser 40 ans, c’est bien, une bonne période de ma vie. Ma vie est plus simple aujourd’hui car mes bagages sont moins lourds. Mais à part ça, rien ne change, j’ai toujours les mêmes centres d’intérêt.
En référence à la brutalité de ta jeunesse, tu évoquais auparavant le soleil avec effroi. Curieusement, Corps et armes est un disque ensoleillé.
Corps et armes, c’est la réconciliation avec le soleil. Et on dit que le père, c’est le soleil. Alors c’est peut-être ça, la vraie réconciliation, avec ce père qui a été inexistant et salaud. Pour la première fois de ma vie, le soleil n’est plus synonyme d’angoisse. Alors que toutes ces années au soleil était marquées par le drame. Le plus absurde, c’est que je ne pouvais pas quitter le territoire sans l’autorisation paternelle. On ne pouvait pas rester, mais on ne pouvait pas partir : le soleil, c’était la mort et l’incertitude. Il fallait exorciser cet arrachement, ces souffrances que j’ai été trop longtemps obligé de taire.
As-tu parfois envisagé, adolescent, combattre ta différence, rentrer dans le rang ?
C’est cuit maintenant, mais j’ai des fantasmes de normalité. A mes tout débuts, je disais « ça sera la gloire ou le caniveau ». S’il n’y avait pas eu la musique, je n’aurais été bon à rien. Et pourtant, je n’ai pas l’impression d’avoir fait beaucoup d’efforts. Pourtant, même si j’ai toujours été déterminé, c’était avec une conscience très forte de mes propres limites, ce qui m’a parfois empêché d’aller en avant. Il y a toujours eu conflit entre mon côté fonceur et mes freins, mes complexes’ « La pire punition, ce serait d’être numéro un », c’est le genre de choses que je me dis. Ce n’est pas naturel de s’interdire spontanément l’accès des choses, ça vient certainement de choses qui, très jeune, ne m’ont pas été autorisées. Heureusement, il y a toujours eu des gens pour m’encourager, toute ma vie a été une succession d’hasards heureux. Comme ma rencontre avec William Orbit à l’époque de Pop Satori, bien avant qu’il soit un producteur connu. C’est peut-être une de mes chances : savoir reconnaître les gens, les apercevoir. Mon gouvernail intérieur m’a souvent fait ouvrir les bonnes portes quand il y avait plusieurs directions au choix. L’instinct est ma seule forme d’intelligence.
Le Grand amour impossible est encore une fois un thème omniprésent. Pourrais-tu écrire épanoui ?
Je ne tombe pas facilement amoureux, je suis très long à m’attacher et très long à me détacher. Je ne suis pas un aventurier, ça m’arrive uniquement par dérapage mais ce n’est pas moi. L’amour, ça appuie sur tout ce qui est fragile, tout ce qui n’est pas bien chez moi, c’est un révélateur qui fait ressortir beaucoup de choses. Chaque histoire rappuie sur les précédentes. Grâce à ce que j’ai écrit pour les textes de cet album, je suis enfin différent : Ouverture, c’est la rencontre et à la fin, San Antonio de la Luna, c’est le constat de ce qui a changé grâce à cette rencontre. Je peux enfin me regarder en face, vivre l’été sans fin.
Cherches-tu le chaos autour de toi ou veux-tu désormais, comme tu le chantes, « apprendre à ne plus vivre seul » ?
Je me demande dans quelle mesure l’inconscient ne cherche pas ce type de muse Ce serait horrible d’admettre ça, car ça signifierait que l’amour n’est vivable que dans la mesure où je pourrais faire un album. Je préfère voir les choses à l’envers, croire que ce sont les rencontres qui m’ont poussé à écrire certaines chansons et non l’inverse. Mais c’est vrai que ma vie oblige à me mettre en danger, à racler mon intérieur jusqu’au fond de mes orteils. C’est vraiment la nudité frontale. Des fois, ça me fout la trouille. Mais ma destinée c’est peut-être ça : être au service de mes chansons, transmettre quelque chose grâce à elles. Ma vie entière leur sera peut-être réservée, ce qui veut dire mettre une croix sur un certain type de relations paisibles et sécurisantes. Ce que j’ai d’ailleurs failli vivre et que j’ai fui en courant – je suis passé deux fois près du mariage. Mais c’est mon besoin d’intensité, de passion qui veut ça. Je ne pourrais pas me satisfaire de sentiments tièdes. Pourtant, quand je vois des petits vieux qui se tiennent par la main, je suis bouleversé, ça fait fantasmer sur l’amour paisible. Ceci dit, ils se sont peut-être rencontrés quelques années auparavant (rires)? Pour me rassurer, je me dis que si je n’ai pas d’enfants, j’ai au moins fait des albums, c’est un substitut.
L’âge est-il un tourment ?
J’ai été obligé d’être mûr assez vite, j’ai été un petit garçon et un jeune homme très mûrs. Après, j’ai failli être un vieil adolescent. Aujourd’hui, je suis un homme jeune. J’ai l’impression que tout ne fait que commencer, que tout, jusqu’à présent, n’a été que répétitions. Pour l’âge, j’ai tout de suite choisi des modèles qui font que je n’ai pas peur, comme Dutronc, Gainsbourg, Lou Reed, Leonard Cohen ou Françoise Hardy. Ils prouvent que l’on peut rester créatif, c’est encourageant. Je les ai aimés très jeunes, si bien que je n’ai aucune angoisse de vieillir. Ma peur, ce serait de ne plus avoir d’appétit pour les choses, plus d’élan, de ne plus aimer comme j’aime en ce moment. A 80 ans, je serai encore en train de chercher le maxi contenant des remixes inédits de je ne sais qui.
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