Lorsqu’il sort sa première vidéo, le clip n’en est qu’à ses débuts. Précurseur, défricheur, Daho a toujours fait confiance à de jeunes artistes pour mettre en scène ses obsessions et ses inspirations.
Le Grand Sommeil (1983) par Michel Perin
Le clip français n’en est alors qu’à sa préhistoire et la télé française est une piètre terre d’accueil pour ces petits films. M6 n’existe pas, MTV n’a pas encore traversé l’Atlantique, et Platine 45 est la seule fenêtre pour entrevoir le clip du premier tube du jeune Daho. Le Grand Sommeil mêle deux imaginaires rétro en plein retour de hype eighties : d’une part, celui du film noir (femme fatale en imper, visages découpés par des stores, pavés humides luisant dans la nuit…) ; de l’autre, le souvenir de Cocteau, l’éphèbe Etienne posant délicatement une joue sur un miroir au sol façon Orphée. Tout ça peine un peu à trouver sa forme, mais la marinière de La Notte, la notte (à sortir un an après) est déjà là.
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Week-End à Rome (1984) par Thierry Monnet
Second tube, autre clip. Une station du métro parisien, une terrasse de café, une balade en scooter, stylisées en aplats colorés comme une peinture à l’aérographe. Dans ces bulles pastel, Lio susurre en italien en jouant la serveuse sexy. La production est encore un peu à la peine, mais quelque chose du graphisme de l’époque est capté avec charme.
Tombé pour la France (1985) par Jean-Pierre Jeunet
Devant un Paris cubiste en toile peinte, un petit peuple pittoresque (une danseuse métisse, des officiers de marine aux visages de cire…) s’agite en saccades accélérées. Parmi eux, Etienne, la houppe ébouriffée, fredonne son tube en claquant des doigts, arbore fièrement une veste trop grande et une cravate-lacet à la Buffalo Bill. Aux manettes, un court-métragiste à succès : Jean-Pierre Jeunet. “J’ai gardé cette photo sur moi, ce Photomaton que t’aimais pas” chante Etienne, tandis qu’une jeune fille s’anime dans son Photomaton. Jeunet aussi gardera l’image sur lui, et la glissera à peine retouchée dans son Fabuleux Destin d’Amélie Poulain.
Epaule tattoo (1986) par Philippe Gautier
Sur fond de ciel bleu étoilé à la Pierre et Gilles, Etienne fait son 007 entouré de James Bond girls peinturlurées en tenues sixties Paco Rabanne. Le clip, drôle et stylé, marque la première collaboration de Daho avec Philippe Gautier. Trois autres suivront.
Des heures hindoues (1988) par Sébastien Chantrel
Vingt-cinq ans avant l’album Les Chansons de l’innocence retrouvée et ses références multiples à la passion houleuse qui unit Francis Bacon et son amant George Dyer, ED rendait déjà hommage au peintre britannique avec le clip Des heures hindoues. Tel un pape vociférant dans un assemblage cubique de portants, le visage qui coule pour dire “même si je ne suis rien, si je suis personne, personne”, Etienne vagabonde en territoire baconien. Sur le chemin, le temps de furtifs inserts, quelques gros plans de fleurs en close-up, humidifiées par une rosée à forte connotation sexuelle, font basculer de Bacon à Mapplethorpe.
Saudade (1991) par Philippe Gautier
Les fleurs érogènes de Mapplethorpe entrevues dans le clip précédent reviennent ici, pétales caressés voluptueusement de très très près par une caméra digne de Microcosmos. Le cheveu désormais plus ras (finie, la houppette eighties, on change de look comme on change de décennie), Daho se vautre, languide, dans le grand bourgeonnement du monde : un épi de blé est comme un sexe qu’on branle, un lézard fait des trucs obscènes avec sa langue. Défait de ses oripeaux électroniques eighties, acoustique, tout en guitare, le son Daho se fait plus chaud. Et ses images, plus hot.
Les Voyages immobiles (1992) par Michel Gondry
Troisième single de Paris ailleurs et unique collaboration avec un jeune clippeur débutant, frais émoulu du groupe Oui Oui (qui assure la première partie du Zénith de Daho). Gondry n’a pas encore pris son envol international (Björk, Massive Attack, les Stones vont se succéder durant les deux années suivantes), mais il creuse déjà certaines obsessions, comme l’emboîtement de cadres – qu’il travaille de façon comparable à la même période dans Hou ! Mamma mia pour Les Négresses Vertes. Le cadre, ici, c’est un miroir, seule issue d’une chambre-bocal, où le niveau de l’eau ne cesse de monter, où le sol devient flaque, et où les corps en chutant créent des éclaboussures. Encore une fois, Cocteau n’est pas loin. Dans ces Voyages immobiles coule Le Sang d’un poète.
Mon manège à moi (1993) par Marcus Nispel
Entre un Mariah Carey, un Janet Jackson et un Spice Girls, la star du clip mainstream Marcus Nispel signe celui, paradoxalement très épuré, de cette reprise d’Edith Piaf, promise (paradoxalement là encore) à devenir le plus gros succès single de Daho. Le concept est très simple : pour illustrer le manège amoureux, des objets parfaitement ronds (un nid, une pendule, un téton…) se succèdent sur fond blanc, tous accompagnés de leur mention dans un dictionnaire – comme dans une œuvre de Joseph Kosuth. Car si le clip eighties n’en finissait pas de recycler l’imagerie du cinéma, c’est plutôt dans le dépouillement conceptuel de l’art contemporain que le clip nineties trouve sa meilleure inspiration.
Jungle Pulse (1995) par Thomas Krygier
Pour ce titre drum & bass coréalisé avec le groupe pop anglais Saint Etienne, Daho se plonge dans l’univers nocturne et tumultueux du photographe américain Weegee, dont les fameux clichés noir et blanc documentent la night life interlope du New York des années 1940 et 1950. Sur un Meat Market reconstitué en studio, des pin-ups décavées arpentent le bitume et la foule s’affole autour de sanglantes scènes de crime.
Au commencement (1996) par Philippe Gautier
Dernière collaboration avec Philippe Gautier, après Epaule tattoo, Saudade et le délicieux Comme un igloo en 1992 (reconstitution classieuse d’émission de variété sixties). Pour le premier single d’Eden, Gautier promène Daho dans un monde muséal, où un membre de chaque espèce animale et végétale est exposé sous cloche. L’espace est étrangement désert comme dans une toile de Dalí. Un mammifère marin figé dans son aquarium évoque les animaux plongés dans le formol de Damien Hirst. L’homme et la femme, en bocal eux aussi, n’échappent pas à cet inventaire des espèces. Après les objets ronds en dictionnaire, Daho continue sa recension taxinomique des composantes du monde.
Soudain (1997) par Eric Coignoux
Dans une zone industrielle, des athlètes s’entraînent pour une possible compétition olympique. Léger ralenti idéalisant, contre-plongées emphatiques, le style est celui du réalisme soviétique (une jeune fille en fichu y manie même une faucille). Les couleurs désaturées, au bord du noir et blanc, l’héroïsation/érotisation des corps évoquent Mondino, avec qui étrangement Daho n’a jamais tourné de clip.
Retour à toi (2003) par H5
Les années 1980 furent celles des clips obsédés par l’imaginaire du cinéma ; les années 1990 par les arts plastiques ; les années 2000 sont celles des clippeurs issus du graphisme. Le collectif français H5 compte parmi les plus talentueux. Quelques années après leur chef-d’œuvre The Child pour Alex Gopher (et son Manhattan où chaque nom de chose a la forme de la chose), ils signent ce clip d’animation. Le personnage principal y traverse un jardin japonais en pleine éclosion (et la nature érectile n’est pas sans évoquer celle de Saudade).
Les Chansons de l’innocence (2013) par Jack Barraclough
Orgie de boules à facettes ! Mais au sens le plus littéral du terme : une escouade de teufers un peu freaky s’en lèche les babines. Pour cet hommage au cinéma de John Waters, Daho fait appel à Jack Barraclough, responsable des effets visuels dans les concerts d’Electrelane.
La Peau dure (2013) par Fanny Latour-Lambert
Un affrontement d’enfants qui tourne mal. Deux garçons qui se battent pour une fille. Chacun a un attribut du Daho de Week-End à Rome. Scooter pour l’un, veste en jean et bandana pour l’autre. D’ailleurs, la scène a lieu dans le passé, puisque, après l’issue tragique, on suit l’itinéraire du survivant, de la maison d’arrêt à la réconciliation avec la vie. Un clip très narratif comme Daho n’en a jamais fait. Un peu cinéma naturaliste anglais dans l’aspect visuel, il est l’œuvre d’une jeune photographe qui signe sa première réalisation.
Les Flocons de l’été par Romain Wrinkler (2017)
Sous la férule d’un jeune réalisateur qui s’est illustré avec les clips d’Odezenne (dont le beau Je veux te baiser), Etienne est figé par un grand coup de froid qui souffle et congèle une plage tropicale synthétique. Le texte des Flocons de l’été évoque un séjour à l’hôpital lors duquel le chanteur a frôlé la mort l’été 2013. Le clip, en revanche, aussi enfantin et factice que ces boules où s’agite la neige quand on les secoue, rappelle plutôt l’univers de Pierre et Gilles et ses nuits étoilées figurées par des rideaux incrustés de strass. Le début et la fin joints dans un même flash mélancolique : “La nuit pourrait durer toute l’éternité.”
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