Une écoute superficielle de Superflu est super-trompeuse : rarement anodin et souvent superbe, Et puis après on verra bien marie, loin de toute supercherie, le confort superfin des pop-songs et le grain super-8 du nouveau folk américain. Trêve de superlatifs.Superflu : “qui est en plus de ce qui est nécessaire, qui n’est pas strictement nécessaire […]
Une écoute superficielle de Superflu est super-trompeuse : rarement anodin et souvent superbe, Et puis après on verra bien marie, loin de toute supercherie, le confort superfin des pop-songs et le grain super-8 du nouveau folk américain. Trêve de superlatifs.
Superflu : « qui est en plus de ce qui est nécessaire, qui n’est pas strictement nécessaire ; qui est en trop ». Question : déjà gavés par la pléthore larmoyante de ces groupes américains dépenaillés qui finissent à la longue par encombrer les discothèques (qui, par exemple, a réellement écouté les disques de Fuck ?), avions-nous vraiment besoin de Superflu ? Avions-nous vraiment besoin d’une version française des tourments délicieux infligés par Smog, Palace ou Radar Bros, forcément décalée, édulcorée par la distance, déformée par la traduction ? Réponse : oui, mille fois oui. Parce que le spleen ne connaît pas de frontières, parce que des deux côtés de l’Atlantique on enfourche chaque jour le même Cheval de peine. Parce que, surtout, Superflu oeuvre à part, dans une veine qui, si elle doit beaucoup au néo-folk américain, hérite en droite ligne de Gamine ou de Dominique A, de cette pop spécifiquement française que le groupe n’est jamais véritablement parvenu à occulter.
« Je n’ai pas du tout l’impression de faire de la musique exotique. Quand je parle de ma chambre, je n’ai pas envie qu’on puisse imaginer qu’elle est située à Tucson, Arizona. J’habite à Paris, xième, il n’y a pas d’ambiguïté là-dessus. Je pense que le plus intime tend à l’universel, c’est en tout cas ce qui me touche le plus dans l’oeuvre des autres. Par exemple, Bill Callahan de Smog qui parle dans une chanson des sous-vêtements de sa copine, c’est d’une poésie sublime ; il évoque là une intimité qui trouve de vraies résonances dans mon propre vécu. ». Ouvert, affable et pour tout dire charmant, Nicolas Falez, auteur-compositeur, chanteur et guitariste de Superflu, n’a cependant pas grand-chose à voir avec le leader de Smog, rien à voir avec ce romantisme cultivé de l’autisme, qui est le plus souvent la marque de ces songwriters américains. Son truc à lui, c’est la communication.
C’est d’ailleurs sur les bancs de l’école supérieure de journalisme de Lille qu’il a rencontré Sonia Bricout et Sébastien Drique, respectivement chanteuse et guitariste de Superflu. « A l’époque, des gens comme Katerine, Dominique A ou Autour De Lucie commençaient à émerger. A mon sens, ils ont ouvert des portes, décomplexé les esprits en laissant de côté les vieux schémas, la technique. Ils étaient comme un bol d’air frais. De mon côté, je commençais à décrocher de la pop anglaise, de cette brit-pop qui n’est absolument pas ma tasse de thé, et en même temps, j’ai découvert tous les groupes américains d’obédience folk, Palace, Smog, Sparklehorse ou Spain. Eux aussi ont fait bouger les choses, en enregistrant des disques dépouillés, débarrassés des standards de beau son et de dextérité technique, pour retrouver une émotion vraie, assez brutale. C’est à la conjonction de ces deux courants qu’on aime se situer. » D’abord ouvertement pop même si équipés d’instruments essentiellement acoustiques, Nicolas et ses nouveaux amis écument avec succès les bistrots de Lille et des environs, gravent même un disque vinyle pour le compte d’un petit label d’Auch, avant d’évoluer en profondeur avec l’arrivée de Gauthier Montury à la basse et de Gilles Constantini au violon.
Conscient d’atteindre le fond d’une impasse, le groupe rompt avec un patronyme un rien connoté (Les Fleurs) et se lance dans l’expérimentation, s’ouvre une autre route, encore un peu mystérieuse, plus franche et plus authentique, passant par deux ou trois accords frustes, un peu de bricolage et beaucoup de culot. « On s’est dit qu’on pouvait avancer en essayant des choses, appréhender la musique comme un puzzle, coller ensemble des éléments simples qui peuvent avoir un rendu à l’arrivée. On a digéré l’apport de la scène lo-fi. Il ne s’agit pas de faire crade pour faire crade, mais de faire avec ce qu’on a sous la main. C’est un peu l’idée du folk aussi. Ce qui me plaît dans cette musique, ce n’est pas forcément son rapport aux ancêtres, à Dylan ou à Neil Young, mais la spontanéité qu’elle induit. Lou Barlow fait partie de ces gens qui ont très bien compris ça. Quand il a besoin de dire quelque chose, il le dit coûte que coûte, que ce soit par le truchement d’un dictaphone ou d’un 24-pistes. »
Nicolas Falez est alors à la croisée des chemins, à cet âge où l’on est censé dire adieu à l’adolescence sans qu’on puisse réellement s’y résoudre, cet âge où la vie professionnelle ne tend guère que des bras hésitants, cet âge où les amours sont autant de chausse-trappes où il fait mal tomber. Du coup, l’ambiance s’en ressent. « Toutes les chansons du disque ont été écrites à une période un peu floue de ma vie. J’avais terminé mes études, je découvrais Paris, les Assedic, les petits boulots et les amours précaires quand il y a l’autre et pas l’envie ou alors l’envie et pas l’autre. C’était assez tristounet. En plus, je bossais la nuit, j’étais complètement déconnecté du monde extérieur, je n’avais guère que la musique à quoi me raccrocher. C’est à ce moment-là qu’on a rompu avec la pop formatée de nos débuts. Je ne pouvais plus chanter ces choses un peu naïves, quand bien même elles étaient finalement assez subversives. J’avais l’impression que, dans le genre, tout avait été dit. »
Il fallait bien ça, cette somme de petits riens, de tempêtes intérieures, d’aspirations et de renoncements, il fallait tout le vécu d’un groupe désormais éparpillé entre Lille, Paris et Orléans, pour assurer la gestation de ce chef-d’oeuvre miniature qu’est Et puis après on verra bien. Un disque d’une incroyable évidence, car intimement lié à l’auditeur par une absence confondante de distance, voire de pudeur, comme s’il lui chuchotait directement dans l’oreille. Affaire de son d’abord : celui concocté par Christian Quermalet (The Married Monk) ne s’embarrasse d’aucune fioriture, privilégiant la magie de l’instant plutôt que la perfection de la forme un son hyperréaliste, taillé à la machette par un producteur qui semble par ailleurs épris d’art brut.
Affaire d’instrumentation ensuite : ici, Superflu ne fait pas franchement honneur à son patronyme, égrenant chichement quelques notes de guitare, de basse et de violon entrecoupées de longs silences, distillant à contrecoeur un peu de piano, de triangle ou de mélodica, s’autorisant tout juste la présence d’une batterie brinquebalante, jouée par quelque androïde aux circuits brûlés. Même la voix de Nicolas Falez, pourtant d’une rare chaleur, trébuche souvent, mendie alors la compagnie d’un contre-chant féminin qui évoque le couple Gram Parson-Emmylou Harris, mais plongé en catatonie. « Quand des gens me disent que ma voix les touche, ça me sidère toujours un peu. J’ai mis des années à me rendre compte que j’avais besoin de calme pour la poser. »
Affaire de mots enfin : ceux de Superflu, en rupture totale avec l’image du groupe, sont lourds de sens. Lourds comme ces histoires de couples qui se déchirent, qui se cherchent sans se trouver, lourds comme ces heures interminables passées à attendre cet autre qui ne viendra plus (Dieu que cette nuit est belle), lourds comme les premiers bilans (Vingt-cinq ans). D’une simplicité biblique, l’écriture de Nicolas Falez ignore la métaphore, rend compte avec une précision naturaliste (journalistique ?) d’un quotidien dont la noirceur fait peur à entendre : on n’est pas près d’oublier cette terrible Lettre à ton nouveau fiancé qu’on a tous eu envie d’écrire un jour, ou encore Les Cartons, inventaire sordide qui s’achève dans un rictus dément. « Je pense qu’on est fatalement marqué par les disques qu’on écoute chez ses parents, quand on est enfant. Par exemple, le dernier album de Brel ou le premier de Reggiani, les chansons de Barbara. Mais personne ne pourrait plus chanter ça aujourd’hui. En fait, je suis très influencé par l’écriture visuelle de Richard Brautigan, de John Fante ou de Bukowski, cette façon d’écrire des choses imagées, de capturer des instants, comme on clouerait des papillons sur une planche. J’essaie d’écrire sur ce que je vis, ça peut être assez brutal mais ça fait un bien fou. Il y a même un jeu pervers là-dedans, la tentation d’aller voir plus loin. »
Certes, tout n’est pas parfait sur ce premier album, notamment quand le propos s’allège (Le Tournebride, Elle & lui) et que la musique rentre dans le rang d’une pop sans grand relief. Pourtant, on y revient sans cesse, comme hypnotisé par ces tempos languides, par cette noire faconde, par cette réalité sans fard, ancrée dans un présent immobilisé à jamais. « Aujourd’hui, la situation a évolué, j’ai une vie beaucoup plus stable, mais j’ai encore plein de choses à dire sur ce qu’il y a eu. Et puis on n’est à l’abri de rien. Je crois vraiment au travail et, très modestement, je sais que j’ai beaucoup de choses à améliorer sur le plan de l’écriture et de la musique. Quoi qu’il en soit, les nouvelles chansons tourneront autour des mêmes manques, car je me vois mal écrire sur le bonheur. C’est peut-être possible de le faire sans que ça soit lénifiant ou sautillant, mais ce doit être beaucoup plus difficile que d’écrire sur la solitude ou sur l’absence. »
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