Pour les 40 ans du CD, ou Compact Disc, notre journaliste François Moreau revient, quelque peu nostalgique, sur ses premiers souvenirs de jeunesse, mais aussi sur le développement de ce support qui semble ne pas avoir dit son dernier mot. Un édito paru dans notre dernière newsletter best-of de l’été, distribuée ce samedi 20 août.
“Et toi, c’est quoi le premier disque que tu as acheté avec ton propre argent de poche ?”. N’y allons pas par quatre chemins : il s’agissait probablement d’une compile de dream music à cinq balles, le genre inspiré du générique de la série X-Files, trouvée dans un bac de la Foir’Fouille. En vrac, et d’après mes souvenirs très sélectifs, il y aura ensuite Nevermind (Nirvana), la B.O. au format deux titres de ce navet de Batman & Robin par les Smashing Pumpkins, le Be Here Now d’Oasis puis, après la découverte d’une cassette vidéo offerte avec le magazine Surf Session compilant les meilleurs moments du Tahiti Pro 98 et la sortie un an plus tard du jeu vidéo Tony Hawk’s Skateboarding sur Playstation, quelques références punk californiennes, dont Bad Religion, Pennywise et The Offspring (tous ces albums étaient disponibles au rayon musique de Carrefour Mérignac Soleil).
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Que vous le vouliez ou non, la question ne se posera bientôt plus en ces termes. Quand les 35 printemps des teenagers d’aujourd’hui viendront frapper à leur porte, la dimension matérielle de cette interrogation en forme de quête de marqueurs générationnels et censée traduire l’engagement d’un public envers un artiste, n’aura plus cours. “Et toi, c’est quoi le premier projet que tu as streamé ?”, sera sans doute plus à propos. Et pour cause. Le CD, ou Compact Disc, lancé sur le marché le 17 août 1982 par Sony et Philips, a eu beau fêter ses 40 ans cette semaine, il n’est plus le format de prédilection de diffusion de la musique enregistrée, supplanté depuis belle lurette par le MP3 et le peer-to-peer après 2002, puis les plateformes de streaming aujourd’hui. Et ce malgré un marché encore frétillant, qui affiche une progression de plus de 10 % de ses revenus en France en 2021, d’après les chiffres du SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique). Quant au vinyle, il demeure ce produit de luxe, inaccessible à une jeunesse bien trop occupée à boucler ses fins de mois et à lutter contre le réchauffement climatique (pardonnez-la).
Si, avec le CD, l’industrie s’en sera mis plein les poches en braquant celles des générations X et Y (on vous invite à lire l’ouvrage de référence sur le sujet, Boulevard du stream: du MP3 à Deezer, la musique libérée, du journaliste Sophian Fanen), elle aura néanmoins, pour le meilleur, inondé la planète de ces petits artefacts lasers aux reflets pétrole : c’est ainsi qu’au lycée, au début des années 2000, je dévalisais les rayons post-punk, folk, noise, et j’en passe, de la médiathèque, source inépuisable d’émerveillement et de territoires nouveaux à explorer. Une éducation musicale façonnée le cul entre deux chaises : le sac à dos plein à craquer de Compact Discs voués à être piratés d’un côté ; les yeux écarquillés à la lueur d’un écran bleuté la nuit à contempler la barre de téléchargement se remplir, qui me rapprochait chaque heure un peu plus de la discographie intégrale du Velvet Underground, de l’autre.
Dans un papier du Guardian publié cette semaine, le journaliste Daniel Dylan Wray convoque une étude publiée au mitan des années 2010 par Deezer et Spotify, affirmant que les gens arrêtent d’écouter des musiques nouvelles à partir de l’âge de 30 ans, et pose cette question : comment en sommes-nous arrivé·es là ? Le bouleversement des usages, le renversement des hiérarchies des supports d’écoute, l’évolution des normes de distribution de la musique, l’éclatement du format album après son apogée atteints avec le CD auront-ils un effet sur le recul de cette limite d’âge fatidique ? C’est la question subsidiaire de cet édito.
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