A 29 ans, la chanteuse explore son identité musicale dans un premier album brassant soul, éthio-jazz, reggae, pop et afrobeat. Elle sera en concert ce week end au festival Banlieues Bleues.
Le premier contact se fait en fanfare : on découvre Ester Rada en pleine répétition, s’essayant à un trombone dont elle tire d’impressionnants barrissements. Peu soucieuse de jouer les coquettes auprès des journalistes étrangers, l’étoile montante de la scène israélienne prend le temps de s’amuser un peu avant de répondre à nos questions. Mais au lieu de la distance attendue, à cause du glamour afro qu’elle cultive dans ses photos et ses clips, la jeune femme apparaît naturelle, souriante, le regard seulement un peu troublé par cette lassitude des musiciens qui jouent jour et nuit et enchaînent sans cesse les déplacements.
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La veille, Ester a donné son premier concert en France, au Comedy Club. Elle semble encore sous le charme d’un public que, de son côté, elle n’a eu aucun mal à séduire : « C’était incroyable, j’ai adoré la vibration. Dès la première minute, j’ai senti que les gens étaient vraiment là pour écouter la musique. C’est beau à voir.« Et de s’abandonner à son enthousiasme, elle pour qui la musique est d’abord un moyen de découvrir d’autres peuples et d’autres cultures. A 29 ans, la chanteuse possède pourtant une identité musicale et personnelle d’une richesse déjà peu commune.
« Je viens d’une famille très religieuse. Mes parents ont quitté l’Ethiopie pour Israël un an avant ma naissance. Nous sommes Beta Israel, les seuls Noirs africains à vivre dans ce pays. Toute jeune, je n’ai entendu que de la musique religieuse et éthiopienne. Et puis, à l’âge de douze ans, je suis subitement devenue laïque. J’ai découvert MTV, les Fugees, Erykah Badu et 2Pac, la soul, le r’n’b… Cette musique m’a accompagnée pendant que je grandissais. »
Sachant que nul ne rompt avec la religion en un clin d’œil, surtout au sein d’un foyer très pratiquant, cette rupture a dû engendrer un certain nombre de tourments. Mais aujourd’hui, Ester ne souhaite plus questionner sa propre identité, préférant se nourrir de toutes les expériences qui s’offrent à elle.
Un premier album irrésistible
En témoigne Ester Rada, étonnant brassage de soul, éthio-jazz, reggae, pop et afrobeat. Un premier album qui évite la composition en mosaïque et trouve son unité dans un son puissant et une belle voix prête à prendre des risques, soutenue par un irrésistible groove éthiopien. « Durant ma jeunesse, j’étais plutôt paumée. Je n’écoutais plus de musique éthiopienne, je voulais simplement être semblable aux autres Israéliens. Ce n’est qu’à 23 ans que j’ai recommencé à en écouter et pu m’en faire une idée neuve. Mais il me reste encore beaucoup à découvrir sur cette musique, celle du passé comme celle d’aujourd’hui. C’est comme un voyage à accomplir. » Un voyage qui tiendrait sûrement du pèlerinage.
Car, comme ces grandes voix afro-américaines qui chantèrent le gospel avant de livrer leur âme au répertoire profane, quitte à faire des allers-retours de l’un à l’autre comme Al Green, ou à nourrir une culpabilité autodestructrice comme O.V Wright, Ester Rada n’en a pas fini avec le symbolisme mystique. Ses propos en sont encore imprégnés, sa vision du monde aussi. La pochette de l’album, dont le graphisme psychédélique rappelle celles réalisées par Mati Klarwein pour Miles Davis, a ainsi un aspect iconique : le buste de la chanteuse y émerge d’une Jérusalem en or illuminée par le soleil levant.
« J’ai confié ma musique à Emek, un artiste dont j’apprécie le travail. Je l’ai laissé libre de faire ce qu’il voulait et le résultat m’a enchantée. En contemplant cette image, j’y vois la Sion pavée d’or, lieu de paix où tout le monde souhaite se rendre. » Ce besoin de sérénité, la chanteuse y reviendra lorsqu’on évoquera l’étrange Monsters, dans lequel elle se dit retenue en captivité par « ceux qui savent ». « C’est assez personnel, mais on peut aussi le prendre d’un point de vue politique. Ce texte reflète l’idée d’être prisonnier de soi-même. Les monstres y sont mes propres pensées, celles qu’on m’a enseignées, et dont j’ai envie de me libérer. »
La nécessité de son art, il semble bien qu’Ester Rada la trouve dans cet impérieux désir d’émancipation. Elle n’a guère de temps à perdre. Son premier album à peine sorti en Israël (et disponible sur Internet), elle nous déclare en avoir déjà terminé un autre. Après avoir joué dans trois films pour la télévision israélienne, elle s’apprête également à rejoindre le tournage de son premier long métrage. Il faudra donc ne pas la manquer samedi, en première partie de Seun Kuti, à l’Embarcadère d’Aubervilliers, dans le cadre du Festival Banlieues Bleues. Car, à l’évidence, elle va bientôt s’envoler vers de plus vastes horizons.
Concert le 15 mars à Aubervilliers (Festival Banlieues Bleues)
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