Entre Beck et Lily Allen, Blur et The Streets, Esser est l’un des plus passionnants phénomènes pop britanniques de l’année. Il s’explique en interview, et les tubes de son épatant premier album Braveface sont à découvrir en vidéos.
Que peux-tu me dire de ton enfance, de ta famille, de ton accès à la musique ?
Mon père était musicien de jazz, il en jouait en permanence à la maison. On a toujours beaucoup écouté de musique basée sur le rythme, des choses groove. J’ai commencé à jouer de la batterie, pas tout à fait du jazz, mais quelque chose se rapprochant du bebop. J’ai toujours été intéressé par ça, mais en même temps, mon père et mon oncle écoutaient aussi les Shadows, les Tornados, Buddy Hollie… Beaucoup de choses assez différentes. Puis quand je suis devenu adolescent, j’ai commencé à m’intéresser au hip hop, et j’ai compris que je pouvais sampler tous ces disques que j’écoutais depuis que j’étais gamin. C’était une approche très directe du fait musical : je pouvais tout simplement aller piocher ce que je voulais dans la collection de mon père, ou aller à une vente de charité et m’acheter une tonne de disques pour une misère, et sampler tout ça. Je suis très vite devenu assez boulimique, je voulais entendre le plus de sons possible ; j’allais dans les bibliothèques, j’empruntais énormément de disques, dans tous les genres, de toutes les périodes. J’y allais, je choisissais souvent des disques un peu au hasard, en regardant les pochettes, ou en lisant ce qui y était écrit. J’ai vraiment passé énormément de temps à écouter de la musique, tous azimuts, sans vraiment me poser la question des genres, des styles, sans m’enfermer. Et l’avantage du hip hop ou de la musique basée sur des samples, c’est que tu peux, ou dois, physiquement aller à la source.
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[attachment id=298]C’est toujours le cas aujourd’hui ? Tu télécharges beaucoup de choses, notamment ?
J’achète toujours beaucoup de disques, mais c’est vrai que je découvre aussi beaucoup de choses via internet. C’est un processus assez similaire –mais je trouve que ce qu’on trouve n’a étrangement pas la même valeur que quand on fouille chez un disquaire ou dans une bibliothèque. Mais je continue à vouloir absorber tout ce que je peux absorber. Et à force de boire tout ça, je me suis rendu compte que j’étais souvent attiré par une sorte de juste milieu : j’aime les choses assez complexes et très directes à la fois, les gens qui osent traiter les sonorités d’une manière un peu différente mais qui arrivent à coller beaucoup de choses dans une chanson de 3 minutes faite pour la radio. C’est ce que je veux faire.
Considères-tu expérimenter avec la pop music ?
J’imagine, d’une certaine manière. Mais l’expérimentation signifie qu’il n’existe plus de barrière. Et j’aime aussi les barrières qu’impose la pop. C’est ce qui la rend intéressante : une chanson pop n’existe que par certaines règles qui font ce qu’elle est. Ces règles sont la simplicité, les gens doivent pouvoir la comprendre, elle doit avoir une histoire, un message. Mais une telle chanson peut avoir de nombreux niveaux de lecture, derrière la simplicité, on peut mettre beaucoup d’autres choses ; c’est ce qui rend tout ça passionnant à mes yeux.
Qui seraient, selon toi, les artistes capables d’atteindre ce niveau entre pop music pure et expérimentation ?
Je pense que Blur l’a parfaitement réussi, à une époque. Il y avait un côté absolument immédiat, mais on trouvait aussi derrière un humour très tongue-in-cheek, une petite ironie qui rendait leurs chansons passionnantes. Quelqu’un comme Joe Meek a aussi été, pour moi, quelqu’un de très important. Son approche de la musique était étrange, c’était lui-même quelqu’un de très particulier. Mais il avait un art parfait de la concision pop, il pouvait produire des morceaux auxquels tout le monde pouvait s’accrocher. Certaines de ses chansons faisaient une minute et demi… Mais il y avait des sons que personne n’avait jamais entendus avant, des choses vraiment étranges, bizarres. Ce qui n’en faisait pas un obsédé de l’expérimentation : il cherchait surtout à faire de bonnes chansons. Il enregistrait beaucoup de choses chez lui, dans son appartement ; et en termes d’enregistrement, c’était quelque chose de très nouveau. C’était révolutionnaire. Et il a pourtant eu des succès énormes, des grands tubes aux Etats-Unis. Tout le monde connaît par exemple une chanson comme Telstar, des Tornados : une chanson immédiatement reconnaissable, mais très étrange dans le même temps.
Quand tu as décidé d’enregistrer tes propres chansons, qu’avais-tu en tête ? Quelque chose de précis ?
C’était en même temps relativement clair, et assez flou : je savais que je voulais écrire des chansons pop, mais je ne savais pas sur quoi ça allait déboucher. Je me laissais aller, je laissais les choses couler, mais j’essayais dans le même temps de m’imposer des limites ; les règles d’une chanson pop, comme nous en parlions tout à l’heure. Mais le processus a été particulier : je suis entré en studio, puis j’ai pris une pause et mon temps pour tout réécouter, puis je suis retourné en studio pour enregistrer à nouveau, puis j’ai pris une pause, puis il y a eu le mix…
Es-tu un control freak ? Ca a été difficile de boucler tes chansons ?
Pas vraiment, non, ou pas tout à fait. Pas sur cet album du moins. J’avais une idée assez claire et précise de la manière dont je voulais que mes chansons sonnent. Mais dans le même temps, faire un album est étrange, parce qu’on sait qu’on ne peut pas faire un album parfait. Si tu essaies, tu finis par y laisser ta peau… Il faut trouver un équilibre : essayer d’atteindre la perfection, mais comprendre que les défauts, les erreurs font aussi ce qui font la saveur d’une chose, sont même parfois ses parties les plus passionnantes.
Tu as fini par t’entourer d’un groupe. Etait-ce difficile ?
C’est important, pour moi, désormais. Je suis clairement à un point où je veux laisser les gens qui m’entourent s’impliquer plus. J’ai besoin de leur avis, besoin de leurs idées. Et j’adore enregistrer avec un groupe : l’interaction avec les autres est important dans un disque, sinon les choses ne semblent pas tout à fait humaines.
C’était déjà le cas, sur Braveface ?
Un peu, mais pas intégralement. Le groupe s’est développé, on a beaucoup tourné ; quand on joue sur scène, j’ai l’impression que les morceaux sont désormais bien meilleurs que sur l’album. Si je devais à nouveau entrer en studio avec le groupe pour enregistrer Braveface, ce serait sans doute un disque très différent… Et c’est quelque chose qui va beaucoup jouer pour le prochain album : je veux clairement utiliser cette expérience collective, les relations qu’on a nourries, pour faire quelque chose d’encore plus excitant.
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