Hâtivement étiqueté DJ des musiques nouvelles, le platiniste Erik M. est bien plus qu’un pousseur de vinyles. Maniant sampler et ustensiles divers, il s’inscrit dans un rapport plastique et singulier au son. Entre musique improvisée et électroacoustique.
Plus connu sous le nom d’Erik M., Eric Mathon a de quoi être satisfait : les sorties discographiques et les concerts s’enchaînent à une cadence infernale qui ne lui laisse que peu de répit. Pour preuve, il aura sillonné la planète de long en large au cours de l’année écoulée, du festival Taktlos en Suisse à Chicago, et de Beaubourg à New York où, une semaine durant, à l’invitation de John Zorn, il a joué au Tonic, club minuscule en passe de devenir mythique. « J’y ai été programmé une fois avec Bonnie « Prince » Billy de Palace, le guitariste Alan Licht et la chanteuse Catherine Jauniaux, une autre fois avec Christian Marclay ! Avec son ballet de rock-stars, le mythe de New York continue à fonctionner à plein régime. On y est toujours aussi mal payé, mais en ce qui concerne les rencontres, le jeu en vaut la chandelle », constate-t-il avant de s’avouer satisfait d’avoir noué sur place des contacts qu’il espère fructueux avec Craig Willingham de I Sound et le DJ de To Rococo Rot.
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Pour Erik M., tout commença dans une auberge de jeunesse où il passa les dix premières années de sa vie, baignant dans la musique pop et le folk de l’époque. « Parmi les disques que j’écoutais alors, les seuls dont je me souvienne vraiment sont ceux de Pink Floyd et Ennio Morricone. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai découvert PIL et Wire avant de passer rapidement à la scène industrielle. » Conjuguées, toutes ces influences qui, à tort, pourraient sembler antinomiques, l’amènent adolescent à jouer de la basse avant qu’il ne préfère, après la découverte de Sister de Sonic Youth, consacrer son énergie à la torture au tournevis d’une pauvre guitare qui n’avait rien demandé. C’est à ce moment-là qu’il rencontre le combo versé dans le rock noisy Kill The Thrill : c’était en Suisse en 1992 et il s’en souvient encore en des termes magiques. Comme eux, Erik M. ne songe alors qu’à faire beaucoup de bruit et l’intensité émotionnelle particulière qui se dégage du groupe sur scène l’invite à les rejoindre pour six mois en 1995. « Kill The Thrill fut le fantasme abouti du groupe de rock que j’aurais aimé faire auparavant mais, déjà accro à Negativland, Crackhouse et aux Residents, j’avais décidé de barrer ailleurs en passant de la guitare aux platines et à l’improvisation pure et dure. Lorsque j’ai commencé à expérimenter sur les platines, je n’avais pas vraiment d’idée précise en tête, sinon travailler en réaction contre tout ce que j’entendais alors. Je voulais surtout développer mon propre instrument, ma musique, quelque chose qui m’appartienne en propre. Dans le rock, je retombais sans arrêt sur les clichés de la post-no-wave alors à la mode et l’utilisation de platines me semblait être une judicieuse alternative. »
A partir de cet instant, les rencontres n’auront de cesse de se multiplier, avec des musiciens qui le font avancer par leur humanité et la réflexion que lui suggère le rapport qu’ils entretiennent avec leur instrument. C’est ainsi qu’avoir croisé la route du saxophoniste Michel Doneda fut décisif : « J’ai beaucoup appris de lui, de son expérience, de son rapport intime à la musique notamment. Depuis plus de quinze ans, il travaille essentiellement le soprano, inlassablement. Avant de le rencontrer, je bidouillais principalement dans le domaine du collage et de la citation, un peu à la façon de Stock, Hausen & Walkman. Aujourd’hui, grâce à lui et à tous ceux que j’ai pu croiser dans le milieu des musiques improvisées, j’ai intégré plus de choses, notamment en ce qui concerne les recherches sur la texture sonore » et que l’on pourrait appeler le soundwriting. Le violoncelliste Tom Cora fut aussi de ces musiciens dont la présence, à elle seule, a suffi à remplacer les leçons que prodiguent les écoles, comme Norbert Moslang du groupe suisse bruitiste extrême Voice Crack et quelques confrères platinistes également autodidactes. « J’ai des affinités particulières avec eux car on utilise tous des techniques similaires : détournement de l’objet, des pointes de lecture et de la platine elle-même. Ainsi, j’apprécie Otomo Yoshihide pour sa force de proposition constante quels que soient les projets, Christian Marclay dont il est indéniable qu’il fut un précurseur important, Martin Tétreault pour son côté low-tech et DJ Olive qui, dans son genre, propose autre chose que la soupe traditionnelle de certains DJ peu créatifs. »
Interrogé sur les nouvelles technologies, Erik M. déclare paradoxalement qu’il pense rarement en termes de recyclage. « Certes, rien ne se crée et tout se transforme, mais au fond ce sont des histoires d’hommes où seuls changent les supports et les techniques. Il y a indubitablement un fond culturel commun dont la forme et l’expression varient en fonction de ces supports et de ces techniques. » Aussitôt, il s’empresse d’ajouter : « Tout le monde travaille aujourd’hui avec les mêmes effets et les mêmes logiciels. La question est de savoir si nous ne sommes pas finalement formatés dans un système de pensée préétabli par les fabricants qui conditionnent inexorablement les goûts des artistes et des auditeurs. » Quant au rapport que sa musique entretient avec l’époque, il le situe sur le terrain de « l’accélération et des segmentations séquentielles. J’ai vraiment l’impression que l’espace disponible pour l’expression de la liberté s’amenuise chaque jour davantage, précise-t-il. Concrètement, le fait de passer de l’Europe aux Etats-Unis en sept heures est absolument terrifiant. Nous évoluons dans un milieu où l’uniformisation des lieux, des gens et des esprits se ressent de plus en plus. Je travaille sur le décalage, l’erreur de fabrication, le mimétisme séquentiel du quotidien compressé, mixé et accessible sous forme d’ondulation sonore. »
Tantôt bruitistes, tantôt impressionnistes, les nombreux albums qu’Erik M. a dernièrement signés composent, à l’instar du remarquable Zygosis réalisé en 1999, avec nos souvenirs musicaux et leurs projections. Il peut s’agir de réminiscences furtives de Paul Anka ou Serge Reggiani, Sun Ra ou Derek Bailey, Lionel Marchetti ou Ralph Wehowsky, peu importe : c’est pour lui-même que le résultat de l’exploration des méandres du corps sonore par Erik M. s’avère envoûtant et non en fonction de ces références, d’autant plus qu’elles ont pu parfois être imposées par des commandes, comme ce fut le cas avec les accumulations-déconstructions sollicitées par les labels Rectangle et Cinéma pour l’Oreille. Esprit vagabond et musicalité abstraite épuisent toujours ici les ressources des techniques de mixage utilisées et délivrent des images fortes dont l’originalité des effets de matière le dispute à celle du trio que forment, dans un registre voisin, l’échantillonneuse Diane Labrosse, Martin Tétreault et la percussionniste électronique Ikue Mori. A l’ uvre, on retrouve le sens du collage et de la surimpression de certains confrères DJ, ce qu’Otomo Yoshihide appelle le « virus sampling ».
Aujourd’hui, Erik M. est sollicité de toutes parts. Pour des remixes de Dragibus et Ulan Bator, des travaux basés sur le principe du collage, ou par poire_z, collectif dans lequel il associe sa voix à celles du percussionniste Günter Müller et Voice Crack. Par ailleurs, Erik M. fait surtout partie d’un décapant trio (avec le saxophoniste Michel Doneda et le guitariste Jean-Marc Montera) qui fit la première partie de Sonic Youth lors de leur passage à l’Olympia parisien pour la tournée qui suivit la sortie de Thousand leaves. Parmi ses projets, Erik M., qui n’oublie pas d’écouter ses amis « surtout Steve Roden, KG, Rien et Alike Joseph de Noël Akchoté , annonce une collaboration avec les Chicagoans TV Pow et Kevin Drumm et des concerts avec Tone Rec. « Je suis en pleine période de remise en question et les concerts me permettent de voir comment les choses évoluent. » Autant dire que la suite s’annonce d’ores et déjà chargée et riche d’aventures.
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Erik M., Frame (Cinéma pour l’Oreille/Metamkine) ; Erik M./Günter Müller/Voice Crack, poire_z (For 4 Ears/Metamkine) ; Michel Doneda/Erik M./ Jean-Marc Montera, Not (Victo/Orkhêstra) ; Erik M., Re/cycling rectangle (Rectangle/Metamkine) ; Erik M./Scanner/Carl Stone (DSA/DSA) ; Dragibus, Remix (Uplink X Records/Bimbo Tower) ; V/A, Une autre vision des choses ((RE)Aktion/Improjazz).
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