Daho sera cet automne sur le devant de la scène avec un album ample et groovy suivi d’une série de concerts en février. Dans un entretien intime et chaleureux, il évoque sa carrière et une oeuvre dont l’influence ne cesse d’irriguer les jeunes générations.
Dans les années 2010 est née une génération néo-pop, d’Aline à La Femme, de Lescop à Granville. Et tu es devenu une figure très influente. Ça te réjouit ou ça te pèse ?
Ah mais non, bien au contraire ! Encore ! Ça s’est intensifié et officialisé à mon insu ces dernières années. J’ai rencontré beaucoup de ces musiciens qui m’ont avoué s’être nourris de mon travail, de mon style, bien connaître mes albums… C’est le rêve ultime de chaque artiste d’arriver à réaliser qu’il a contribué à faire bouger les lignes. C’est-à-dire amener quelque chose dont les gens vont s’inspirer et qu’ils vont transformer à leur tour. Je me suis moi-même beaucoup nourri de mes aînés, et qu’on se nourrisse de ma musique maintenant me comble. C’est une chaîne de transmission.
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Quand tu entends La Forêt de Lescop, la ressemblance avec certaines de tes chansons te trouble-t-elle un peu ?
Je sais que d’autres que toi le pensent, mais moi je n’arrive pas à l’entendre. Il m’a dit qu’il appréciait mon travail, mais il se revendique aussi beaucoup de Daniel Darc. En tout cas, son album produit par Johnny Hostile est super.
Tu vas entériner sur scène, en février prochain, ce côté godfather de la pop française… Tu as hésité ?
Pas une seconde. Quand tu fais de la musique, tu as envie de la transmettre. Lorsque j’étais ado, à l’école, on se refilait des cassettes. Maintenant, on échange des clés USB. Quand on aime la musique, on a envie de la partager. Donc quand j’ai la possibilité de partager, je le fais. Emmener tous ces jeunes gens à Pleyel, ça me réjouit. C’est de la transmission, des rencontres. Je me sens très à l’aise avec cette génération. Ils ont capté l’artiste et l’homme que je suis.
Ces deux dernières années, des figures majeures de ta génération ont disparu…
Oui, il y a eu Fred (Chichin), Daniel (Darc), Denis (Jacno). Nous avons tous poussé en même temps. Daniel et moi partagions la culture du fantasme, la même base littéraire, musicale, mais dans les extrêmes. J’étais plus Sunday Morning et lui plus Sister Ray. J’ai produit son single La Ville. Il m’a ensuite proposé de produire son album suivant, Nijinsky, mais je ne pouvais pas, car je produisais aussi l’album de Bill Pritchard. Pour me convaincre, il disait : “Sois mon Bowie, je serai ton Iggy”… C’était très tentant ! (rires) Fred, je l’ai connu à l’époque où nous avons démarré, en 1982, chez Virgin.
Ta proximité avec Fred Chichin est moins connue…
Nous étions les premières locomotives de Virgin et nous partions tous les trois, Catherine, Fred et moi, faire des promos improbables aux quatre coins de la France. C’était souvent surréaliste et pour compenser, nous avions developpé une solidarité entre nous. Puis nous avons eu nos deux grands hits en même temps. Marcia Baila et Tombé pour la France ont été les tubes de l’été 1985. Dans tous les clubs, les deux titres étaient systématiquement enchaînés. Fred m’avait aussi invité à faire des jam sessions chez lui. Nous jouions de la guitare et il enregistrait tout. Je ne sais pas ce que c’est devenu. Il n’y a pas eu de vraie proximité, probablement de mon fait, car Catherine et Fred m’impressionnaient. Nous nous sommes ensuite perdus de vue pendant très longtemps. Un jour, nous étions au Studio Plus Trente et je suis passé les embrasser. Lorsque j’ai pris congé, Fred m’a suivi jusqu’à l’entrée du studio et m’a dit tout le bien qu’il pensait de ma ligne, de ma musique, de la radicalité qu’il avait finalement perçue chez moi. Il était très avare de compliments donc ses mots avaient encore davantage de poids. Nous avons parlé de choses personnelles pendant une heure et nous nous étions promis de nous revoir. Mais le temps a fait son sale travail.
Avant l’album de Lou Doillon, tu avais un peu délaissé la production d’autres artistes, non ?
Le précédent album que j’avais produit, c’était celui d’Elli Medeiros en 2006. Parce que j’en avais juste marre qu’elle ne fasse plus de disques. J’adore réaliser des disques pour les autres. Même si ça prend beaucoup de temps, je fais toujours le choix du coeur, donc en général, des flops commerciaux.
Le triomphe commercial de l’album de Lou Doillon, tu l’avais anticipé ?
Ah non, pas du tout ! La combinaison parents célèbres et actrice qui chante peut être absolument fatale. Je savais qu’il y aurait des obstacles, mais je m’en foutais, j’aimais les chansons, la voix très terrienne, comme du bois, la femme… Nous avons travaillé en secret, sans pression ni projections. Et ce petit miracle est arrivé. Elle a retourné toutes les hostilités avec son seul talent. Je suis fier et heureux pour elle.
Pour ce numéro, tu as voulu rencontrer Alex Turner. Son groupe, les Arctic Monkeys, a pu faire une carrière internationale tout en restant sur un petit label. Tu trouves ça enviable ?
Lorsque j’ai démarré chez Virgin, c’était un peu ça, un petit label très familial et un peu bordélique où nous grandissions ensemble. Nous étions une famille. Quand Virgin a été vendu à EMI, ça a été vraiment l’horreur pour la plupart des artistes, car la créativité a été remplacée par le cynisme et l’absence de vision, de priorité artistique. Tout cela s’est soldé par l’énorme gâchis que l’on sait. Pour en revenir à ta question, je pense que la puissance des labels indépendants anglais, vu leur potentiel international, est sans commune mesure avec celle des labels indépendants français, hélas.
Au moment de signer avec Universal, tu as eu des états d’âme ? Aucun. Mon contrat avec EMI était fini, et même s’il y avait toujours des gens que j’aimais beaucoup là-bas, j’avais vraiment hâte de me barrer. J’ai fait un passage chez Naïve à l’occasion du Condamné à mort, car je souhaitais retrouver Patrick Zelnik et faire l’essai d’un label indépendant. J’ai pris le temps de faire mon choix parmi beaucoup de très bonnes propositions. J’ai aussi retrouvé Alain Artaud, avec qui j’avais démarré chez Virgin. Il connaissait bien la personne et l’artiste que je suis et son envie hyper insistante de me signer chez Polydor (label d’Universal – ndlr) a finalement balayé mes dernières hésitations.
Tu as connu trois patrons depuis ta signature chez Polydor. Comment le vis-tu ?
Sur mon précédent album, L’Invitation, j’en ai vu passer quatre. L’industrie du disque n’est plus un secteur affectivement stable. Surtout ne pas s’attacher (rires).
Comment vois-tu ta place dans le paysage musical français ?
Je suis à une place singulière depuis toujours et ça me convient. Les dernières années ont été vraiment cool, car j’ai ressenti que le public et les médias ont finalement capté l’artiste et la personne que je suis. Les malentendus se sont dissipés, on respecte mon travail et mes silences. C’est la seule chose qui compte.
Tu ne te poses jamais la question de la crédibilité ? Tu as pu par exemple aller faire de la promo à la Star Ac…
Quand j’étais enfant, lorsque dans les émissions de variété ultrapopu apparaissaient Dutronc, Birkin, Hardy ou Gainsbourg, c’était la fête. Je me disais “c’est eux que je veux être. Ils sont beaux, ils ont du talent, ils ont de l’attitude.” L’écran s’éclairait. La crédibilité ne devient un problème que si tu pervertis ta rigueur ou ton authenticité. Ce n’est pas une question de choix d’émission de télé. Je suis aussi d’accord avec John Waters, qui préfère être un “insider” pour mieux dicter ses propres règles et conserver sa liberté artistique. Si tu te sors toi-même du système, tu ne peux plus rien contrôler, tu as perdu l’affaire.
Je me souviens que dans les années 80, dans une émission de télé grand public, tu avais montré des images du Velvet.
Oui, je m’en souviens, c’était un spécial Mon Zénith à moi sur Canal en 1985. J’avais demandé des images du Velvet au Bataclan, des images des Jesus & Mary Chain, etc. Je voulais partager ça, mais aussi me faire plaisir. A l’époque, nous n’avions pas YouTube, donc c’était rare de voir certaines images, particulièrement à la télé. Passer dans des médias mainstream me permettait de montrer ce que j’étais en montrant ce que j’aimais. Des gens m’ont très souvent dit avoir découvert des livres ou des disques qui leur sont devenus essentiels grâce à mes interviews. C’est hyper satisfaisant, car c’est aussi mon rôle, non ?
album Les Chansons de l’innocence retrouvée (Polydor), sortie prévue le 18 novembre
concerts les 14, 15 et 18 février à Paris (Cité de la Musique)
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