Daho sera cet automne sur le devant de la scène avec un album ample et groovy suivi d’une série de concerts en février. Dans un entretien intime et chaleureux, il évoque sa carrière et une oeuvre dont l’influence ne cesse d’irriguer les jeunes générations.
Bacon, ça remonte à loin chez toi. Déjà en 1988, le clip de Des heures hindoues s’y référait…
C’est vrai. C’est Gainsbourg qui m’avait offert un livre de ses reproductions et j’avais été saisi par la force de son trait que j’avais déjà découvert pendant mon bref séjour en cours d’arts plastiques. Plus tard, quand je me suis retrouvé en présence de ses tableaux, je les ai ressentis physiquement. Comme une brûlure, quelque chose qui crépite. A Brighton, dans une boutique DVD d’occasion, j’ai trouvé Love Is the Devil, le film sur la relation entre Bacon et Dyer (lire p. 85). Dyer était une petite frappe de l’East End et avait pénétré chez Bacon pour le cambrioler, et finalement il est devenu son amant. La cruauté de la relation artiste et muse m’a toujours fasciné. J’ai écrit une chanson là-dessus qui s’appelle Bleu Gitanes.
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Fais-tu un lien entre Bacon, son amant cambrioleur et Genet, qui a beaucoup érotisé lui aussi la figure du voleur et dont tu as adapté Le Condamné à mort ?
Ce sont deux personnages différents, mais il y a en commun le désir inassouvi et la mort inéluctable. C’est magnifique, car très pur et radical. Le Condamné à mort a beaucoup nourri cet album. Quelque chose s’est passé avec ma voix, probablement parce que je ne chantais pas mes textes. Je me retrouvais parfois en pleine voix, ce qui ne m’arrive quasiment jamais avec mes propres chansons. Peut-être parce que je suis trop pudique avec mes propres textes. Avec Genet, c’était plus facile. J’avais l’impression de voler.
Es-tu nostalgique ?
Pas du tout. Pendant longtemps, je n’avais pas le temps de me retourner, toujours pris dans des tas de projets. Il fallait toujours courir vers l’avenir. Ça n’a pas beaucoup changé, mais je suis plus indulgent avec mon passé. Je repense maintenant avec affection à tous ces moments. Ça m’emplit d’une douceur nostalgique de repenser à Rennes, à mes envies de jeune homme qui n’avait pas d’ambition, ne voulait pas se montrer, voulait juste écrire des chansons parce qu’il en avait plein la tête et que ça débordait. Je ne tirais aucun plan sur la comète. J’évoluais dans un milieu post-punk rennais où Marquis De Sade étaient les rois, et avec raison, car c’était vraiment un grand groupe. Philippe Pascal ou Dargelos étaient les showmen très charismatiques de cette scène et je ne me projetais pas du tout dans cette lumière. Je me souviens de ma première télé, un Platine 45 sur Il ne dira pas… Je n’ai décroché qu’un furtif regard caméra en trois minutes. Une leçon de shoegazing.
Et quand tu repenses au Daho jeune trentenaire de Pop Satori à Paris ailleurs, pour qui tout semble facile, évident, qui court de succès en succès ?
C’était un tourbillon de parties et d’excès en tout genre. L’hédonisme à l’état pur dans un Paris en fête. Je faisais la musique que j’aimais, j’avais la réponse massive d’un public qui me ressemblait, me portait. Il y a des moments de grâce, comme cela… Pop Satori est vraiment un album qui marque, car au-delà du son, des chansons, il y a quelque chose de générationnel et d’irrationnel, qui fait sa force, sa place dans le temps. Je n’avais pas le temps ou le recul pour réaliser quoi que ce soit à l’époque et c’était très bien comme ça.
Et Eden, l’album de tes 40 ans, plus sombre et qui a moins bien marché, c’est un moment auquel tu repenses de façon plus douloureuse ?
J’ai dû affronter durant les années 90, dans la période qui a suivi le succès de Paris ailleurs, le sentiment accablant que le meilleur de ma vie était derrière moi, que j’avais déjà vécu ce que j’avais de mieux à vivre. J’avais aussi la sensation d’être dans un malentendu médiatique et public. On colle à ce sentiment comme un insecte a les pattes collées à une surface adhésive. Et puis un jour, on ne sait pas du tout comment, on s’en détache. J’adore Eden, et je pense qu’il fait partie de mes deux moments de créativité les plus forts. Le fait qu’il ait moins marché que les précédents était plus paniquant pour la maison de disques que pour moi-même. J’en étais tellement fier ! J’aime beaucoup cette période de ma vie, car malgré la complexité de mon état mental et des rumeurs stupides qui m’ont pourri la vie, je sentais que j’en sortirais grandi. Je vivais à Londres, je préparais la suite de mon existence en grandissant. Et puis j’ai découvert un truc essentiel : j’avais moins besoin d’être aimé que d’être compris.
Avec Eden puis l’album suivant Corps et armes, des émotions plus profondes, quelque chose de plus déchiré se fait jour dans ton travail…
Certainement… Mais j’ai une ligne. Toujours évoquer la gravité avec légèreté. C’est une règle. Ne pas chialer. J’aime aussi les doubles lectures. La Baie ou Le Grand Sommeil sont des chansons dont on peut ne pas du tout percevoir la noirceur. Et c’est bien comme ça. On peut parler du désespoir amoureux et du suicide dans une forme de bulle pop. J’espère que j’ai en moi suffisamment de légèreté car je trouve ça très séduisant chez les autres.
En tout cas, c’est semble-t-il comme ça que Dominique A te voit puisque la chanson qu’il t’a écrite sur ce nouvel album commence par “J’étais léger, si léger”…
“Je me voulais léger, léger. Le plaisir sans me retourner.” Dominique m’a proposé quatre chansons dont celle-ci qui est superbe et que j’ai gardée pour l’album. Il y a une luminosité incroyable chez cet homme. Il a projeté ce qu’il perçoit de ma personnalité en y appliquant sa propre sensibilité, qui est immense. La chanson me va bien, même si elle n’est peut-être pas complètement moi. Je l’aime beaucoup et peux l’incarner très confortablement. Nous avons aussi enregistré une version de la chanson en duo qui est vraiment bien.
Peux-tu nous parler de ta collaboration avec Jean-Louis Piérot sur la production de l’album ?
Dans le tandem Les Valentins, j’avais au départ beaucoup plus d’affinités avec Edith (Fambuena – ndlr) qu’avec Jean- Louis. Il avait bossé avec nous sur toutes les maquettes de Paris ailleurs, et pour l’enregistrement, j’ai filé seul à New York avec Edith. Pris dans la frénésie et les problèmes de ma première grande production à New York, je ne m’étais pas rendu compte à l’époque que mon attitude l’avait blessé. Mais j’ai eu l’intuition qu’il fallait qu’on se rapproche et je l’ai appelé. J’avais en tête que certaines des chansons de mon répertoire récent comme L’adorer ou Ouverture – qui étaient mes préférées – avaient été faites avec lui. Nous avons programmé des séances de travail test et nous nous sommes immédiatement trouvés sur des envies communes et la motivation de se surprendre l’un l’autre.
Comment avez-vous travaillé ?
Je voulais faire un disque de groove car depuis quelques années je me suis mis à réécouter pas mal de disco en partant de la soul. J’aime beaucoup le moment de bascule de l’un à l’autre, entre 1973 et 1975, ce moment où on entend de plus en plus de cordes. Je voulais qu’il y ait dans mon album ces cordes pré-disco. De son côté, Jean-Louis donne tout de suite beaucoup d’ampleur et d’harmonie avec les claviers. C’est aussi, et je l’ai découvert avec stupeur, un fantastique guitariste rythmique. Nous avons donc programmé de très nombreuses séances très productives pour composer les musiques et écrire les arrangements. Les premières chansons étaient L’homme qui marche et Un nouveau printemps. Puis j’ai rencontré Richard Woodcraft, qui avait mixé l’album de The Last Shadow Puppets. Il nous a amenés à Rak Studios, à Londres, nous a présenté l’orchestratrice Sally Herbert, dont le rôle est si important dans ce disque. Il a enregistré les rythmiques notamment, sur bandes analogiques, et a designé le son de façon générale. Nous avons donc décidé de l’inclure à la réalisation du disque. Il a mixé l’album d’une façon très hi-fi. Je voulais un album ample, sophistiqué et dense, tout en conservant le son roots et rugueux des maquettes.
Tu pratiques un instrument ?
I wish… (rires). Non, je joue vraiment très très mal. Je pars toujours de la voix et gratouille des accords rudimentaires. Je construis les mélodies à la voix et j’ai l’idée des arrangements et des harmonies. Le challenge est de trouver la personne qui va concrétiser ce qui dans ma tête est fini depuis bien longtemps.
Tu as perdu des mélodies qui ne sont pas sorties de ta tête ?
J’ai en permanence une musique dans la tête. Il m’est arrivé de trouver une mélodie, de la développer, de me dire “ça pourrait donner une très bonne chanson”, et puis une heure plus tard, je l’avais complètement oubliée. Vive les smartphones avec le dictaphone intégré (rires).
Penses-tu qu’une des forces de ta musique est d’être une musique de non-musicien ?
Certainement. Ça me donne probablement une liberté de ne pas avoir de cadre. Mais je crois aussi que c’est le fait d’être profondément du côté de la pop qui me donne une force et un centre. Je peux décider de faire un album de soul, ce sera de la pop. Si je fais du rock, ça restera de la pop. Quoi que je fasse, ce sera de la pop. Je suis en zone libre.
En France, selon les décennies, les termes “pop” ou “chanson française” dominent. Les années 60, avec les yé-yé, étaient pop. Les années 70 y ont opposé la nouvelle chanson française. Puis avec les années 80, la pop a de nouveau été valorisée, mais dans les années 90/2000, l’idée d’une nouvelle nouvelle chanson française s’est imposée… Au-delà des étiquettes, il y a surtout des artistes qui se sont imposés par leur grand talent. Avec dans cette fameuse vague, l’émergence de deux artistes majeurs, Benjamin Biolay et Keren Ann.
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