Le pacifique M et l’électrique Brigitte Fontaine sortent les deux albums les plus osés de la rentrée française. Depuis bientôt dix ans, ces deux-là s’amusent à conjuguer leurs pôles opposés. Dialogue convivial entre la marraine des kékés et ce filleul qu’elle a déniaisé.
[attachment id=298]Le précédent album, Libido, semblait détaché du réel, mais une grande partie de celui- ci est ancrée dans l’actualité. D’où est venu ce besoin ?
Brigitte Fontaine – Libido, c’était la visite de mon château intérieur. Sur le nouveau, je ressors dans la rue pour manifester ma colère contre cette société liberticide que l’on nous impose de plus en plus. Donc, face à ça, un seul mot d’ordre : “rébellion !” Ce sont des chansons révolutionnaires, en tout cas certaines d’entre elles. Regardez autour de vous, c’est devenu de plus en plus difficile de fumer, de boire, de parler aussi. Et j’évoque aussi le sort des sans-papiers, les conditions carcérales… Je crois que la France est l’un des pires pays pour les prisons, avec un suicide tous les trois jours. Je suis de tout coeur avec ces gens que l’on bafoue.
M – Dans une émission de radio, tu disais que tu étais contre les idées. J’aimerais bien que tu m’expliques ça…
Brigitte Fontaine – Quand je vois une idée, je change de trottoir. Je ne suis pas une intellectuelle. Je peux à la rigueur avoir des projets lorsque j’écris, mais souvent je me lance sans la moindre idée. Ensuite, je peaufine, je rabote souvent des choses le lendemain… Mais surtout je vais vite. Les concepts, tout ça, j’adore pas.
M – Pour faire des disques comme Libido ou Prohibition, il faut bien démarrer avec des idées fortes…
Brigitte Fontaine – C’est malgré moi en tout cas.
Matthieu, est-ce que tu comprends cette virulence dont fait preuve Brigitte sur son nouvel album à propos notamment de sujets de société ? Tu la partages ?
M– Nous avons des natures très différentes et nous nous exprimons par des canaux tout aussi différents. La rage que j’éprouve passe par ma façon de jouer de la guitare, qui peut être par moments très sauvage et tribale.
Brigitte Fontaine – J’ai écrit les chansons pour Matthieu avant celles de mon album. J’étais dans une autre phase, plus spirituelle, alors que pour mon propre album, j’étais très remontée contre tout.
M – A l’origine, ces textes de Brigitte, avec lesquels j’ai nourri une grande partie de mon album, n’ont pas tous été écrits pour moi. Elle m’en a envoyé une poignée et j’ai tout de suite eu envie de les mettre en musique.
Brigitte, tu as senti instinctivement que Matthieu voulait changer de registre, faire quelque chose de plus grave ?
Brigitte Fontaine – Je crois qu’il m’avait dit qu’il voulait se débarrasser de son costume…
M – Ce que j’ai trouvé formidable en lisant tes textes, au-delà de l’amusement, des émotions qu’ils procuraient, c’était cette façon de me mettre directement dans un décor. Je voyais des images d’un vieux Paris en noir et blanc, comme si en plus des mots tu avais peint mentalement une fresque autour de moi. Je n’avais plus qu’à me glisser à l’intérieur.
Brigitte Fontaine – Je crois que l’on est tous les deux attirés par la dualité, la confrontation des contraires. J’ai voulu révéler des choses différentes que je sentais en lui, mais je ne me serais pas permis de le triturer sans le faire avec une grande affection.
M – Ce n’est pas parce que je m’habillais en rose et que je me coiffais de cette façon que mon personnage ne pouvait pas exprimer des choses plus profondes. Il y a sur tous mes albums des chansons personnelles, plus mélancoliques. Mais c’est la force et la limite des images, on peut se retrouver prisonnier de sa création. J’ai l’impression d’être beaucoup plus multiple que l’image renvoyée par le personnage léger de M. Comme beaucoup d’adolescents, j’ai commencé par rêver en voyant des artistes comme Bowie se métamorphoser, et plus tard Björk. Par pudeur ou par timidité, je ne me voyais pas monter sur scène comme je suis dans la vie. J’ai donc commencé à imaginer un personnage entre Coluche, Superman, Prince et Hendrix. Le rose, c’est simplement parce que c’était lié à la naissance de ma fille. Si j’avais eu un garçon, le personnage de M aurait sans doute été bleu (rires). Ça tient à peu de choses, parfois.