A la fin des années 1970, Throbbing Gristle était au c’ur de la musique industrielle, dont les expérimentations ont fortement contribué à l’émergence de la techno. Genesis P-Orridge, leader de Throbbing Gristle, puis de Psychic TV, revient sur ces années-là, à l’occasion d’un entretien accordé aux Inrockuptibles et paru en août 99.
Avec Throbbing Gristle, t étais-tu déjà senti prisonnier d’un personnage, d’une mouvance ? la musique industrielle ?
J’avais très peur que nous finissions par devenir populaires, car nous avions seulement prévu d’être détestés (rires)? Mais là, nous finissions par jouer devant des milliers de personnes en Amérique, par devenir un simple groupe de rock, diffusé par la BBC’ Au Lyceum de Londres, en 81, le public portait un uniforme, avec les mêmes chapeaux, les mêmes bottes, la tenue officielle de la musique industrielle C’est là que j’ai quitté Throbbing Gristle, car nous étions devenus les héros d’un mouvement, d’une mode. Toute l’ironie qu’il y avait dans le fait d’appeler notre label Industrial Records et notre tube Discipline avait été négligée. Nous avons été dépossédés de notre invention, c’était effrayant. C’est devenu un truc assez facho, dont quelques groupes se faisaient l’écho. Car ils ont beau le nier aujourd’hui, moi qui connaissais très bien Joy Division et A Certain Ratio à leurs débuts, je peux dire qu’ils étaient fascinés par le fascisme, son côté décadent Même s’ils n’adhéraient pas à ces doctrines dans leur intégralité, ils étaient bouleversés par certains de leurs aspects ? comme l’érotisme de la transgression. Puis une nouvelle génération de groupes industriels est arrivée, fascinée par la politique même de ces doctrines. Et là, tout ce cirque m’est devenu intolérable.
Le côté provocateur de tes groupes a souvent occulté la musique. Aujourd’hui encore, l’influence de Psychic TV ou Throbbing Gristle est pourtant très vivace, de Marilyn Manson à Aphex Twin, de Plastikman à Alec Empire Là aussi, malgré toi, tu es une sorte de gourou.
Pendant des années, je me suis interdit de regarder en arrière. Si le journaliste Simon Ford ne s’était pas mis en tête d’écrire mon histoire, j’aurais peut-être même fini par oublier ces années-là. Mais quand je vois Marilyn Manson, Ministry ou Nine Inch Nails, c’est difficile de ne pas faire le rapprochement. Idem pour la génération Plastikman, Aphex Twin : Fred Giannelli, qui jouait dans Psychic TV, est très copain avec eux et ils se revendiquent comme héritiers de Throbbing Gristle. Ça m a énormément surpris de voir que notre musique était toujours pertinente en 1999, qu’elle avait ouvert des portes. Nous avons laissé beaucoup d’idées en friche, que d’autres ont développées pour nous. Car ce qui nous intéressait, ce n’était pas de cultiver, mais de semer, de passer sans arrêt à un autre sujet. Trouver une formule et la répéter jusqu’au succès n’a jamais été mon truc. La tranquillité, la sûreté n’ont jamais été mes motivations.
Il y a pourtant deux curieuses excroissances dans ta discographie, ces deux singles outrageusement pop de Psychic TV : Godstar et la reprise des Beach Boys, Good vibrations. Comme si soudain, tu avais cherché à prouver au monde que tu étais aussi capable de ça.
C’est presque un hasard. Godstar est né lors d’un concert atroce à la Hacienda de Manchester. On s’ennuyait sur scène, alors notre guitariste Alex Ferguson s’est mis à jouer un riff à la Keith Richards et je me suis mis à improviser ces paroles au sujet de Brian Jones, le guitariste mort des Stones. En sortant de scène, nous étions déçus par le concert, mais amusés par cette improvisation. C’est uniquement parce que sa naissance avait été conceptuellement intéressante que nous avons conservé Godstar. Ecrire une pop-song, surtout par hasard, c’était vivre une nouvelle expérience, je ne m’en serais jamais cru capable. Dans la foulée, la reprise de Good vibrations était une blague de mauvais goût. J’ai longuement réfléchi à la reprise la plus improbable pour nous, c’est comme ça que j’en suis arrivé aux Beach Boys ? car tout le monde disait que nous ne savions pas chanter, pas jouer. Et puis, ça me rappelait un bon souvenir : c’est la chanson qui passait à la radio au moment où, pour la première fois, j’ai glissé ma main dans la culotte d’une fille.
Throbbing Gristle n’a donné qu’une trentaine de concerts, mais chacun est légendaire.
Mon idée était d’abandonner toute idée de contrôle. Le seul cadre, c’était des rythmiques électroniques, mais nous passions notre temps à leur fausser compagnie, à improviser, notamment les paroles. Ça tombait bien, car je suis incapable de mémoriser un texte (rires)? Nous sommes souvent allés très loin, j’ai même failli en mourir. Un jour, je faisais des expériences sur le delirium, je voulais voir où je pouvais aller quand j’ai été littéralement emporté, possédé? Et quand je suis allé à Haïti, ils se sont foutus de ma gueule : ?Quoi ? Ça te fout la trouille ? Nous, on fait ça chaque semaine! ? Janis Joplin, Hendrix et Jim Morrison réussissaient à le faire. Mais comme ils n’avaient pas été entraînés, ça les a tués. Moi, j’ai eu la chance de rencontrer un grand prêtre cubano-africain qui m a appris à ne pas court-circuiter mon cerveau. Grâce à ses cartes’, je peux désormais souvent aller me promener dans ces territoires.
Throbbing Gristle a toujours été en périphérie du mouvement punk : trouvais-tu le punk-rock trop conventionnel ?
A l’université, j’étais copain avec John Krivine, le fondateur de la boutique punk Boy, qui était la rivale de celle tenue par Malcolm McLaren sur King s Road. Comme ce dernier avait utilisé les Sex Pistols pour le lancement de sa boutique, John nous a demandé d’inaugurer la sienne, avec un groupe punk qu’il était en train de monter, Chelsea. C’est moi qui ai fait passer les auditions de Chelsea, car John Krivine n’avait trouvé qu’un chanteur, un homo prostitué qui s’appelait Gene October. J’ai recruté un jeune mec à la guitare, qui allait devenir quelques années après Billy Idol. Il s’appelait alors Bill Broad (rires)? Quand nous avons fait notre fameux show Prostitution en 76 à l’Institute for Contemporary Art, plein de punks y sont venus. Le scandale ? en raison de la nature très sexuelle de la performance et de l’utilisation de fluides humains ? a été énorme. Quelques semaines après, les Sex Pistols démarraient. Nous vivions donc parallèlement au punk, mais j’avais un problème avec leurs concepts : ?Apprenez trois accords et formez un groupe? Moi, je pensais qu’il n’y avait pas besoin de connaître un seul accord ! Eux, ils voulaient encore et toujours jouer du rock’n’roll ? juste un peu plus vite. Nous n’étions pas là pour les filles, pour les contrats, pour les drogues.
A force d’être le leader d’un groupe de mavericks, es-tu devenu un maverick à l’intérieur même de ton groupe ?
Jouer était pour moi une mission. Les autres membres se contentaient souvent de jouer alors que moi, j’étais obsédé par la pureté des concepts, des idées. La façon dont ça sonnait était le dernier de mes soucis. Ce qui était important, ce n’était pas le résultat, mais d’observer le cheminement. Ouvrir des portes n’était
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