Le hip-hop belge connaît une hype sans précédent. Au milieu de ces vigoureux MCs et de leurs producteurs toujours plus inspirés, un artiste a retenu notre attention : Le Motel. Bidouilleur surdoué, il nous raconte ses faits d’armes musicaux.
Par les temps qui courent, vous n’avez pas pu passer à côté de la montée en puissance des artistes venant de notre voisine Belgique (Damso, Roméo Elvis, Angèle, Teme Tan…). Ce phénomène aux courants musicaux variés, amplement sorti de ses frontières, n’exclut évidemment pas le rap. Dans cette scène foisonnante, un homme (de moins en moins) de l’ombre, Fabien Leclercq aka Le Motel, contribue à donner une couleur musicale forte et identifiable aux artistes avec lesquels il bosse. Et ils sont nombreux. Aimanté par sa musique aux inspirations tant électroniques que claniques, nous avons discuté avec le producteur. D’une collaboration avec un label californien proche du Brainfeeder de Flying Lotus aux mixtapes Morale avec Roméo Elvis, Le Motel nous a raconté son CV.
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45°34°50 est le premier projet que tu as sorti via un label ?
Le Motel – Oui, c’est ça. Je suis plutôt de la génération SoundCloud, alors je sortais déjà des sons avant. Mais c’est la première fois qu’une structure m’a contacté pour faire une vraie release. Trois titres gratuits, uniquement en digital, c’est le concept de TAR, un label de Los Angeles. Ils ne sortent que des formats comme ça.
Comment les connexions se sont faites avec ce label indé de Californie?
Par Soundcloud. PDBY [le patron de la structure – ndlr] a flashé sur un de mes morceaux qui s’appelle Pygmy Juke, pour lequel j’avais samplé des voix de pygmées, que j’avais ensuite intégré à un morceau juke, à 160 BPM. Il m’a directement demandé si j’étais intéressé par l’idée de faire une sortie avec eux. Je me suis lancé et on a fait ce premier EP ensemble. À cette période [2014] je suis parti voyager pendant neuf mois, j’étais au Canada quand il m’a contacté, du coup j’ai traversé les USA pour le capter à L.A.
PDBY est signé sur Brainfeeder le label de Flying Lotus. Tu aimes leur musique, tu les écoutes ?
Ouais à fond ! Je suis très inspiré par tout ce qui se passe à L.A. Et PDBY a la particularité d’être autant dans cette scène que dans celle de Chicago qui est plus axée juke, footwork, DJ Rashad, Teklife, Traxman… Puis en vrai, sur TAR, il y a vraiment plein de choses différentes, allant du punk à la pop… Le gars est complètement ouvert !
Tu as ensuite sorti un autre disque, OKA, via une structure différente.
Oui, presque un an après 45°34°50, un petit label de Nouvelle-Zélande, Cosmic Compositions, m’a contacté. Avec eux, j’ai fait ma première sortie physique, OKA.
Ce projet OKA, est plus marqué par des sonorités africaines. C’est un style de musique avec lequel tu aimes composer ?
Tout à fait. Dans l’EP sur TAR, il y avait déjà un peu ça avec avec le son Pygmy Juke, mais c’était beaucoup moins central. Avec OKA, un disque plus long, je voulais clairement me focaliser sur ce mélange de musique “ethnique” avec l’électronique. Tout est parti d’une fascination pour le vaudou, principalement haïtien mais aussi du Bénin. Mais il n’y a pas que ça, on peut également entendre des samples des pygmées d’Afrique centrale, et du Vanuatu en Océanie. Tous ces samples sont des bribes de sons que je collectionnais depuis des années. Comme on me proposait une sortie vinyle, j’ai décidé de vraiment prendre le temps de choisir les meilleurs morceaux et d’en composer d’autres. J’ai ensuite ressorti un nouveau 3 titres gratuits chez TAR, Ripples.
Pourquoi avoir choisi de travailler avec Cosmic Compositions, un label plus orienté jazz avant-garde, hip-hop ?
Le hip-hop m’influence clairement, je suis pas mal d’artistes, plutôt anglais ou américains. À l’époque en français, j’écoutais les classiques quoi… J’étais dans un délire Time Bomb avec X-Men, Oxmo Puccino… Après, Cosmic est plus hip-hop que ce que je fais, mais ils sont aussi très ouverts. Honnêtement, ce qui a donné la couleur du projet, c’est une discussion avec le boss du label, Addison Chase. On a un peu fait une sélection des morceaux à deux pour essayer d’avoir un truc vraiment cohérent.
Tout ça, jusqu’à que tu te mettes à bosser avec Roméo Elvis, sur les mixtapes Morale…
C’est vraiment une rencontre hasardeuse avec Roméo. On a commencé à se croiser dans des fêtes d’amis communs où je passais du son, puis on s’est mis à discuter. Je me suis assez rapidement rendu compte qu’il était très ouvert musicalement. Il testait vite de rapper sur des sons qui ne sont pas forcément propices à ça. À cette époque-là, la tendance était un délire boom-bap à 90 BPM. Je lui mettais des instrus qui n’avaient rien à voir avec ça et ça l’inspirait. Le résultat donnait vraiment quelque chose de spécial, alors on a voulu tester d’enregistrer un morceau, Juliette. Comme il y avait un truc qui nous plaisait, on a décidé de continuer à bosser ensemble. On a fait Morale avec cette recette qui était entre mon style, que j’adaptais quand même pour que Roméo puisse rapper plus facilement, et le sien. De son côté, il découvrait une autre manière de rimer via des BPM et des sonorités différentes. On a vraiment réussi à amener un truc à deux.
Un certain L’œil Ecoute Laboratoire est crédité sur vos projets. Tu peux m’en parler ?
L’œil, c’est l’ingé son de Roméo depuis le début. Avec Morale, on a commencé à mettre en place un système particulier. Je composais les instrus de mon côté, puis Roméo passait chez moi. On faisait vite fait un arrangement et il repartait avec le son pour écrire. Toute la phase d’enregistrement se faisait systématiquement chez L’œil. Morale est vraiment un projet qu’on a fait à trois. Et on a gardé cet équilibre pour Morale 2 et Morale 2luxe.
Le 16 février sortira Morale 2luxe. Tu annonçais 10 nouveaux tracks. Ça va être des nouveaux beats avec de nouveaux lyrics ? Ou des remix comme le single Drôle de question 2018 ?
Ce remix est complètement à part, c’est un titre bonus sur la réédition fait par Double X. Sinon, il y a aura effectivement dix nouveaux morceaux qui n’ont rien à voir avec ce qui a été fait. C’est comme un nouveau projet, mais vu qu’on était dans cette énergie de Morale 2, on s’est dit qu’on allait l’appeler Morale 2luxe et le présenter comme une réédition. Ce sont clairement des nouvelles couleurs.
Tu vas garder ton style de composition, toujours très teinté house de Chicago ?
Oui, il y a toujours ce délire-là. Après on essaye à chaque projet d’explorer des autres directions. Là par exemple, il y a quelques morceaux qui sont un peu plus du UK Garage, un style que j’aime beaucoup. Il y a certains sons qui vont plus ressembler à ce qu’on a fait dans les Morale. On est revenu aussi avec un morceau un peu plus story-telling comme l’enchaînement La Valise / La Voiture sur Morale.
Tu as aussi un projet commun avec Veence Hanao dans les tuyaux.
Oui, je l’ai rencontré via des amis en commun, dont Teme Tan [un artiste bruxellois dont vous parlait] avec qui j’ai travaillé. En fait je suis un gros gros fan de l’époque. J’allais à tous les concerts de Veence avant qu’il n’arrête. Il ne fait plus rien depuis trois ou quatre ans, à cause de problèmes d’oreilles assez sérieux. Avant tout ce boom de la scène belge qu’on connaît maintenant, il y avait d’autres artistes, dont lui, qui était clairement un des piliers de cette mouvance, qui n’a d’ailleurs rien à voir avec ce qui se fait maintenant. Il a déjà sorti deux albums solos.
Comment s’est déroulée la confection du disque ?
Il était en silence radio depuis un bout. Un jour, j’ai fait un morceau qui me faisait penser à son premier projet, je me suis dit que j’allais lui envoyer. Ce fut un déclic pour lui, comme il l’expliquait dans un magazine bruxellois [Larsen]. Il a écrit et enregistré le soir même. Deux jours plus tard, Veence me renvoyait le résultat. À partir de ce moment-là, il s’est un peu remotivé à écrire, même s’il avait encore quelques morceaux sur le feu de son côté. On a ensuite décidé d’en faire plus, et finalement, on a neuf morceaux qui arrivent.
Tu penses donner une couleur particulière au hip-hop belge ?
J’ai peut-être l’impression d’ouvrir d’autres portes qui ne sont pas forcément les codes à la base. Après, une identité je ne sais pas. Les gens me disent souvent qu’ils reconnaissent ma patte, ce qui est assez cool à entendre. Je pense qu’il y a plusieurs beatmakers ici à Bruxelles qui y contribuent. C’est plus un truc d’ensemble, une énergie collective. Il y a plein de producteurs qui amènent un truc neuf dans le rap et dans la scène belge. C’est tout ce mélange et cette entraide qui contribuent au truc. Chaque artiste travaille avec ses chouchous.
Pour la suite tu veux retravailler en solo ?
Complètement oui ! J’ai été beaucoup pris par toutes ces collaborations dont je suis très content. Ça se calme un peu là en matière de création. Je retrouve enfin le temps de recomposer et j’ai énormément de morceaux qui sont quasi finis. Ils vont prendre la forme de plusieurs EP ou d’un album. Parallèlement à ça je suis graphiste et j’organise un festival d’art numérique à Bruxelles, qui s’appelle Les Garages Numériques. Tout ce qui tourne autour de cet art et du mapping m’intéresse grave. J’ai aussi envie de développer un live qui sera vraiment une performance audiovisuelle. La musique sera beaucoup plus électronique, mais toujours avec cette idée de la mélanger avec des sonorités africaines.
Les projets de Le Motel sont disponibles via Apple Music. Le disque collaboratif entre Veence Hanao et Le Motel, BODIE, sortira le 16 avril. Morale 2luxe avec Roméo Elvis, sera disponible le 16 février et l’est déjà en précommande sur Apple Music.
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