Depuis près de dix ans, elle organise à Paris et ses alentours des soirées queer où se produisent des talents émergents. Guidée par l’art et la passion.
Au huitième étage d’un immeuble d’Aubervilliers, qu’elle partage avec deux autres locataires trans et deux tortues d’eau prénommées Rodger et Jalane, Simone Thiébaut ouvre la porte en coiffant ses cheveux blonds encore mouillés. “Je ne suis pas du matin”, m’avait-elle confié lorsque je lui avais proposé une interview à 11 h.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Icône de la nuit depuis près de dix ans, c’est plutôt le soir que nous sommes habitué·es à la croiser. Simone a créé les soirées Parkingstone, qui défient les frontières entre les genres musicaux et les genres tout court. Des soirées pour celles et ceux qui ne trouvent pas leur place dans le classique paysage festif parisien, puisqu’elles entrelacent projets hybrides, musiques de niche et hyperpop. Simone, elle, les définit comme “un projet protéiforme anti-white cube et transdisciplinaire”.
En 2013, lorsqu’elle arrive à Paris, Simone commence à travailler la nuit, tenant la porte ou les vestiaires de clubs, bossant avec le collectif transgenre, festif et pionnier Shemale Trouble, tout en assistant l’artiste Orlan. Deux ans plus tard, elle organise sa première soirée Parkingstone à La Jarry, ancien squat de Vincennes, un grand parking de bagnoles avec plein de stoners qui zonent dedans. “D’où le nom de l’événement. Ça sonne comme un road movie 90’s à la Gregg Araki.” À cette soirée, Bonnie Banane fait ses premiers pas sur scène, et Marcel Alcalá performe en “bodypaintant tout le monde”. Simone, elle, mixe sous le pseudo de Drame Nature.
Simone est la première à avoir fait jouer à Paris des artistes comme Shygirl, Coucou Chloé ou encore Eartheater
C’est un ami qui l’a surnommée ainsi. Parce qu’elle est un peu drama, Simone. “Mais il y a aussi un pied de nez au fait que je sois une personne trans, une catastrophe de la nature”, raconte-t-elle en souriant. Parkingstone, ce sont des soirées safe, mixtes, racisées et queer, où l’on vient découvrir des talents émergents. Simone est la première à avoir fait jouer à Paris des artistes comme Shygirl, Coucou Chloé ou encore Eartheater. Elle met un point d’honneur à créer des line-up qui sont des “premières France”, comme elle les appelle.
“L’art, le cinéma et le travail”
Se mettre en danger avec des programmations méconnues ne lui fait pas peur. Simone passe des heures sur Soundcloud, où elle peut “trouver un an de line-up en deux-trois jours”, puis ne plus écouter de musique pendant deux semaines, avant, ensuite, de “recommencer à zéro”. Lorsqu’elle troque sa casquette de “curatrice événementielle” pour celle de DJ, Simone joue de l’indus, du hardcore, du gabber. “Généralement, je vide les salles”, plaisante-t-elle.
“Ma vie est trash, et c’est tout ce que je recrache en tant qu’artiste”
Ce que cela raconte d’elle ? Un quotidien trash : “Je me fais agresser quasi quotidiennement en tant que femme trans dès que je sors de chez moi. Je vis du RSA alors que je travaille comme une dingue. Ma vie sentimentale, c’est de la merde, et je ne parle pas à ma famille biologique… Ma vie est trash, et c’est tout ce que je recrache en tant qu’artiste.”
Fille d’un gardien de prison et d’une mère qui travaille à la Caisse primaire d’assurance maladie, Simone a grandi en Picardie “dans un milieu paumé et lent”. Jusqu’à ses 25 ans, sa vie est entre parenthèses. “Sur mes cinq années d’études supérieures, on était trois pédés. Et moi, j’étais la seule personne queer qui jouait déjà un peu avec les genres. Alors pour tenir, j’ai focus sur mes passions : l’art, le cinéma et le travail.”
Détermination politique
Parmi les artistes qui l’ont façonnée, on retrouve Genesis P-Orridge et Katie Jane Garside, notamment chanteuse de Daisy Chainsaw. Et de citer également Ilona Staller, aka la Cicciolina, Lolo Ferrari ou encore Pete Burns, leader du groupe Dead or Alive – “pas pour sa carrière artistique, mais pour ses looks et son addiction à la chirurgie”. Lorsqu’on lui demande le secret de sa détermination, elle claque : “Je suis passionnée et j’ai les nerfs bien accrochés.”
Quant à “Œstropolis”, l’idée est de booker des plateaux exclusivement féminins
Et pour cause, Parkingstone n’est pas la seule soirée qu’elle organise. Simone a deux autres bébés : Club Visage et Œstropolis, plus politisés. “Parkingstone a pris une telle ampleur que le côté intime, scène émergente et communauté LGBTQIA+ commençait à disparaître. En parallèle, j’avais besoin en tant que femme trans de faire des chirurgies de féminisation faciale. C’est comme ça qu’est née Club Visage : des soirées organisées pour aider des personnes trans à financer leurs soins et opérations de réassignement.”
Quant à Œstropolis, l’idée est de booker des plateaux exclusivement féminins, dans une nuit parisienne où les hommes cis occupent encore trop souvent le devant de la scène. “Avant tout, avec Œstropolis, je voulais représenter la scène trans : fem [personne adoptant les codes du vestiaire féminin] de manière générale, mais aussi queer, pédé fem et hommes trans, bien sûr”, raconte-t‑elle.
D’ici le mois de juillet, le calendrier de Simone est rempli, avec l’organisation de huit soirées. Et comme elle estime ne jamais assez travailler, elle prépare une première édition d’un festival Parkingstone pour la rentrée scolaire 2023. Une fête toujours plus folle qui s’étendra sur plusieurs jours.
Œstropolis le 10 mars, Club Visage le 10 avril et Parkingstone le 13 mai (lieux à définir).
{"type":"Banniere-Basse"}