Ils sont français mais ont choisi l’anglais première langue pour leur folk, leur pop ou leur rock. Avec Cocoon, The Bewitched Hands ou Aaron, on ne hurle plus cocorico mais cock-a-doodle-do.
Mercredi 20 octobre 2010. Pendant que le Français pionce comme une souche dans son pays étriqué avant, le lendemain, de devoir se contenter de vidéos YouTube tremblantes d’émotion, un événement interplanétaire se déroule dans le gargantuesque Madison Square Garden de New York. Phoenix, désormais héros chez l’oncle Sam, sa femme et ses gamins, boucle sa tournée américaine. Fin du concert, rappel. Le groupe entame une mélodie bien connue des cinéphiles – le “ta da da da da” inventé par Spielberg pour sa Rencontre du troisième type, langage universel entre hommes (dans le film, le Français Truffaut) et aliens (ce soir de concert, le public américain). Le son enfle, enfle, enfle, s’électronise, deux casques brillent sur scène : Daft Punk a rejoint ses copains pour un final à dresser les poils du plus morne des croque-morts.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le symbole est saisissant. Mais le triomphe des deux groupes français les plus connus au monde ne boucle aucune boucle : il renforce surtout une tendance dessinée il y a déjà quelques années et montre le chemin étoilé à d’autres Phoenix en puissance. “Daft Punk, Air, Phoenix ou Cassius ont ouvert une voie pour beaucoup d’autres. Historiquement, ça correspond à l’époque où Emmanuel de Buretel, à la tête d’EMI, essayait de travailler les groupes de manière vraiment internationale, en y mettant les moyens. Plus tard, Nouvelle Vague est devenu énorme, Tellier a rempli le Henry Fonda Theater à Los Angeles, Yelle cartonne aux Etats-Unis, Emilie Simon s’est installée à New York et y marche aussi. D’autres, nombreux, commencent aujourd’hui à émerger, il y a désormais une demande”, explique Sylvain Taillet, directeur artistique chez Barclay.
Mister Taillet connaît bien le sujet de la France qui s’exporte : constatant le début de frémissement, il a monté un festival à Los Angeles, le Ooh la L. A., qui ne présente que des productions tricolores. Des productions tricolores francophones, quelques-unes. Mais, surtout, une nouveauté, un mouvement de fond : beaucoup de froggies ont décidé, très naturellement, de préférer l’anglais au français pour véhiculer leurs couplets et refrains, pour être enfin en phase avec leurs propres collections de disques. La balance commerciale de la France peut ainsi remercier la French Touch : elle fit le premier pas vers la fin d’un certain type de complexe vis-à-vis du reste du monde qui, soudainement, ne prenait plus la France que pour le pays de Gainsbourg (au mieux) ou de Johnny (au pire).
“Parce qu’elle se passait de textes, la vague électronique française a permis à pas mal de gens de sortir du carcan de la ‘chanson’, de l’obligation de discours”, expliquent les Rémois The Bewitched Hands, qui ont déjà sillonné les Etats-Unis et l’Angleterre avant même la sortie de leur premier et formidable album, Birds & Drums. “Certains de nos textes sont à la limite du yaourt, des trucs très barrés, ajoutent-ils. Mais les Anglo-Saxons se montrent très cools là-dessus, il y a un exotisme qu’ils ont l’air d’aimer.”
[attachment id=298]Discours semblable du côté d’Aaron, qui depuis le triomphe de son premier album sillonne les routes de France, certes, mais surtout celles d’Europe : l’anglais est un espéranto moderne, la voix n’est qu’un instrument et un vecteur d’émotions avant de porter des messages. “On veut que le texte et la musique soient indissociables, explique Simon Buret, Français de cœur et Américain de père, pas de hasard. Ma première fascination a été pour Nina Simone, puis Janis Joplin, chez qui je trouvais une vraie symbiose entre le texte et la manière musicale de le dire – c’est plus rare chez les Français, même si certains ont réussi. L’instrument, y compris la voix, doit illustrer le propos : je peux être profondément touché par des chants que je ne comprends pas. Pour la scène, l’anglais, en France, me protégeait. Je suis un grand traqueur, et j’étais content que tout le monde ne comprenne pas ce que je disais : c’est finalement l’essence qui compte.”
Propos, une fois de plus, très similaires du côté de Cocoon, autres Français à langue anglaise, partis plus tôt que les autres voir ailleurs si the grass était plus green. “C’est beaucoup plus dur, la critique est plus rude quand tu chantes en français, expliquent les auteurs du récent Where the Oceans End. Je ne me voyais pas arriver après Gainsbourg…” “Quand tu écoutes Lennon et McCartney toute ta vie, tu as envie de chanter comme eux”, ajoute Marc de Cocoon.
{"type":"Banniere-Basse"}