S’inspirant de Philip K. Dick, le duo ESSAIE PAS propose un album où la culture club s’enrichit d’une tonalité politique radicale.
Marie Davidson et Pierre Guerineau parlent de “pièce” quand nous parlons de titre ou de morceau. Un détail sûrement, mais qui trahit dans la bouche des Montréalais une certaine idée de la musique, comme étant quelque chose de l’ordre du méticuleux, relevant autant de l’artisanat que de l’art en tant qu’elle peut être à la fois un objet esthétique et conceptuel.
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Sur New Path, le cinquième album du duo amant, il est ainsi question de proposer une vision contemporaine de Substance mort, un roman d’anticipation de Philip K. Dick dans lequel le personnage principal est un flic chargé d’enquêter sur un junkie qui n’est autre que lui-même, dans un futur dystopique.
Un rapport schizophrène que seule la musique électronique pouvait retranscrire, faisant écho à la paranoïa de l’époque et aux tendances totalitaires d’une société moderne, dans laquelle chaque individu se mue en agent autoritaire, imposant sa propre police sous l’effet galvanisant des trending topics de Twitter. “L’image du flic junkie du livre, qui perd son identité, peut se retrouver aujourd’hui dans la personne que l’on est dans la vie et dans celle que l’on est sur les réseaux sociaux, confie Pierre. On se demande constamment où est la réalité et où est l’illusion. Le tissu commun, que l’on appelait autrefois réalité, se désagrège pour laisser la place à des niches de réalité. C’est vraiment dickien.”
Récurrents dans la mythologie cold wave et novö, les grands thèmes de science-fiction que sont la dépendance, le capitalisme policier et la surveillance généralisée dans une ère postdémocratique, prennent ici une dimension d’autant plus forte qu’elle s’inscrit dans le cadre élargi de la culture club. Une démarche assez inédite, comme le souligne Marie : “Les rapports manquent parfois de profondeur dans la musique club, c’est très mondain. Les gens ne parlent jamais de ces sujets dans ce milieu. C’est genre une zone grise.”
Patterns trans et hypnotiques
Pierre et Marie ont six ans d’écart. L’un a connu les raves et free party en Bretagne, l’autre a “tout raté”, comme elle dit, avant de profiter du nouvel essor de cette culture dans les années 2000 et d’y plonger avec un enthousiasme débordant, quitte à vivre des moments de descente cauchemardesques qu’elle qualifie de fuites en avant. D’où les patterns trans et hypnotiques de la musique d’Essaie Pas, et cette volonté de penser aussi New Path pour le live.
Revenus intacts de la nightlife et de ses à-côtés, les Elli et Jacno du tout “post” délivrent un message fondamentalement punk, parfaitement synthétisé par Marie : “Notre pulsion est politique et d’inspiration fuck you. Fuck la surveillance, fuck l’autorité, fuck la police, fuck l’Etat, mais aussi fuck les drogués et fuck les gens qui vendent de la drogue.” Un discours qui n’a rien de moralisateur, mais qui relève davantage de la rébellion contre tout ce qui devait nous libérer, mais qui a fini par nous aliéner. Un album en forme de pavé jeté contre l’édifice branlant de la start-up nation.
Album Essaie Pas – New Path (DFA)
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