S’imposant au milieu des grandes figures du rap US, le Californien invite en guest : Justin Vernon, ASAP Rocky, Kendrick Lamar, Damon Albarn ou encore Flume.
Vince Staples a beau venir d’une ville où le soleil semble éternel, c’est bien la face sombre de Los Angeles qu’il s’évertue à montrer, centrant son propos sur ses populations noyées dans l’amertume, faisant de son hip-hop une caisse de résonance où s’expriment la frustration, la colère et l’impuissance des exclus. Pas un hasard, quand on sait que le rappeur angeleno a grandi du côté de Long Beach, à trente kilomètres de la cité des Anges, que son passé au sein des Crips a noirci sa vision du monde et qu’il n’a jamais hésité à expliquer son regard lugubre dans ses morceaux. Comme cette punchline, balancée en 2011 sur Trigga With Heart : “Si tu cherches de la positivité, va écouter du Common”.
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Six ans ont passé depuis et, si Vince Staples se veut moins bavard que sur son dernier EP (l’excellent Prima Donna), il n’a visiblement pas changé d’approche. Big Fish Theory retravaille en effet une même glaise autobiographique, dramaturgique, sinistre, brassant dans un même élan les récits funèbres et les constats fatalistes. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir de nouvelles intentions mélodiques à proposer. Clams Casino, DJ Dahi et No I.D., à la production sur Summertime ‘06 en 2015, n’ont pas été rappelés ici, Vince Staples préférant visiblement confier les clés de son disque à Westside Ty et Zak Sekoff, deux jeunes beatmakers bercés à la techno de Détroit. Et ce, dans un souci permanent d’évolution, comme il l’expliquait à L.A Weekly dernièrement :
“Si un photographe prend la même photo encore et encore, vous allez penser qu’il est fou, non ? Si un architecte construit les mêmes maisons, si un designer crée les mêmes vêtements, si un peintre peint les mêmes toiles, on va chercher à les discréditer. Dans ce cas, pourquoi devons-nous espérer qu’un musicien, et particulièrement un rappeur, fasse la même chose constamment ? C’est parce qu’ils ne voient pas le rap comme un art.”
En évolution constante
Pour prouver qu’il fait de l’art et pas seulement de la musique, Vince Staples tente donc de tout conceptualiser. Il parle de Big Fish Theory comme d’un disque afro-futuriste, prétend composer la musique de demain, partage le micro avec Kendrick Lamar, dont on connaît le goût pour les recherches esthétiques, et se sert d’un poisson rouge dans un bocal comme illustration à son album. Un hommage à l’artwork et au titre du premier disque de Disiz ? C’est peu probable, mais le MC de Long Beach a clairement une singularité à faire valoir. À l’image de BagBak, sa production électronique, son refrain dansant et ses paroles, sinon militantes, du moins accusatrices : “Tell the one percent to suck a dick, because we on now / Tell the government to suck a dick, because we on now / Tell the president to suck a dick, because we on now”.
Non moins novateurs demeurent cependant les onze autres morceaux réunis ici, portés par un verbe acerbe et des productions qui, bien que plus électroniques que par le passé, n’en restent pas moins tout aussi anxiogènes et hypnotiques. Sa marque de fabrique, en quelque sorte : depuis qu’il s’est révélé aux côtés d’Earl Sweashirt sur Hive en 2013, Vince Staples semble en effet avoir développé un intérêt prononcé pour les beats oppressants, nerveux, du genre à intensifier le pessimisme d’un MC ancré dans la réalité des hoods.
“J’aime dire des choses sur les noirs aux blancs”
Après tout, Vince Staples est un gars du cru, tout le monde le sait : ses grands-parents vivaient à Compton, son père a fait plus de dix ans de prison, la plupart des membres de sa famille ont été impliqués dans les différents gangs de la ville, et l’un de ses proches, Jabari Benton, s’est fait assassiner en 2008. Logique, donc, que ce jeune MC de 24 ans tienne le même discours que celui tenu par 2Pac et Ice Cube deux décennies plus tôt.
À lire ses différentes interviews, Vince Stapes n’a d’ailleurs pas d’autres explications à donner – à moins que ce ne soit le jeu médiatique qui ne l’intéresse guère ? C’est un pur produit de l’inégalité du jeu social, un rappeur débarqué dans le game pour “dire des choses sur les noirs aux blancs”, comme il l’a prétendu sur le plateau du Daily Show. Voilà sans doute pourquoi le bonhomme s’est entouré d’invités prestigieux sur Big Fish Theory (A$AP Rocky, Flume, Bon Iver ou Damon Albarn ont répondu présent, pour des apparitions parfois minimes) : histoire de s’assurer que sa science du storytelling, subtilement introspectif, soit entendu par un public plus large que par le passé, mais aussi histoire que tout le monde comprenne à quel point il est aujourd’hui capable de fédérer les énergies autour de lui.
L’album Big Fish Theory (Def Jam) est disponible en écoute sur Apple Music :
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