Dans le cadre de la série “Massive Attack & Les Inrocks”, revenons sur une interview faite à l’époque de la sortie de l’album “Mezzanine”. Le plus fondamental des groupes en noir et blanc à avoir émergé de l’Angleterre des années 1990 accouche de ses créations dans la douleur. Dans un équilibre instable avoué, le trio vole au-dessus de la vulgarité du genre trip-hop dans lequel on le cantonne injustement.
Série: « Massive Attack & Les Inrocks » 2e épisode
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Episode 1: Ce que nous écrivions sur « Mezzanine » au moment de sa sortie
Oublions l’horrible mot trip-hop et préférons-lui sa définition plus complexe : un mélange cinématique de rythmiques hip-hop, de dub urbain et de soul délicieusement froide comme une pluie anglaise. Car l’histoire, elle, n’oubliera jamais ce trio de Bristol qui marque son temps disque après disque. Dans une Angleterre impuissante face à la domination du hip-hop US, 3D, Daddy G et Mushroom trouvent l’alchimie parfaite pour une réponse adaptée à la sensibilité et au climat de leur pays. De Blue Lines à 100th Window, chaque album donne la sublime impression que le groupe ne décevra jamais.
Peut-on toujours considérer Massive Attack comme un groupe ?
3D : Non, parce que nous ne travaillons plus du tout ensemble : chacun bosse à son rythme, à sa manière. Quand les chansons sont élaborées ainsi, chacun décide s’il a envie ou non de participer. C’est ainsi que nous avons composé l’album : chacun n’en a fait qu’à sa tête. Pendant longtemps, le disque n’a existé que sur le papier, sans réelle confrontation. A l’arrivée, je ne vois aucune ligne directrice, tout est fragmenté. Plus nous vieillissons, plus c’est le foutoir. C’est un album basé sur la paranoïa.
Daddy G : Quand nous étions gamins et que nous partagions la Wild Bunch (célèbre collectif de DJ de Bristol), nous faisions semblant d’être sur la même longueur d’onde. Mais en vieillissant, on fait moins d’efforts sur la tolérance. Les engueulades éclatent à tout moment, sur des sujets parfois lamentables, sur une phrase dite il y a plus de dix ans. Sur les deux années d’enregistrement de Mezzanine, chacun a essayé d’imposer ses idées ; en studio, l’ambiance était un véritable enfer, allant jusqu’aux bagarres. Physiquement, le stress avait fini par m’affecter : j’ai perdu tous mes cheveux à force de me faire du souci. Il aurait été impossible de bosser de concert : trop d’ego, trop d’obsessions. 3D, par exemple, est celui qui a l’imagination la plus fertile, mais aussi la plus grande gueule… On l’a donc plus entendu que les autres. Tant pis pour l’image du groupe soudé derrière son oeuvre : notre musique s’est nourrie des tensions, des bagarres. Le confort nous tue. Nous pourrions sombrer dans la complaisance s’il n’y avait pas toutes ces remises en question. Nous avons entendu trop de groupes répéter, sur leur second album, la formule du premier. Chez nous, il y a un devoir à se mettre à danger. Quitte à perdre des gens en route – à l’intérieur comme à l’extérieur. Je veux pouvoir me regarder dans la glace dans cinq ans. Je ne veux pas être Oasis.
Après avoir tout composé sur le papier, y a-t-il eu une excitation à se retrouver ensemble en studio ?
3D : Hors du studio, nous nous entendons plutôt bien. Mais dès qu’il s’agit de nos chansons, d’imagination, les idées s’affrontent car nous plaçons la barre très haut. L’humeur qui régnait jusqu’à présent sur nos albums – cette mélancolie que nous avions déjà à l’époque où nous formions un sound-system – n’a jamais été la voie de la facilité. Comme nous ne sommes pas musiciens, seule l’imagination nous aide à construire des chansons : il faut toujours innover, sans cesse tenter des expériences. Cela nous interdit tout repos. Souvent, j’ai l’impression d’être tout seul, totalement perdu. Mais malgré la peur, je continue d’avancer, de fouiller. Et parfois, l’un de nous va trop loin, il ne comprend pas que les autres ne veuillent pas le suivre, ça le rend dingue. C’est pour ça que nous nous engueulons autant.
Le jeu en vaut-il la chandelle ?
3D : Je me le demande souvent. C’est douloureux, épuisant, un stress qui abîme la vie. Physiquement, le groupe me bousille. Pendant l’enregistrement, j’ai été obligé de disparaître, de me réfugier en Cornouailles, de passer des journées à regarder les vagues… Mais très vite, l’angoisse venait me chercher : impossible de me relaxer très longtemps, je suis trop nerveux pour ça. Je souffre en permanence d’accès de panique. L’idée de passer un an sur la route, d’être baladé d’une chambre d’hôtel à l’autre, ça me détruit les entrailles. Ces derniers mois, j’ai souvent eu envie de m’enfuir, de tout abandonner pour retrouver la sérénité, devenir jardinier. Mais je sais que je me ferai fatalement rattraper par mon anxiété. C’est une schizophrénie dure à gérer. Je préférerais souvent être Robert, celui qui picole et joue au foot avec ses copains, plutôt que 3D, le mec de Massive Attack. Redevenir Robert, voire Robertino, le fils de ce jeune homme débarqué de Naples à Brighton pour travailler dans un restaurant. Oublier 3D. Mais là, au milieu de cet entretien, les deux s’affrontent. Parfois, ils se rencontrent et deviennent un seul type – qui me fait peur. Il m’est devenu impossible d’avoir une relation sentimentale normale : quand je suis à la maison, je ne pense qu’à la musique. C’est impossible pour une fille de vivre avec un inconnu, dont le corps et le cerveau ne marchent presque jamais ensemble. J’ouvre une bouteille de vin, je cuisine un petit plat, je loue une vidéo et malgré tout, je ne suis pas là. C’est de la trahison : j’ai l’impression de me servir d’elle, qu’elle n’est là que pour mon petit confort, pour me servir d’ours en peluche ou bien de mère quand je suis trop anxieux… Ça s’entend sur le disque : Liz Fraser, Tracey Thorn ou Horace Andy chantent, ils sont là, avec nous, mais ils sont en danger, perdus. Personne n’est là pour les rassurer ou pour les consoler. Ça explique la noirceur du disque : c’est un album en ruine, en éclats.
Soignes-tu cette schizophrénie ou te sert-elle de carburant ?
3D : J’espère sincèrement que je m’en extirperai. Ça ne peut pas durer éternellement – ou alors je vais craquer sur scène. J’espère qu’un jour les gens en auront marre de Massive Attack, que je puisse mener une petite vie pépère, sans me soucier de créativité. Ça me bousille depuis des années. A 16 ans, je me rappelle être allé voir un médecin pour me prescrire des somnifères. Quatre ans après, il m’a avoué que ce n’était que des dragées au sucre, un placebo, que le problème était uniquement dans ma tête. J’ai essayé la méditation, mais je n’arrivais pas à débrancher le cerveau. Pour me calmer, je m’entoure de rituels : manger, boire, regarder certains films, jouer au foot… Il le faut car si je commence une journée sans avoir ces repères, je deviens dingue. L’inconnu me fait immédiatement paniquer.
Ça ne s’applique curieusement pas du tout à votre musique, qui est très affranchie.
3D : Mais même là, je m’impose ces rituels : le studio est un cadre suffisamment strict pour ça. On commence par faire jouer le groupe sur nos idées de base, on enregistre tout et puis après, on découpe au sampler, on ne garde que quelques secondes qui deviennent une nouvelle base de travail. Si bien qu’à l’arrivée, les paroles échouent sur une musique à laquelle elles n’étaient pas destinées. Par exemple, sur Inertia creeps, je voulais utiliser la force et l’urgence des musiques turques – et pourtant, les paroles ne parlent que d’inertie, de stagnation dans une relation sentimentale. Cela reflète assez bien l’absence de règles et le chaos dans lesquels a été enregistré Mezzanine. Les idées de départ se sont évanouies, des accidents nous ont mis sur d’autres routes et nous les avons suivies. A la fin, on avait tout oublié de notre point de départ, on s’était perdus, mais on était arrivés à un endroit qui nous plaisait. Et il en va ainsi de notre carrière : nous n’avons jamais eu de but, d’envie. Il existe toujours du mystère autour de Massive Attack car nous ne savons pas à quoi ressemblera demain. La curiosité de savoir ce qui va se passer nous maintient ensemble. Et pour voir, nous nous sommes mis en danger, nous nous sommes ridiculisés sur scène.
Tout l’album sent le conflit : entre les paroles et la musique, entre les instruments mêmes. Comme s’il n’y avait eu aucun répit en studio.
3D : Le fait d’avoir donné des concerts avant d’entrer en studio nous avait redonné goût au dialogue et à la confrontation. Si bien que même les instruments, entre eux, luttent pour imposer leur ton – surtout les guitares, qui sont de nature bagarreuse. Mushroom est plutôt passionné de soul et de hip-hop, moi de hip-hop et de new-wave. Comme la règle numéro un du groupe est de ne jamais laisser un seul d’entre nous prendre le contrôle, les bagarres sont inévitables. Les idées s’affrontent : normal que les hommes le fassent aussi.
Les drogues ont-elles été, pour la première fois, un problème entre vous ?
3D : Ce n’est jamais un problème ! Elles n’ont pas aidé la parano ambiante. Parfois, elles nous ont aidés à être euphoriques, à nous lancer dans des improvisations vraiment réussies. Le problème, c’était le lendemain, quand nous redescendions sur terre et qu’il fallait gérer la gueule de bois, l’anxiété. C’est effrayant de se sentir bousillé, aussi bien physiquement que mentalement.
Daddy G : L’alcool a été le plus grave problème, surtout chez 3D. Il y avait un pub juste à côté de notre studio, spécialisé dans des cidres ahurissants : les musiciens étaient plus souvent là qu’au travail. Moi, de toute façon, je déteste traîner en studio. J’y faisais mon boulot et je rentrais. C’est la seule partie du travail de Massive Attack qui me passionne vraiment : mettre des disques sur la platine pour y dénicher des sons, des samples. Je suis devenu un DJ frustré.
Rêvez-vous parfois de plus de simplicité, de reposer sur des recettes ?
3D : Je n’aspire qu’à cette paix. C’est pour ça que je m’investis autant dans notre label, Melankolic : pour penser à autre chose. Mais une fois que j’aurai essayé toutes les recettes de mon livre de cuisine, quelqu’un d’autre cuisinera pour moi et j’apprécierai enfin le fait de manger. Car je ne sais plus ce que c’est que d’apprécier de la musique. Dès que j’écoute un disque, il faut que je le dissèque, je le mets en perspective avec les nôtres. Les disques ne me rendent plus heureux comme lorsque j’étais gosse.
Votre label s’appelle Melankolic : un mot que vous utilisez pour décrire votre musique.
3D : Nous avons choisi ce nom de label et surtout, son slogan “Glad to be sad” (“content d’être triste”) pour nous moquer de nous-mêmes, de notre son si lancinant. Le label, c’était un besoin : on en avait assez de croiser des musiciens que personne ne voulait financer.
Daddy G : Et ce n’est pas fini : à Bristol, nous venons de dénicher PHD, un groupe qui se situe entre les Beastie Boys et Fun Lovin’ Criminals. Il y a aussi Lewis Parker, un rapper qui n’utilise pratiquement que des BO pour ses musiques. Récemment, le label nous a aidés à tenir : quand tout allait mal au sein de Massive Attack, on avait au moins Melankolic pour se remonter le moral, pour se dire que ça valait le coup d’être là. Quand nous sommes venus à Paris, des copains nous ont donné la cassette d’un groupe qui voulait signer sur notre label. Au début, ça ne nous a pas plu du tout et après, c’était trop tard. Ils s’appellent Air (rires)…
On ne parle jamais de vos textes : comme s’ils étaient uniquement décoratifs.
3D : C’est pourtant douloureux de les écrire – et en même temps, c’est une libération inégalable. Je suis malheureusement de plus en plus impatient avec les mots ou mes pinceaux. Je vide mon cerveau des petites idées qui y traînent, je dresse des listes de choses à faire – liste des jeux à inventer pour ma Play Station, liste des T-shirts à imprimer –, mais je ne mène rien à bien. Alors ça devient des phrases, des bouts de paroles. Je n’arrive pas à écrire en longueur. Ça me rend dingue de jalousie de lire un livre, de voir que des gens sont capables de se concentrer, d’être constants. Moi, je perds très vite le fil – et ça s’entend sur le nouvel album. Il n’y a aucune logique dans notre carrière : c’est par exemple absurde de faire soudain entrer dans notre musique tous ces disques de new-wave, tous ces sons de Wire, Gang of Four, Cure, Siouxsie, Joy Division… Public Image aussi, que nous avions immédiatement adopté à Bristol : comme les clubs que nous fréquentions, ils mélangeaient sans se poser de questions le dub et le punk. D’où la tonalité dub-new-wave de Mezzanine.
Etes-vous parfois jaloux d’autres songwriters ?
3D : Je me demande vraiment où mes collègues vont chercher leurs idées. Comment peut-on envisager un disque comme OK Computer ? Et je ne parle même pas des paroles. Je comprends toujours tout de travers, j’invente les paroles des chansons, comme à l’époque où ma mère me promenait dans ses bras en écoutant Abbey Road… Mais quand j’ai lu les paroles de Radiohead, la beauté et la clarté des textes m’ont bouleversé. Apparemment, Thom Yorke écrit comme moi, en faisant des listes : des slogans de publicité, des phrases de journaux. Je passe ma vie à rêvasser – c’est pour ça que je ne peux pas conduire. Mais je ne m’en plains pas : si je n’avais pas cette imagination, cette possibilité de m’évader, je deviendrais malade.
Massive Attack a inauguré une nouvelle voie pour la musique anglaise. Préféreriez- vous écrire sans concurrence ou celle-ci devient-elle une motivation ?
3D : Beaucoup de gens semblent prendre des risques mais eux n’étaient pas les pilotes d’essai. Ce n’est pas en embauchant un DJ pour un remix qu’on fait avancer les choses. Je ne vois que très peu de groupes jouant sans garde-fous, très peu de groupes ignorant qui ils sont, à la recherche de leur identité. Je ne veux pas entendre ce qu’on a engendré, alors je me replie sur mes disques new wave, ou ma collection de reggae. Je n’ai jamais écouté de trip-hop.
Daddy G : On nous demande souvent : “Comment vous positionnez-vous par rapport à Portishead ou Tricky ?” Devant, point à la ligne. Ils font ce que nous faisions il y a cinq ans et nous, nous avons avancé. C’est à eux de suivre, pas l’inverse. Et encore, Tricky ou Portishead le font bien, partent de notre point de départ et avancent sur leur propre voie à partir de là. Il y a bien pire : tous ces Moloko, ces Morcheeba… Comme si personne n’allait remarquer que c’est de la vulgaire copie. Le discours officiel de Massive Attack, c’est “On s’en fiche”. Mais moi, ça me rend fou de rage. La semaine dernière, j’étais assis au restaurant à une table à côté de Morcheeba. Je n’ai pas dit un mot du repas, j’avais peur qu’ils m’espionnent, qu’ils me piquent mes idées (rires)…
Comment Massive Attack peut-il être à la fois vivant et déjà légendaire ?
3D : Je n’arrive pas à comprendre comment les gens peuvent nous trouver aussi importants quand j’écoute nos trois albums. Même le nouvel album, je n’en suis qu’à moitié content. On n’a encore rien prouvé. Même à l’époque de Blue Lines, on pensait juste avoir enregistré un disque potable. Et quand on a commencé à le proposer aux maisons de disques, leur enthousiasme nous ont étonnés car on se contentait juste de continuer le travail de la Wild Bunch : des fans qui sélectionnaient et passaient la musique des autres à travers un sound-system. La seule progression, sur notre premier album, c’est qu’on samplait ces disques au lieu de les jouer. Sinon, le terreau est identique, même sur Mezzanine : la musique de la fin des années 70, du début des années 80, lorsque nous étions jeunes, frais et impressionnables. Humainement, c’est la période clé de notre vie.
Daddy G : Notre préoccupation, en enregistrant Blue Lines, était d’éviter l’explosion pour finir le disque, car on s’engueulait déjà beaucoup. Nous avions en nous ces milliers de disques que nous avions écoutés jusque-là, et il fallait canaliser ce fanatisme. La révolution, ce n’est pas Blue Lines, c’est ce que nous faisions avec la Wild Bunch dans les années 80 : passer une musique sombre, avec ses rythmes lancinants, alors que partout ailleurs, la musique était festive et rapide. Si Blue lines a tant marqué les esprits, c’est qu’il est sorti en pleine période des raves, au début des années 90, quand tout le monde ne pensait qu’à s’éclater. Personne n’avait pensé au retour d’une soul aussi mélancolique. Ça tenait beaucoup à la voix de Shara Nelson. Son départ a été catastrophique. Heureusement que nous avons tout de suite trouvé Tracey Thorn puis Liz Fraser, que nous admirions depuis le début des années 80. Emprunter des chanteuses pop pour une musique soul, ça correspond parfaitement au style Wild Bunch, qui n’était jamais orthodoxe. Car chacun d’entre nous venait d’une culture différente : punk, reggae, new-wave, ska, les musiques de films, Burt Bacharach… Le dénominateur commun, c’était le hip-hop : une passion depuis que nous avions vu Kurtis Blow sur scène. Jusque-là, on allait surtout voir des groupes de rock en concert. Mais là, soudainement, nous avons été éblouis de voir un type avec un micro et un DJ en fond de scène : on pouvait donc faire de la musique sans groupe !!! A Bristol, on se connaissait tous avant de former la Wild Bunch. J’étais le plus vieux, je croisais les autres dans les clubs punks de la ville ou dans le magasin de disques où je bossais. C’est pour ça que la Wild Bunch était si en avance sur son temps, si cultivée : je volais toutes les nouveautés (rires)… Mushroom n’avait que 15 ans, mais il me réclamait déjà tous les disques de hip-hop. Et même si nous avons grandi dans des directions parfois opposées, même si nous ne nous voyons plus jamais hors du groupe, il nous restera toujours ça en commun. Car nous étions vraiment un gang, nous portions les mêmes chaussures de sport, les mêmes fringues. A Bristol, nous étions les rois. Il y avait 3D, Nellee Hooper, Milo Johnson, moi, puis des gosses comme Willy Wee, Mushroom, Tricky… On se retrouvait tous dans ce club, le Dug Out, où nous avons pris possession des platines. On était fascinés par le mélange entre punk et reggae que réussissaient Clash, les Slits ou Mark Stewart. Comme la police n’osait pas vraiment descendre dans le ghetto jamaïcain de Saint Paul, c’est là que nous organisions nos soirées. Nous aimions la subversion, la fête, les drogues. Curieusement, les Blancs et les Noirs se rencontraient uniquement là, en plein quartier noir. Nous n’avions pas la moindre ambition, seulement nous amuser. Mais quand Nellee Hooper nous a abandonnés pour former Soul II Soul, ça nous a fait réfléchir. On s’est retrouvés tout cons. Heureusement, Neneh Cherry, que nous connaissions depuis des années, nous a poussés à entrer en studio.
Avez-vous l’impression que votre deuxième album, Protection, a été sous-estimé par rapport au premier ?
Daddy G : Il nous représentait assez mal. Mezzanine nous correspond plus, il est plus rugueux. Sur Protection, nous nous sommes retrouvés dans le studio de Nellee Hooper entourés de montagnes de matériel : des machines qui pouvaient tout faire, qui obéissaient précisément aux ordres. Du coup, il ne se passe pas grand-chose sur le disque, l’imagination s’est fait aplatir, polir. On a trop cherché à s’éloigner de Blue lines, si bien que c’est un disque trop technologique, trop loin de notre vraie nature. Sur le nouveau, nous avons moins pris en compte les avis extérieurs. Les premières personnes qui l’ont écouté étaient choquées par la dureté du son, par les guitares : bon signe.
Mezzanine a-t-il failli tuer Massive Attack ?
3D : Chacun de nos albums a failli être fatal au groupe. C’est le problème quand on enferme des types aussi maniaques : un morceau n’est jamais fini, il y a toujours débat, toujours d’autres pistes à explorer. Si bien qu’en sortant du studio, je me sens déçu, trahi. Heureusement, nous devons ensuite donner des interviews. Car si je restais chez moi, je deviendrais dingue. C’est ma hantise : finir comme Phil Spector, ne plus avoir que la musique dans ma vie.
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