Emily Loizeau est la nouvelle lauréate du Prix Constantin : retour sur une année riche et belle avec un entretien publié en début d’année à l’occasion de la parution de son Pays sauvage.
Musicalement, entre les deux albums, des choses sont venues chambouler ton univers ?
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Je suis très poreuse et j’écoute beaucoup de choses. Un disque m’a poussé à assumer mieux les références folk de mon enfances et cette attitude très américaine qui va avec cette musique, un truc intimement lié à mon éducation : We Shall Overcome, où Springsteen reprend les chansons de Pete Seeger… Un album très folk, enregistré en quatre jours chez lui, avec une bouteille de whiskey. Il n’y a rien d’avant-gardiste, mais ça a résonné chez moi, j’ai grandi dans cet état d’esprit. Mon oncle s’occupait d’une troupe de théâtre au Canada, qui vivait en communauté, tournait en roulottes et composait la musique de ses pièces… J’ai vécu de l’intérieur ce côté bon vivant de la musique, cet esprit de célébration des hippies. Je voulais renouer avec cette ambiance… Toute la scène autour de Devendra Banhart, Coco Rosie ou Alela Diane m’avaient déjà ramenée à ces racines. Et puis, Camille a aussi été importante, elle a proposé un truc totalement désinhibé et donné envie à beaucoup de filles. Elle est très libératrice.
Ta maison dans l’Ardèche a-t-elle influencé ce disque ?
C’est là que je l’ai écrit, que nous avons travaillé les arrangements, l’album porte en lui le son de la maison, le bruit de son plancher, de la nuit. La maison est paumée dans les montagnes et là-bas, je ressens un truc très fort face aux éléments. Je vais sonner comme une caricature de baba retournée à la campagne, mais je m’y prends la force des éléments bruts en pleine tronche.
Pour toi qui a grandi entre deux pays, deux cultures, est-ce un lieu fondamental : le premier endroit où tu plantes tes propres racines ?
C’est exactement ça. J’ai un lien très fort à l’enfance, j’en parle beaucoup dans mes chansons… Il y a des ombres au tableau, c’est vrai, mais surtout, dans la mienne, un bonheur qui parfois me rend mélancolique… On m’a transmis un attachement à la famille, au noyau, mais aussi aux pierres, à une maison, à une terre. Le jour où j’ai trouvé cette maison en Ardèche, j’ai eu l’impression d’y avoir toujours vécu. J’avais besoin de m’expatrier de beaucoup de choses, professionnelles ou familiales, et de me construire un refuge, bien à moi. En écrivant, je sentais les chansons ancrées dans cette terre, un truc presque païen. J’ai recréé une partie de mon enfance là-bas.
L’Angleterre est pourtant très présente sur le nouvel album, par le folk ou même un côté music-hall…
Ma grand-mère m’avait beaucoup fait écouter Kurt Weil – j’ai toujours aimé ce côté dégingandé, grinçant, exubérant aussi. Quand j’ai invité les Moriarty sur l’album, c’est ça que j’avais en tête. Je voulais plein de voix, comme un village qui se mettrait à chanter et à raconter une histoire. Gamine, pendant les vacances de Noël en Angleterre, je passais ma vie à regarder les comédies musicales à la télé. Ça aussi, c’est ancré en moi, avec sa joie, son foisonnement… Le disque parle encore de douleur et d’écorchures, mais cette fois-ci, ça s’exprime de manière plus vivante, plus liée au corps, dans un esprit de fête. C’est moins centré sur le nombril, c’est plus dans le partage. Sur le premier album, des chansons d’apparence très légère exprimaient des choses très graves : une comptine parlant de suicide par exemple. Là, je suis allée encore plus loin, dans le bizarre, dans l’excès – un humour grinçant très britannique. La forme n’est pas très française sur ce disque.
Quels sont tes rapports à l’Angleterre aujourd’hui ?
Quand je suis à Paris, Londres me manque. Et quand je suis à Londres, je regrette Paris. Car j’ai surtout été élevé en France… J’ai souvent été perdue entre ces deux cultures, je ne sais parfois pas à qui ou quoi j’appartiens. Ça me rend heureuse de ne pas avoir ce rapport viscéral à une nation, un territoire. Je ne me sens chez moi nulle part et ça donne un rapport libre aux gens et aux choses.
A l’école, tu vivais comment ton bilinguisme ?
J’ai longtemps eu un blocage vis-à-vis de l’anglais, il faut dire que ma mère, parce qu’on vivait en France et voulait s’intégrer, nous parlait en français. Je n’ai rattrapé le temps perdu qu’à 11 ans, je n’avais sans doute pas envie d’être différente des autres… Par exemple, je suis incapable de parler an anglais avec ma sœur. On le fait pour s’isoler et faire des commentaires en loucedé, mais ça me met mal à l’aise.
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