Emily Loizeau est la nouvelle lauréate du Prix Constantin : retour sur une année riche et belle avec un entretien publié en début d’année à l’occasion de la parution de son Pays sauvage.
145 disques, un jury de 20 personnes présidé par Olivia Ruiz, puis une élue : Emily Loizeau. Déjà nommée précédemment, il aura fallu attendre une deuxième tentative pour que la franco-britannique Emily décroche le précieux Prix Constantin, face à, notamment, Orelsan, Fredo Viola, Yodelice ou Hugh Coltman.Nous l’interviewions en début d’année, à l’occasion de la parution de son très beau Pays sauvage : entretien à retrouver ici-même.
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[attachment id=298]Ton album impressionne par sa richesse, sa complexité. Si ça ne tenait qu’à toi, tu serais encore en train de le peaufiner ?
Oh non (rires)… Il y a toujours des regrets, des idées qu’on aurait pu pousser plus loin, mais là, c’est plutôt une grande satisfaction. On a fait ce qu’on avait envie de faire, on y est même parvenu au-delà de nos espérances. Travailler plus, ça aurait tué l’instinct, on serait tombé dans le clinique. La perfection, ça ne m’intéresse pas.
Vous vous êtes parfois sentis dépassés par les chansons – certains titres partent loin, dans une sorte de transe…
On était constamment dans le doute. Parfois, les chansons nous tombaient dessus, d’autres fois, on avait l’impression que nos fantasmes ne prendraient jamais forme. Le contraste a été saisissant entre l’écriture – à trois, dans l’austérité, en Ardèche – et l’enregistrement – en attroupement, avec tous ces musiciens. Tout les gens qu’on imaginait sont venus, ça s’est passé comme dans un rêve.
Tu parlais de satisfaction – c’est un sentiment nouveau pour toi ?
J’ai une capacité surdéveloppée à douter. Et en même temps, je me bats contre elle. J’avais des idées très fortes pour ce disque, il était impossible de le faire produire par qui que ce soit, à ma place ou même à mes côtés. Et pourtant, à chaque nouvelle idée, je regardais mes deux musiciens avec angoisse. Leur regard était une boussole. A un moment donné, il faut affirmer “Je sais” – même si j’étais paumé. Je ne voulais pas que ma troupe se mette à flipper… Tout en me sachant en totale imposture parfois. J’ai ressenti plusieurs fois des fissures entre ce que j’affirmais et ce que je ressentais.
Il s’est écoulé un monde entre ton premier album, le plutôt sage L’Autre bout du monde (2006) et Pays Sauvage. Qu’est-ce qui t’a à ce point libérée ?
J’ai tourné pendant plus de deux ans, mûri humainement, vocalement… Avec mes musiciens, nous avons traversé beaucoup de choses, un son s’est créé… Le succès du premier album et du live m’ont fait beaucoup de bien, ça a été un petit miracle : je suis arrivée en studio avec plus d’assurance, plus de bonheur… Quand j’ai fini la tournée, je me suis retrouvée dans une solitude qui a fait beaucoup de bien à ma confiance. J’ai alors délaissé le piano pour tenter une écriture plus rythmique, plus explosive. Mais attention : j’assume et aime énormément le premier album aussi. Il portait les prémisses du nouveau, mais je n’en étais pas capable, j’ai fait avec qui j’étais. J’avais un pied dans le folk, un autre dans la chanson, avec une vie de classique derrière… J’étais timide, mais j’affirmais déjà que j’étais tout ça à la fois.
La voix a également beaucoup gagné en liberté.
C’est la scène. Des cours de chant, j’en avais pris avant même le premier album, par obligation : j’avais des nodules sur les cordes vocales. Ils ont déterminé ma voix, la rocaille et le filet d’air… Je pensais que je ne tiendrais jamais les concerts et au contraire, ils ont musclé, renforcé ma voix. Elle a pris de la largeur, de la hauteur, c’est très jouissif. Je me sens beaucoup plus libre, j’avais envie que la voix, cette fois-ci, ne serve pas à envelopper, à caresser dans le sens du poil. Je voulais qu’elle provoque, qu’elle dérange, qu’elle gêne… Un disque lisse me faisait peur, je voulais du charnel.
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