Plus que d’une évolution, on parle aujourd’hui de révolution dans l’univers étrange de la chanteuse Emily Loizeau. Avec Pays Sauvage, la franco-anglaise se lance à corps perdu dans une terre inconnue où les vieux repères – folk, chanson, blues, gospel – sont fondus dans un feu de joie. Hippie, happy.
Un des textes les plus intimes de l’album, Sister, parle d’elle, mais en anglais. Tu as du mal à exprimer des choses aussi intimes hors des chansons ?
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Je l’ai écrite en anglais, spontanément, ça raconte notre séparation à cause de l’école… C’est en traduisant le texte en français que je me suis pris ce qu’elle charrie en pleine gueule, j’étais en larmes en la re-comprenant. Je pense que je n’aurais jamais pu lui dire tout ça, il fallait lui chanter. Ça parait comme ça anecdotique, sans traumatisme, mais pour moi, c’est très symbolique. Il y a un truc absolu dans une grande sœur, elle était tout pour moi. Elle te protège, s’habille mieux, dessine mieux, je voulais être elle. Et puis la vie, le rapport au parents fait qu’il y a des tensions, des ombres… On finit par perdre cette admiration. Je voulais lui rappeler d’où on venait. Je ne pouvais pas lui exprimer autrement qu’avec cette pudeur.
Qu’est-ce qui te nourrit à ce point dans l’enfance ?
Ce n’est pas de la nostalgie, je n’aime pas ce mot. Plutôt une forme de mélancolie. Il y a tout simplement des choses et des gens qui me manquent – j’ai perdu mon père. Mais j’étais déjà comme ça avant sa disparition : un rapport très fort à l’enfance, à cette douceur, à ces moments où tout le monde était encore là. Mais l’enfance, ce n’est pas que ça : ce sont aussi des moments d’angoisses terribles, j’ai commencé à faire des cauchemars sur la mort à 5 ans… Il n’y a donc pas que l’insouciance. Mais la beauté de l’enfance, c’est que l’on peut chasser ces angoisses en s’inventant des mondes, des personnages qui rassurent. Ça devient plus compliqué en devenant adulte. La chanson est un des rares endroits où on a le droit de continuer de faire ça en vieillissant.
Tu viens d’une famille très artistique et libérale. Ce n’est pas le terreau idéal pour une rébellion adolescente !
J’étais très en symbiose avec ma maman, mes parents toléraient énormément de choses et je n’avais pas de problème. Ce qui a fini par me causer un gros problème. Je passais ma vie au piano, alors que je rêvais de théâtre ou d’équitation. Je me suis imposé une rigueur terrible, si bien qu’au bout d’un moment, il m’a fallu un truc plus baladin, plus rock’n’roll. Je voulais être sur scène, mais que ça relève de la fête, pas de la religion. Ma rébellion est donc arrivée tard, et contre le classique – juste avant que je ne parte continuer mes études de piano à Boston. Je commençais à saturer, à avoir des doutes. Je souffrais de plus en plus de trous de mémoires, qui me faisaient rater les concours. Une prof m’avait tellement traumatisée à mon premier trou de mémoire que c’est devenu systématique ensuite. La joie de jouer est devenu une souffrance, je n’en pouvais plus de lutter contre les fantômes de l’échec. J’ai alors commencé des études de philo en parallèle mais la mort de mon père a été un coup de fouet. Il m’a fait un cadeau en partant, m’a donné le courage d’aller à l’essentiel – et d’abandonner le classique. Je me suis enfin alors posé des questions – et je suis partie à Londres faire du théâtre. Tant pis pour la raison. J’ai alors eu l’impression d’aller vers la vie.
Faire du théâtre quand on vient d’une famille aussi reconnue dans le milieu doit être inhibant…
Ma grand-mère, Peggy Ashcroft, est une actrice très connue en Angleterre. C’est pour ça que je ne pouvais pas continuer dans le théâtre : je ne pouvais pas avoir l’impudeur de jouer, d’être médiocre alors qu’il y avait – dans ma propre famille – tant de gens que j’admirais. A la rigueur, je me serais volontiers tournée vers la mise en scène. Mais la première fois que j’ai chanté, accompagné à l’accordéon, tous ces complexes, tout ce trac ont disparu. Je tenais enfin un truc à moi, où j’étais à l’aise. Je me suis révoltée par rapport à ces ombres, par rapport à l’échec du classique, grâce à la chanson. J’avais enfin trouvé un chez moi, où abriter ma colère.
Que te reste-t-il de ton éducation classique ? T’a-t-il fallu désapprendre pour faire des chansons ?
Il me reste un goût prononcé pour l’auto-flagellation, je culpabilise dès que je ne bosse pas. Par contre tout le patrimoine harmonique, les contrepoints, tout ce que j’ai appris pendant presque vingt ans, je fais tout pour l’oublier dès que j’écris. Je deviens comme quelqu’un qui ne connaît pas la musique. Mon rapport à l’écriture ne peut être qu’intuitif ou sinon, tout se fige, je rentre dans une posture. Je suis devenue totalement brouillon – et physique aussi. C’était un désir très fort pour ce nouvel album : je veux danser sur scène. Pour la première fois, pendant la dernière tournée, j’ai quitté mon piano pendant quelques chansons et ça a été une révélation : enfin, mon corps faisait sens. Je ne l’avais encore jamais pris en compte.
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