Forte tête aux tripes sauvages, EMA a beaucoup bourlingué, de son Dakota white trash à la scène punk de Los Angeles. Sa musique âpre et fulgurante cherche des noises à PJ Harvey, Courtney Love ou Cat Power. Critique et écoute.
On a d’abord vu EMA sur un écran, dans le clip de la fameuse California, qui a fait le tour du monde et mis le feu aux poudres des blogs savants hurlant sans précaution au génie. Un premier coup de pompe dans le bide, en même temps qu’un léger doute. Ce morceau de rock biliaire, de simili-rap white trash et drogué, ces paroles si crues qu’elles avaient le goût métallique de la viande saignante, cette mise en scène bizarroïde : tout cela semblait trop culotté pour être vrai, pour ne pas être une pose.
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On a ensuite rencontré Erika M. Anderson. Il a d’abord fallu lever la tête : l’Américaine est immense, physiquement intimidante. Puis la baisser : parce qu’elle en avait envie, cette “vraie freak” a commencé l’interview allongée sur la peau de vache qui reposait sur le parquet de la pièce. Avant même de la voir sur scène et sur le cul, il a fallu, aussi, rendre cette tête à l’évidence : non, amante permanente de l’extrême, Erika M. Anderson ne fait pas semblant.
La gigue a grandi à Sioux Falls, South Dakota, épicentre des trous du cul du monde occidental. “Une ville très moyenne, totalement plate, 150 000 habitants ; les deux industries principales du coin sont une énorme usine d’emballage de viande et une grosse unité pénitentiaire, qui sont d’ailleurs presque voisines. Pour voir un concert, il fallait vraiment le vouloir : je me souviens avoir fait l’aller-retour jusqu’à Minneapolis pour aller voir Sleater-Kinney, dix heures en tout. J’étais une gamine turbulente, j’ai eu pas mal de problèmes. Je me souviens d’un cours de biologie pendant lequel on devait disséquer une grenouille, je devais avoir 14 ans, et à cette époque j’étais fascinée par l’image du Christ : j’ai pris deux crayons, j’en ai fait une croix, j’ai crucifié l’animal et je me suis mise à courir un peu partout en hurlant… Je m’ennuyais. J’ai dû aller voir ailleurs.”
Un choc extrême des civilisations : passer à 18 ans de la morne Sioux Falls à la gargantuesque Los Angeles. Commencer à traîner au Smell, centre local de la scène punk, noise et expérimentale, y rencontrer Ezra Buchla, alors membre des Mae Shi, en tomber amoureuse et décider avec lui de s’envoyer les âmes en enfer : ce sera Gowns, duo éphémère et cinglé, musicalement violent, intimement dévastateur.
“Gowns a fini par n’être basé que sur le chaos. Tout semblait fou, hors de contrôle, c’était nerveusement dur, les concerts étaient sauvages. C’était à la fois effrayant et excitant. Je crois que les gens aimaient également assister à ce genre de prise de risques, celui de l’humiliation publique. Le problème est que les montagnes russes de la scène ont fini par se reproduire en dehors : on avait allumé une mèche qu’on ne pouvait plus éteindre. Ça a fini par être trop, et je me demande aujourd’hui pourquoi ni Ezra ni moi n’avons décidé plus tôt de mettre fin à notre relation. C’était malsain, je ne voulais plus être à ce point dans l’autodestruction.”
Après l’implosion et l’éreintement, il faudra à Erika un an d’exil introspectif et de doutes avant de se sentir à nouveau capable d’approcher son meilleur ami et véritable allié : le danger. Une idée : écrire des chansons moins folles mais plus audacieuses, un “disque conceptuel de folk américain, déconstruit et bruitiste”, un album dont la production, pensée comme une mise en abyme, “parlerait de musique au sein même de la musique”.
Un résultat : Past Life Martyred Saints, immense album âpre, sonique, obsédant. Un disque où des drones fantomatiques côtoient des harmonies stellaires, où le rock du futur se mêle au folk immémorial, où morceaux et atmosphères défient l’espace et l’histoire, où les textes sont organiques, intimes, terrifiants.
La rage rentrée mais la rage tangible, Past Life Martyred Saints, fabuleuse cure, a fait des horreurs passées des beautés sans âge : il y a chez EMA autant de la PJ Harvey des débuts que du Velvet Underground, autant de Robert Johnson que de Sonic Youth, autant de Doors que de Cat Power. Un condensé cinglant d’une Amérique des bas-côtés.
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