Très forte tête âpre et rock, acide et libre, white trash et glamour, EMA est l’une des plus passionnantes figures du moment : l’Américaine nous a offert une passionnante interview, retranscrite ici intégralement à quelques jours de la parution de son fantastique Past Life Martyred Saints.
Tu as déménagé à L.A. assez jeune, à 18 ans : c’est par ennui, tu avais besoin de te mettre en danger, de te remettre totalement en cause ?
Je suis parti à L.A. un peu au hasard. J’ai un peu voyagé, dans ma vie, mais pas énormément. L.A. ne m’impressionnait pas particulièrement ; je ne serais en revanche jamais allée à New York, qui est une ville qui me fait très peur, trop grande, trop agitée pour moi, j’avais l’impression que je m’y ferais tuer, que j’y aurais fini dans une poubelle, à manger des cafards… Je sais que L.A. peut aussi être une ville effrayante pour pas mal de monde, mais c’est une ville immense, il y a des coins très calmes –je ne me suis pas non plus aventurée directement dans les quartiers les plus chauds.
Qu’imaginais-tu trouver à L.A.? Y cherchais-tu quelque chose de particulier ?
Je n’étais vraiment pas attirée par le mythe hollywoodien. Je n’étais même pas particulièrement attirée par la scène underground, du moins pas encore. Je savais simplement que j’aimais beaucoup de groupes qui, dans le passé, avaient été associés à L.A. ; j’adorais les Doors, par exemple. J’y suis donc, comme je le disais, vraiment allée un peu par hasard, je ne me suis à aucun moment dit « Je pars à L.A. pour faire carrière à Hollywood » (rires). Je cherchais sans doute, avant tout, le grand challenge d’un tel changement de vie. Je cherchais une sorte de choc ou d’affrontement culturel : du Dakota du Sud à L.A., il y a un gouffre… Sans doute le plus grand gouffre culturel qu’on puisse imaginer dans une même nation.
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Et qu’as-tu découvert, au final ?
J’ai trouvé les gens beaucoup plus doux que ce à quoi je m’attendais, très relaxés, hyper détendus. J’ai aussi découvert un fossé social immense, auquel je n’étais pas habitué : il existe aussi à Sioux Falls, évidemment, mais il n’est pas aussi important et choquant qu’il peut l’être au quotidien à L.A. Je me souviens de l’une de mes premières nuits passées dans la ville, d’une image qui m’a énormément marquée. J’étais downtown, un coin plutôt craignos, et il s’est mis à pleuvoir : j’ai vu une sorte d’armée de sans-abris sortir d’un peu partout, et déplier des tentes, innombrables, comme une ville sauvage, le tout posé dans un paysage très urbain. Une vision vraiment étrange. Et de l’autre côté du spectre, tu rencontres aussi des gens qui ont un accès incroyablement facile à l’argent, qui ne connaissent aucune difficulté, qui se vautrent presque dans la richesse… C’est sans doute très américain. Mais j’ai aussi rencontré à L.A., pour la première fois, une somme phénoménale de cultures et de communautés différentes. Je me souviens de la première fois où un ex-petit ami m’a dit « Ok, ça te dit de manger vietnamien ? » : ça peut paraître débile mais pour moi, c’était absolument étrange. Il m’a fallu beaucoup apprendre, beaucoup observer pour comprendre cette sophistication.
Tu jouais déjà de la musique, quand tu es arrivée à L.A. ?
Non, pas vraiment. J’étais plutôt versée dans la vidéo, et je bossais un peu pour une radio. Enfin si, je faisais de la musique, mais c’était alors quelque chose de vraiment tordu, drogué, des enregistrements un peu aléatoires, sur un 4-pistes, que je faisais avec mon mec de l’époque, qui s’occupe maintenant du label Not Not Fun. Les choses sont venues progressivement, par mes relations, j’ai commencé à traîner avec des musiciens, à pas mal aller au Smell, une salle très importante à L.A. pour pas mal de gens. Elle a surtout été importante à ses débuts, mais l’ambiance a changé. Les premières fois où j’y suis sortie, on pouvait tout y faire, on y fumait, on y picolait –choses qu’on n’était surtout pas supposés faire. On y rencontrait toujours le même groupe d’amis, tout le monde se connaissait. Paradoxalement, c’était une salle géniale, un endroit cool, mais les groupes y jouaient et les gens y allaient tellement souvent qu’ils finissaient par se dire « Oh non, pas encore The Smell… » Un peu résignés. « Tu fais quoi ce soir ? » « Bof, je sais pas, je vais encore finir au Smell. » (rires) Mais ilm y avait clairement une importante communauté de musiciens autour de cet endroit, ça a aidé pas mal de gens.
Que peux-tu me dire de cette communauté ?
On s’est pas mal marrés, il y a eu de belles fêtes, des nuits blanches, on picolait pas mal, on se couchait très tard, on écoutait de la musique toute la nuit… C’est toujours parfois le cas, mais ce groupe soudé d’amis dont je parlais s’est un peu dissout avec le temps. Il n’y avait pas que des musiciens : les gens venaient de tous les horizons artistiques possibles, certains étaient actifs, d’autres non.
Que peux-tu me dire de Gowns, ton ancien groupe ? Tu décris cette période comme très dure, très intense…
J’ai d’abord vu jouer The Mae Shi, groupe dans lequel jouait alors Ezra Buchla, avec qui j’ai ensuite formé Gowns. J’ai trouvé le concert absolument incroyable, j’en étais choquée –et je suis tombée un peu amoureuse d’Ezra, il m’a immédiatement beaucoup attirée. (sourire) A cette époque, j’enregistrais vaguement une démo, sans savoir réellement ce que j’allais en faire. Je lui en ai parlé, je lui ai jouée, et il a trouvé ça cool, il a décidé de m’aider, de poser des synthés sur ce que j’avais fait. Ca a été un instant déclencheur pour moi : ce que je faisais me semblait bizarre, mais il m’a donné la confiance de continuer à le faire, et d’aller encore un peu plus loin. Et je ne doutais plus non plus de mes textes : je me sentais libre de dire tout haut ce que j’avais envie de dire. On a fini par jouer ensemble, sur scène. Et il n’y avait alors aucune pression. Je me souviens de notre tout premier concert, à Oakland : les gens étaient fous furieux, ils nous ont détestés, ils ne comprenaient rien à ce qu’on faisait. « Un synthé, du bruit horrible : mais qu’est ce que c’est que cette nana ? »
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