Très forte tête âpre et rock, acide et libre, white trash et glamour, EMA est l’une des plus passionnantes figures du moment : l’Américaine nous a offert une passionnante interview, retranscrite ici intégralement à quelques jours de la parution de son fantastique Past Life Martyred Saints.
Tout le monde, depuis quelques mois, quelques morceaux publiés sur le net, quelques concerts incendiaires, parle d’EMA. Excitation logique, espoirs mérités : l’ex-Gowns est, c’est une évidence instantanée, une très forte tête. Une fille en drôle d’équilibre entre le white trash et le glamour, élevée dans le Dakota du Sud, juste à droite après le trou du cul du monde, désormais installée à L.A., l’un des épicentres mondiaux de la hype.
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Une Américaine à la trajectoire folle, à l’histoire turbulente qui pourrait, s’il fallait trouver un point de comparaison, rappeler une proto-PJ Harvey, version US : des tripes, beaucoup de tripes, une sacrée gueule mais de grands bleus à l’âme, un rock âpre et tendu, expérimental et changeant, menaçant ou beau, souvent minimal, parfois dronesque, toujours sonique. Et, surtout, les textes à vif, saignants, passionnants.
Outre quelques extraits à télécharger de son impressionnant Past Life Martyred Saints à paraître dans quelques jours, ainsi que le clip de California, nous vous présentons ci-dessous, en intégralité, l’interview passionnante que l’Américaine nous a donnée il y a quelques jours -histoire de comprendre un peu plus précisément pourquoi elle risque de faire beaucoup de bruit ces prochains mois.
Milkman à télécharger sous ce lien
The Grey Ship à télécharger à cette adresse
ENTRETIEN
Comment te décrirais-tu, en tant qu’individu ?
Je suis grande, et ça a sans doute pas mal joué dans ma vie. Beaucoup de gens me trouvent assez intimidante –mais je suis en fait quelqu’un de plutôt amical. Mais ma grande taille m’a aussi rendu parfois un peu… autoritaire. Pas d’une manière consciente ou voulue, mais je sais que j’aime avoir le contrôle de chaque aspect de ce que je fais, je veux tout diriger moi-même. Je suis amicale, mais je suis aussi quelqu’un de plutôt solitaire. J’ai un cercle très restreint d’amis proches, de gens en qui j’ai vraiment confiance. Mais j’aime aussi aller me balader dans les rues et me mettre à parler à de complets étrangers… Je tiens mon anonymat, mais j’ai de plus en plus l’impression qu’il va m’être difficile de le conserver intact ces prochains mois.
Ca te fait peur, tout ce qui se passe autour de toi ?
Bien sûr ! Même si, comme je suis en plein dedans, je ne me rends pas trop compte qu’il se passe quelque chose de particulier : je ne m’en rends compte que parce qu’on me pose la question en interview… Mais avant de faire tout ceci, avant d’enregistrer cet album, j’avais déjà peur de l’exposition, peur de mener une vie publique.
Tu faisais de la musique pour toi-même ?
Oui, et c’est toujours le cas. Je dois aimer ce que je fais, le reste vient ensuite. Mais il y a pas mal de choses qui me font flipper. La manière dont tout fonctionne sur Internet, ça me fait peur. Quand j’étais au sein de Gowns, des gens semblaient déjà me connaître presque intimement alors que je ne les avais jamais rencontrés de ma vie –ils me saluaient, me parlait de mon petit-ami Ezra Buchla (ndt : moitié de Gowns), de notre rupture… Mais comment pouvaient-ils savoir tout ça ? Simplement parce que plus on est public, moins on peut contrôler ce qui circule. Les interviews sont justement un exercice particulier pour moi, dire les choses publiquement, savoir qu’elles seront écrites, enregistrées, me semble toujours un peu inquiétant.
J’ai lu dans l’une de ces interviews que tu te décrivais comme une « freak » : c’est désormais repris partout. C’est par exemple quelque chose que tu peux regretter d’avoir dit ?
Non non non. Certainement pas. Pour moi, dire de quelqu’un qu’il est un vrai freak est le plus beau des compliments. Je ne saurais pas exactement dire ce que recouvre le terme d’ailleurs. Mais le mot « vrai » est sans doute plus important que le mot « freak ». Etre sincère, aller chercher ce qu’il faut en soi-même et pas ailleurs, avoir suffisamment confiance pour le faire sortir, pour donner l’impression d’être bizarre ; je ne sais pas.
Que peux-tu me dire de tes jeunes années dans le Dakota du Sud ?
J’y ai eu souvent des problèmes. Un peu constamment. Des trucs classiques, j’étais très turbulente à l’école. Je me souviens d’un cours de biologie pendant lequel on devait disséquer une grenouille, je devais avoir 14 ans, et j’étais à cette époque fascinée par l’image du Christ : j’ai pris deux crayons, j’en ai fait une croix, j’ai crucifié l’animal, et je me suis mise à courir un peu partout en hurlant… Un exemple, mais je faisais toujours des trucs comme ça. Je crois que, tout simplement, je m’ennuyais. L’école, par exemple, me semblait trop facile. J’avais déjà envie d’autre chose.
Quel type d’éducation as-tu reçu, en termes d’art ?
Il faut bien comprendre qu’il n’y a absolument aucun monde artistique dans le Dakota du Sud : à Sioux Falls, le trou du cul de l’Amérique, je n’ai presque jamais rencontré un écrivain, un musicien, un peintre, un artiste. C’est une ville très moyenne, totalement plate, cinq cinquante milliers d’habitants ; les deux industries principales du coin sont une énorme usine d’emballage de viande et une grosse unité pénitentiaire. Elles sont presque voisines, d’ailleurs. (rires) L’art, à Sioux Falls, on en entend parler mais on ne le voit presque pas en action. Il y avait quand même quelques rares personnes qui tentaient des choses, et je dois dire que ceux qui s’y mettaient me semblaient très libres d’esprit, très indépendants, assez étranges, sincères dans ce qu’ils faisaient. Ils se contentaient, pour forme d’art, de briser des choses, de pisser dans un frigidaire, des trucs très bizarres ; mais c’était intéressant, c’était leur forme de nihilisme, c’était l’expression de ce qui se passait dans la tête de quelqu’un qui vit dans le Dakota du Sud. Et me frotter à ces gens m’a donné aussi une certaine liberté d’esprit : j’ai compris qu’il était possible de tout faire.
Et quel accès à la musique avais-tu ? Quels étaient tes goûts, comment ont-ils évolué ?
C’est intéressant, parce que quand je suis arrivée en Californie, je me suis rendu compte que j’en savais bien plus sur la musique que beaucoup des gens que je croisais, qui avaient grandi dans les banlieues de L.A. D’une certaine manière, par beaucoup de biais, j’avais réussi à mettre la main, à Sioux Falls, sur des trucs très underground, très punks. Je ne sais même pas pourquoi, ni comment : sans doute parce que je n’avais rien d’autre à faire.
Et le rapport à la musique, dans un bled un peu perdu, est peut-être moins perturbé par les poses que dans une grande ville…
Oui, peut-être. Les gens qui écoutaient la même musique que moi le faisaient de manière totalement innocente, passionnée, pure. Quand je rentre à la maison, je vois mes amis, on adore simplement aller dans un bar, mettre de la musique dans le jukebox, nous amuser et picoler. Et à Sioux Falls, pour voir un concert, il fallait vraiment le vouloir, faire pas mal de route : je me souviens avoir fait l’aller-retour jusqu’à Minneapolis pour aller voir Sleater-Kinney, presque 10 heures en tout. Et certains poussaient même jusque Chicago : tu mets 10 heures pour y aller, tu vois le concert, puis tu refais 10 heures de route pour rentrer. Le tout avec une excitation dingue : la distance, la difficulté rendait les choses beaucoup plus précieuses.
Tu serais donc sans doute une personne très différente si tu n’avais pas grandi dans ces conditions, si tu étais née à Los Angeles…
Oui. Faire de la musique à Sioux Falls, dans le Dakota du Sud, est quelque chose qui m’a endurcie : il y a finalement peu de filles qui s’y mettent, on est un peu prises pour des nanas étranges, il faut être un peu dures. Il fallait être aussi dures que les mecs qui nous entouraient, et ils ne plaisantaient vraiment pas. Et quand je suis arrivée à L.A., les gens se demandaient : « C’est quoi, le problème, avec toi ? Pourquoi es-tu si dure ? » Mes mecs, surtout… Et moi (ndr : sur un ton dur), je leur répondais « Quoi ? Quoi ? » Je me suis un peu adoucie, depuis.
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