Le salaire de la peur. Terrifiant magma de sons et de textures, Pressure Drop fait débouler l’horreur sur le dance-floor. Sans trucages. Depuis notre tendre enfance, on a toujours aimé se faire peur. Et cette manie a envahi nos discothèques : le horrocore, le rock satanique ou la techno robotique sont ainsi devenus monnaie (de […]
Le salaire de la peur. Terrifiant magma de sons et de textures, Pressure Drop fait débouler l’horreur sur le dance-floor. Sans trucages.
Depuis notre tendre enfance, on a toujours aimé se faire peur. Et cette manie a envahi nos discothèques : le horrocore, le rock satanique ou la techno robotique sont ainsi devenus monnaie (de singe) courante. Une petite trouille sans conséquences, pas bien grave, bien consentante : rien de mieux qu’un peu de grand guignol pour gommer les obstacles du quotidien ou échapper aux affres de sa propre vie. Rarement, comme sur Elusive, frissons auront été provoqués par si peu d’artifices et autant de fibres. Ici, c’est la réalité, exposée sans anesthésie au froid du scalpel et opérée sans sommation, qui glace les sangs.
Si Justin Langlands et Dave Henley, les deux cerveaux de Pressure Drop qui tirent les ficelles et le meilleur des chanteurs et musiciens conviés, ont adopté comme surnom les Blood Brothers, c’est bien entendu au-delà du gag tout le contraire d’un nom de guerre : leur drum’n’bass acoustique ou leur soul des grands espaces se veulent en effet humaines, alimentées par le rouge et le souffle de la vie, mais aussi toujours à deux doigts de la fin, de la chute comme lors de l’insensé My friend. « Mon ami devient fou. Mais il reste dans mon sang, mes tripes et mon âme » la colère qui s’ensuit est phénoménale. Pas de place à l’autocomplaisance ni au larmoiement dans la démarche de ces deux frères-là, dans leur exploration des tréfonds de l’âme. Si leur constat est cruel, plein d’une tristesse résignée qui baigne tous les morceaux de ce troisième album l’oraison funèbre de Sounds of time, le lugubre piano de Darkness, jusqu’au End of the road final à l’atmosphère de fin du monde , libre à chacun de glisser sur les obstacles et de n’affleurer la vérité que de loin. Car une écoute en surface, si elle révélera bien des bizarreries cette orchestration parfois baroque, parfois dépouillée où brillent les instruments à cordes, ces voix grondantes, jamais sereines , s’avérera inappropriée. Il faudra du temps et de la volonté pour se plonger dans ce tourbillon, pour goûter parfaitement tous les délices de ce breuvage trop riche. Jamais en pilotage automatique, Justin Langlands et Dave Henley ont puisé leur inspiration, féconde et éclectique, à différentes sources : le funk, la soul, le hip-hop mais surtout le reggae. Partout, même parti très loin dans un marécage gluant, Pressure Drop conserve la volonté de s’en sortir. Dans son monde, tout n’est pas si noir, le crépuscule y est même enivrant Dusk, instrumental incroyable.
Elusive peut se traduire par « insaisissable » : un nom choisi avec lucidité pour un album dont on est encore loin d’avoir exploré toutes les grottes, toutes les fissures et tous les dérèglements. Une visite aussi éprouvante que gratifiante, qui rend le quotidien un peu plus lâche, un peu plus confortable. La peur et l’argent du beurre.
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